Articles récents \ Monde Travailleurs et travailleuses domestique : de l’invisibilité à l’égalité ! 2/2

Le 16 juin a été proclamé « Journée internationale des travailleurs et travailleuses domestique ». On estime qu’environ 67 millions de personnes dans le monde, dont une large majorité de femmes, exercent différentes fonctions chez des particuliers, fonctions qui vont de la cuisine au jardinage en passant par le nettoyage, la conduite et les soins aux enfants et aux personnes âgées ou dépendantes. Parmi elles, nombreuses sont celles qui, sans protection sociale ni juridique, sont exploitées et victimes d’abus. Pour braquer les projecteurs sur les différents aspects de cette question en France, plusieurs associations se sont unies pour organiser une manifestation le samedi 17 juin à Paris, au Trocadéro.

Si la majorité des nounous sont des femmes, et le poids des conventions sociales ne fait que renforcer cet état de fait, il y a quelques hommes qui exercent ce métier. Junio témoigne.

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«Je viens de Philippines et j’ai 42 ans. J’ai travaillé sur des cargos et des tankers pendant 14 ans mais j’étais en mer environ neuf mois par an et ma femme souhaitait que je débarque. Elle m’a demandé de la rejoindre en France alors que je terminais un contrat aux Pays-Bas. Je suis arrivé en 2011 et je travaille pour une famille espagnole depuis plus de 4 ans. Je m’occupe d’un enfant de 10 ans, je prends soin de lui, je l’accompagne à l’école le matin, je lui prépare ses affaires et ses repas, je joue avec lui… J’ai aussi commencé à lui donner des leçons d’anglais. Ma femme quant à elle s’occupe d’un bébé.
C’est un bon travail et je suis fier qu’il me permette d’aider ma famille, j’ai deux filles étudiantes à l’université aux Philippines. J’espère qu’elles auront une meilleure vie professionnelle après leurs études.

Je fais souvent plus de 40h par semaine, j’ai un contrat de travail et j’espère avoir bientôt mes papiers. Ma femme vient d’obtenir les siens. Si je les obtiens, je pourrai aller voir mes filles en décembre prochain, je ne suis pas retourné dans mon pays depuis que je suis ici.

Aujourd’hui je suis venu soutenir mes ami-e-s et collègues qui travaillent dans le secteur domestique, nous voulons être entendu-e-s et faire valoir nos droits afin d’améliorer les conditions de travail de toutes et tous. La France est un pays plutôt bienveillant, mais nous voulons que le gouvernement nous entende pour que nos droits soient pleinement reconnus et respectés.

Il n’y a pas beaucoup d’hommes qui font ce travail, c’est important de savoir s’adapter aux situations que l’on rencontre dans la vie. En tant que père j’ai une connaissance des enfants qui m’aide dans mon travail, mais je dois aussi négocier avec mon employeur et accomplir différents travaux ménagers que je ne faisais pas avant… Pour réussir dans cette fonction, il faut s’adapter à ses employeurs… »

 

Des syndicats engagés

Deux syndicats soutiennent principalement ces travailleuses et travailleurs domestiques, la CFDT et la CGT pour laquelle Stéphane Fustec, de la Fédération CGT Commerce et Services  a pris la parole :


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« La CGT se bat depuis plusieurs années avec les travailleurs du secteur domestique pour la ratification de la convention 189. L’Europe l’a enfin ratifiée, mais il faut maintenant que la France le fasse aussi, Bernard Thibaud n’avait pas obtenu de suite à la demande faite au précédent gouvernement. Malgré un modèle social avancé au niveau international, la France ne peut pas se passer de cette convention car dans ce secteur du travail domestique il y a encore beaucoup d’abus, beaucoup de dérogations inacceptables, qu’elles concernent le temps de travail, les salaires ou la santé au travail…

La ratification par l’État français permettrait d’avancer. Mais il y a aussi la question de l’accueil public de la petite enfance et de l’aide à domicile. Tant qu’on ne prendra pas ce problème à bras le corps dans sa globalité, nous resterons avec des travailleurs déclassés, mal reconnus, alors qu’ils font un des métiers les plus nobles qui soit en s’occupant des jeunes enfants ou des personnes en perte d’autonomie, et qu’ils méritent tout notre respect. Nous souhaitons que ces travailleurs bénéficient des mêmes droits que les autres dans l’exercice de leurs fonctions. »

 

Une ONG aux côtés des travailleuses et travailleurs domestiques

Mégane Ghorbani, d’ActionAid France  qui a largement contribué à l’organisation de cette manifestation explique les motivations de son mouvement:

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« Cela fait un peu plus d’un an que nous travaillons avec d’autres associations et les syndicats à organiser cette première manifestation des travailleuses et travailleurs domestiques, les syndicats représentant les différentes branches d’activité.

À ActionAid France, nous menons une campagne intitulée « De l’invisibilité à l’égalité », dans laquelle nous ciblons principalement la problématique des travailleuses domestiques, du point de vue de la solidarité internationale. Nous nous sommes rendus compte que ce sujet est totalement invisible en France, que ce soit des politiques, des médias ou du grand public. Les travailleuses domestiques se mobilisent et sont solidaires de celles qui ne peuvent pas se mobiliser, partout dans le monde, parce qu’elles n’ont pas accès à leurs droits syndicaux les plus élémentaires.

Nous profitons de cette action liée à la journée internationale du travail domestique du 16 juin pour demander au nouveau gouvernement et à la nouvelle assemblée de prendre toutes les mesures nécessaires pour ratifier la convention internationale 189 de l’OIT. Nous attendons que la France la ratifie, comme l’ont déjà fait 25 pays, dont l’Italie. Le parlement européen a pris une résolution l’an dernier recommandant aux pays membres de ratifier cette convention. Nous nous focalisons donc maintenant sur le gouvernement français.

Tant que ce travail ne sera pas reconnu socialement et encadré dans sa pleine et entière légitimité, il sera difficile d’échapper aux mauvaises conditions de la clandestinité. Nombre de femmes sont engagées dans la mouvance informelle de ce travail domestique où elles sont souvent exploitées et rencontrent parfois des violences spécifiques de harcèlement sexuel de la part de leurs employeurs qui profitent de leur vulnérabilité. Cela les empêche de rejoindre les syndicats ou associations susceptibles de les aider à faire valoir leurs droits.

Il est très important que les citoyen-ne-s français soient conscient-e-s de cette problématique sur le territoire français. Elle ne touche pas que certains pays davantage médiatisés pour les abus et mauvais traitements qu’ils infligent à leurs travailleurs domestiques migrants, comme les pays du Golfe. Il faut se mobiliser et interpeller nos représentant-e-s pour faire évoluer le droit et les lois.

La France, qui est une actrice de premier plan quand aux droits humains sur la scène internationale, doit faciliter l’accès aux droits de toute,s sur son propre territoire. Le travail domestique est l’un des plus concernés par le travail forcé et le comité contre l’esclavage moderne est co-organisateur de cette journée et partie prenante de cette dynamique inter-associative et syndicale.

Il y a plus de 80% de femmes dans le travail domestique, mais il y a aussi une répartition sexuée qui fait que les femmes sont généralement affectées à l’aide aux personnes, enfants ou personnes âgées ou dépendantes, alors que les hommes seront chauffeurs, jardiniers ou gardiens pour des ménages privés. Les femmes sont victimes de violences sexuelles spécifiques, le droit de tutelle par exemple qui fait que certains peuvent décider de tout ce qui touche au corps et au mouvement de leurs employées. Et aussi dans le champ syndical nous rencontrons des problématiques spécifiques aux femmes qui sont sous-représentées et encore plus invisibilisées que les hommes.

Notre campagne se concentre donc sur les droits des femmes, sur la reconnaissance et la réduction de l’attribution exclusive aux femmes du travail de care, de soins à autrui. Pour permettre cette redistribution du travail domestique et lutter contre l’incorporation exclusive des femmes dans ces champs de compétences qui sont alors présentées comme « naturelles » aux femmes, l’Etat doit mettre en place des services publics de gardes d’enfants et d’aides aux personnes dépendantes, des congés parentaux »

 

Marie-Hélène Le Ny 50-50 magazine

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