Articles récents \ Culture \ Cinéma Aurore : le film qui rend les invisibles, visibles !

Il n’y a pas de cinéma de femmes en France. Il n’y a pas non plus de vrai rôle de femme de plus de 50 ans. Blandine Lenoir contre-attaque en mettant en scène Aurore, jouée par Agnès Jaoui. Ménopausée, à la recherche d’un emploi, divorcée, bientôt grand-mère, Aurore a l’impression d’être inexistante. Par un hasard de la vie, elle tombe sur son premier amour, Totoche !

La queue s’allonge sur le trottoir de la rue du Temple. L’avant-première d’Aurore, de Blandine Lenoir, a lieu ce mardi 17 avril près de l’Hôtel de Ville. Là, attendent patiemment un public peu hétéroclite, majoritairement constitué de femmes de 50 ans, de quelques jeunes femmes, et plus rarement d’hommes.

Ayant écrit et réalisée principalement des courts-métrages, Blandine Lenoir, membre du groupe d’action féministe La Barbe , signe, après Zouzou, son second long-métrage.

Inspirée par un livre de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham (1),  par la maison de retraite solidaire les Babayagas de Montreuil créée par Thérèse Clerc, nourrie de discussions avec ses amies, elle imagine son héroïne. Aurore est ménopausée. Elle vit dans la précarité. Elle est à la recherche d’un emploi. Elle sera bientôt grand-mère. Elle sera bientôt amoureuse.

Cette avant-première est constituée d’un public de féministes engagées, qui connaissent bien le problème du « tunnel » que rencontre les femmes, dans leur carrière, après 50 ans. Comme l’a rappelée une intervenante à la fin de la projection, ce phénomène d’invisibilité touche toutes les classes de la société et toutes les catégories socio-professionnelles. Marina Tomé, qui a lancé la Commission Tunnel de la comédienne de 50 ans au sein de l’AAFA, est d’ailleurs présente ce soir-là. Lorsqu’elle prend la parole, c’est pour présenter un chiffre ahurissant. Les femmes de 50 ans sont absentes du paysage cinématographique, elles sont présentes dans seulement 8% des films. Pourquoi ? Parce que tous les maillons de la chaîne cinématographique sont détenus par des hommes : les producteurs, les distributeurs, les directeurs de festivals etc.

L’art est une industrie lucrative faisant perdurer une image déplorable des femmes : elles y sont désirables ou servantes, mamans ou prostituées, toujours en retrait sur les affiches. A 20 ans les actrices sont amantes et séductrices, à 30 ans elles sont mères et responsables, puis à 40 et 50 ans elles deviennent invisibles. Elles réapparaissent à 60 ans en grand-mères. Pas de cheffe d’entreprise, de pilote d’avion de chasse, de mafieuse, de trafiquante de drogue, de députée. Une fois de plus, le rôle des femmes, dans le cinéma est cantonné à la fonction sociale : celle de procréer. « Dis-moi si tu ovules, je te dirais si tu travailles » (2).

Les chiffres de l’invisibilité des femmes dans la culture

D’après le rapport de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, Où sont les femmes, Toujours pas là, bilan 2012-2017 et le rapport de l’Observatoire de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la culture de 2016 :

Les femmes représentent 14% des réalisatrices de films sortis au cinéma en 2015. 10% de ces longs métrages ont été sélectionnés en compétition officielle pour le Festival de Cannes entre 2013 et 2016.

Pour les fictions télévisuelles, 12 % de celles-ci ont été réalisés par des femmes entre 2010 et 2014 et 35% en ont été scénaristes. Rien de plus normal puisqu’il n’y a que 36% de femmes dans les comités de direction des entreprises de l’audiovisuel public en 2016.

Dans le théâtre, seulement 1% des compositrices sont des femmes, 4% sont cheffes d’orchestre et 27% metteuses en scène. Elles dirigent seulement 12 % des théâtres nationaux.

 

Réveiller la belle au bois dormant

Aurore, c’est le prénom de la belle au bois dormant. Blandine Lenoir l’a choisi pour exprimer un contraste. Son héroïne ne dort pas. Elle se bat. Mais tout comme la belle au bois dormant, Aurore ne vieillit pas.

Aurore subit la discrimination dans l’accès à l’emploi. Elle travaillait dans la restauration, mais plus personne ne veut embaucher une femme de 50 ans. Ce film met en lumière la sortie progressive des quinquagénaires du monde du travail. De plus en plus de femmes travaillent à temps partiel à la fin de leur carrière. La France a mis en place une véritable culture de sortie de l’emploi. Par exemple, dans les années 1980, on a créé les préretraites. Toutes ces politiques publiques ont laissé, dans la société, l’idée qu’après 50 ans une travailleuse est obsolète. En comparaison, au Canada, les travailleuses quinquagénaires connaissent une valorisation dans leur travail ou dans l’accès à l’emploi.

 

Les femmes de plus de 50 ans sont vivantes !

Blandine Lenoir a choisi l’humour, plutôt que la victimisation ou la haine des hommes. Ses personnages sont débarrassés des jugements de la société.

Loin du stéréotype de l’homme viril et fort qui ne parle pas de sentiments, Totoche avoue sa peur de souffrir.

Loin des clichés, Aurore redécouvre sa sexualité. Elle voit la ménopause comme une seconde adolescence pendant laquelle son corps change.

De son côté, sa meilleure amie a choisi de ne pas avoir d’enfant, mais adore tout de même les filles d’Aurore. Choisir de ne pas devenir mère ne signifie pas ne pas aimer les enfants. On peut faire le choix de ne pas de ne pas avoir de fille ou de garçon tout en adorant ceux des autres. La procréation est un choix et non la capacité à aimer.

Aurore invite le spectateur à se débarrasser des clichés sur les femmes quinquas. Parce que ces femmes sont vivantes !

 

Salome 50-50 Magazine

 

(1) Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham, L’Olivier, 2010

(2) Eva Darlan Grâce ! Ed Plon, 2016

 

 

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