Articles récents \ Île de France \ Société Sérénade Chafik : « les fondamentalistes commencent toujours par casser les droits des femmes »

Sérénade Chafik est militante féministe, ex- directrice d’une AD du Planning Familial, membre de Droits et Soins contre les Violences. Elle est co-fondatrice des Dorines, une récente association féministe de lutte contre le fondamentalisme islamique.

Comment vous est venue l’idée de créer les Dorines ?

Je me suis engagée en 2011 dans la révolution égyptienne et j’ai été parmi celles et ceux qui ont occupé la place Tahir. J’étais alors la porte-parole des blessé-e-s de la révolution. Je suis arrivée au Caire le jour de la destitution de Moubarak (1), je suis restée en Egype de février 2011 à avril 2011.

Après les émeutes de banlieue de 2005, j’avais déjà écrit qu’il y avait une islamisation des cités, qu’il y avait une prise de pouvoir de leur part. La non-réponse étatique avait laissé un vide et les islamistes ont pris les cités. Pour moi, il fallait absolument aider la société civile non cultuelle à se réimplanter auprès de la population pour lui offrir un autre prisme, une autre référence afin que la religion ne soit pas la référence unique de la pensée, que ce soit une ouverture contre l’enfermement communautariste. Bien sûr on ne m’a pas écouté mais nous les féministes, nous avons l’habitude de ne pas être écoutées, mais cela ne nous empêche pas de dire et de redire.

Ensuite arrivent les attaques de Paris, le massacre de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, et enfin les attaques de novembre à Paris. Alors en avril 2016 avec mon amie Jennifer Lempert qui a travaillé avec moi à Droits et Soins contre les Violences (2) nous décidons de fonder une association féministe contre le fondamentalisme.

Pourquoi une association travaillant sur la prévention de la radicalisation s’affichant féministe. En réalité l’islam politique a un discours spécifique à l’encontre des droits des femmes, à l’encontre du corps des femmes. Le chemin vers la radicalisation passe tout d’abord par l’idée que le corps des femmes est impur. On a entendu beaucoup de choses farfelues sur la radicalisation, par exemple qu’elle arrive du jour au lendemain. Non, il y a des étapes, on sait qu’il y a d’abord la question du voile parce il y a un matraquage sur le fait que les femmes seraient impures, ce sont des couches qui se superposent et qui amènent à une rupture avec les droits individuels, les droits des femmes, les droits des homosexuel-le-s Il y a un triptyque que les islamistes utilisent toujours pour amener les jeunes vers eux et les isoler de la société : le sexisme, l’homophobie et l’antisémitisme. Le travail de prévention contre la radicalisation qui ne prendrait pas en compte ces trois questions dans son champ ne fonctionnerait pas. Ces trois questions sont fondamentales dans un Etat de droit, dans un Etat démocratique. Nous savons bien, nous les féministes que la démocratie sera toujours non accomplie sans les droits des femmes et eux, les fondamentalistes commencent toujours par casser les droits des femmes.

 

Quels sont les objectifs des Dorines ?

Nos objectifs sont avant tout reconquérir l’espace, d’être au plus proche de la population, d’être dans l’écoute, de travailler sur les droits des femmes et de faire de la prévention, une réelle prévention. Nous sommes plus dans un contre projet, nous voulons être aux côtés de la population pour l’écouter dans ses difficultés, écouter en priorité les femmes.

Nous nous sommes aperçues qu’il y a très souvent une absence de père chez les personnes les plus radicalisées ou un père présent mais qui est absent dans le quotidien des jeunes et les mères sont alors très isolées. Plus qu’une question de milieux sociaux, nous sommes face à une question de personnes vulnérables, fragiles ou de maltraitance. Chez beaucoup de celles/ceux qui sont interpellé-e-s, il y a un problème des violences conjugales au cœur de la famille. Il y a une question d’abandon après des violences, de familles reconstituées. Les mères sont très fragilisées par des violences subies ou dans l’enfance ou dans le mariage et elles sont seules, isolées à cause du mari violent.

Souvent ces femmes nous disent « mais pourtant cet-te enfant était très gentil « ou «  je n’ai rien vu ». Elles sont elles-mêmes fragiles, alors elles ne peuvent pas voir et nous sommes là pour les aider. Elle sont les premières à voir les signes de radicalisation et elles sont perdues ne savent pas quoi faire.

 

Où travaillez- vous, sur Paris uniquement ?

Nous sommes sur le 20 ème, bientôt dans le 19ème, mais nous avons une visée sur l’Ile de Franc et au niveau national car nous faisons également des formations sur la radicalisation pour donner un apport à des professionnel-le-s qui accueillent la population et qui sont un peu perplexes sur ce qu’elles/ils peuvent répondre car elles/ils sont piégé-e-s par la question de la religion. Elles/ils ne veulent pas en parler et de ce fait ne savent pas comment aborder la question. Il y tout de même des formations qui sont faites par le comité interministériel de la prévention de la radicalisation. Nous, nous proposons surtout des formations qui se veulent féministes, je déplore qu’au niveau féministe il n’y ait pas beaucoup d’association qui se soient emparées de cette question fondamentale. Dans certains quartiers, sur le terrain on voit les ravages du relativisme culturel car des éducatrices/éducateurs de rue ont été traversé-e-s par des formations sur l’accompagnement communautariste dans les quartiers.

La laïcité est au cœur de nos préoccupations, la laïcité ne réglera peut-être pas tout mais c’est un préalable. Militer pour les droits des femmes dans un Etat non laïc est beaucoup plus difficile que dans un Etat laïc.

Nous avons une visée internationale de soutien et de relais de ce qui se passe ailleurs, nous soutenons les opposant-e-s démocratiques par exemple contre l’islamisme. Nous alertons. Nous soutenons par exemple les LGBT en Tchétchénie, nous avons soutenu la militante iranienne Darya Safai lors de son passage à Paris pour exiger que les instances sportives internationales sanctionnent son pays, qui interdit aux femmes l’entrée des stades.

Nous avons le soutien de la maire du 20ème, un soutien institutionnel (Ministères, élu-e-s). Nous avons un partenariat avec le cercle de la LICRA, avec Mémoire traumatique.

 

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine

 

1 11 février 2011

2 Association sensibilisation, auprès des travailleuses/travailleurs sociales/sociaux et des actrices/acteurs de soins et santé, sur la pensée sacrificielle qui est à la base de toutes les violences.

print