Articles récents \ France \ Société Quatre Femen devant le TGI de Paris: hypocrisie pure et simple

Quatre Femen étaient convoquées le 30 mai dernier devant le TGI de Paris, poursuivies par le parquet pour avoir manifesté le 16 octobre 2016 contre la Manif pour tous, selon le mode d’activisme qu’elles se sont choisies, c’est à dire seins nus et peints Trois d’entre elles sont également jugées pour avoir essayé de se menotter aux grilles du Palais de justice le 25 novembre, en signe de solidarité avec Jacqueline Sauvage, dont une demande de libération venait d’être rejetée.

De nombreuses personnes sont venues les soutenir, certaines ayant fait le déplacement de Bretagne, afin de rappeler à tout-e-s nos concitoyen-ne-s que pour les femmes, le droit à disposer de son corps  reste encore éminemment politique. Certaines féministes n’ont pas hésité pas à se faire Femen pour l’occasion et à porter les revendications de toutes à même leur peau.

« L’exhibition de la poitrine de la femme est une exhibition sexuelle »

Le procureur a demandé « l’application de la loi » qui considère que « l’exhibition de la poitrine de la femme est une exhibition sexuelle ». Il a requis une peine de 50 jours/amende à 10 € à l’encontre des quatre militantes pour leur action du 16 octobre et une peine identique pour les trois femmes poursuivies pour leur action du 25 novembre.

Une condamnation de ce type sur leur casier judiciaire pourrait leur être très préjudiciable professionnellement, en particulier pour celles qui travailleraient ou voudraient travailler avec des enfants. Les Femen sont des militantes, certaines sont aussi mères de famille et exercent des professions diverses… Ces procès sont donc tenus pour intimider toutes celles qui pourraient être tentées de les rejoindre/soutenir…

Lors de l’audience, les avocat-e-s des militantes se sont dits choqué-e-s par des poursuites dirigées « contre le féminisme » et une « liberté d’expression utilisée aussi au nom de l’intérêt général ».

Dénonçant une « hypocrisie pure et simple », une des avocates a rappelé que l’utilisation du corps des femmes à des fins commerciales était légal (sinon légitime), mais que l’utiliser à des fins politiques était considéré comme illicite.

 

La nudité une prérogative masculine archaïque

L’appropriation de leur corps par les femmes reste un combat loin d’être gagné, souvent remis en question ici ou là-bas, au gré des changements politiques. Partout les hommes s’arrogent le droit de décider de l’exhiber, de le cacher ou de se l’approprier tout en moquant, interdisant ou délégitimant toutes les actions des femmes visant à s’opposer à des prérogatives masculines archaïques, auxquelles même les plus fervents défenseurs de l’égalité et de la liberté ont parfois du mal à renoncer.

Comme l’a expliqué une des Femen pendant l’audience,  » Aujourd’hui, un homme qui utilise son corps à des fins politiques n’est pas poursuivi, une femme si « , évoquant une manifestation d’hommes entièrement nus, revendiquant des droits devant la ministre de la Culture et dont l’action n’avait donné lieu à aucune poursuite.

D’ailleurs ils ne sont pas un cas isolé, depuis des années des paysannes et paysans mexicains  Los desnudos  manifestent dans les rues complètement nus contre les injustices qui leur sont faites et les dépouillent de leurs terres ou/et de leurs droits.

Lola Vernot-Santamaria, une des Femen,  a justifié lors de l’audience «  Nous sommes là pour rappeler que les droits des femmes et des minorités ne sont jamais acquis. »

Les actions des Femen, seins nus, lors de manifestations, les ont déjà menées plusieurs fois au tribunal, où elles ont été déjà relaxées du délit d’exhibition sexuelle, à Lille ou à Paris.

La jurisprudence est plus imprévisible en appel, avec des décisions différentes en janvier et février 2017, l’une exigeant, pour caractériser l’exhibition, d’avoir « conscience d’offenser la pudeur », et l’autre imposant une « intention sexuelle ». La Cour de Cassation, qui a été saisie, va devoir trancher.

Me Reberiaux, une des avocates a rappelé « l’importance des circonstances » en précisant que « La dernière fois qu’une femme a été condamnée pour exhibition sexuelle, c’était en 1965 à Cannes, parcequ’elle jouait torse nu au ping-pong. De toute évidence, c’est le mouvement et pas la nudité qui posait problème« .

La nudité de l’être humain le confronte d’abord à sa grande fragilité devant autrui et devant une nature parfois hostile qui l’a mené à s’en protéger plus ou moins le corps au fil des millénaires et selon les latitudes. Cette nudité a été rendue taboue et largement recouverte en particulier par les religions du Livre qui régentent ce qui touche à la sexualité humaine et au corps des femmes et dont les promoteurs ont depuis des siècles systématiquement couvert les corps des populations qu’ils convertissaient, de gré ou de force (au détriment de leur santé comme pour certaines populations d’Amazonie dont le port de vêtements qui restaient humides en zone tropicale les rendait malades alors que la peau nue était beaucoup mieux adaptée, mais intolérable à certains prédicateurs). La nudité est notre lot commun primordial, de notre premier à notre dernier souffle, le vêtement étant profondément lié localement à des us et coutumes ancestrales, petit à petit transformés au fil des siècles par la circulation des techniques, des biens et des idées et balayés ces dernières décennies par l’uniformisation d’une mondialisation qui s’est accélérée .

L’artiste américain Spencer Tunick interroge nos rapports à la nudité et à ses images dans un travail qu’il poursuit depuis plus de vingt ans en photographiant des centaines de volontaires dénudés en différents lieux de par le monde. Contrairement à la plupart des images de nus féminins, démultipliées et omniprésentes depuis l’invention de la photographie, Tunick ne montre pas des corps réduits à l’état d’objets sexuels, mais une puissante intimité collective pacifique qui questionne notre rapport au monde et ses différentes possibilités d’évolution.

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L’exploitation du corps des femmes, rouage puissant de l’économie mondiale

Les Femen portent leurs revendications d’une façon très « écologique » qui ne coûte rien à la collectivité contrairement à d’autres types de manifestation. Leur action pacifique est politiquement très forte, ce qui suscite des réactions d’une violence physique (coups, interpellation « musclées ») ou symbolique (gardes à vue, procès) disproportionnées. Comme les militantes de l’association La Barbe, elles tendent au patriarcat un miroir qui en renvoie une image dont certains ne supportent pas la remise en question.

Poursuivies, insultées, ignorées ou raillées, les féministes ont encore bien du mal à se faire entendre. L’exploitation du corps des femmes, et les injustices qu’elle génère, reste l’un des rouages puissants de l’économie mondiale, tout comme l’immense part de travail non rémunéré (domestique ou pas) qu’elles accomplissent partout dans le monde, sans que dans la plupart du temps elles ne soient partie prenantes de l’écriture des lois qui régissent leur vie ou des décisions politico-socio-économiques qui engagent leur avenir et celui de leurs enfants en leur donnant accès – ou pas – à la paix, à l’alimentation, à l’éducation, à la santé, à un logement décent et au respect de leurs droits et libertés fondamentales – en particulier celui à disposer de leur corps et de leur sexualité.

Un courrier de Marlène Schiappa la nouvelle secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, aux Femen, a été lu à l’audience, saluant « un message politique » et « condamnant cette sexualisation systématique de la nudité féminine et le contrôle social du corps qui l’accompagne« .

Le jugement a été mis en délibéré au 28 juin. Une pétition a été mise en ligne pour soutenir ces femmes qui affrontent le patriarcat avec un courage qui force le respect.

 

Marie-Hélène Le Ny 50-50 magazine

 

 

 

 

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