Articles récents \ France \ Politique Mariette Sineau : «de lanterne rouge, la France devient « phare » en matière de parité législative.»

Mariette SINEAU est politologue au CNRS/Sciences Po, autrice de Femmes et pouvoir sous la Ve République. Le nombre de femmes à l’Assemblée Nationale a fortement progressé depuis le 18 juin, mais est-ce un gage de réel pouvoir, ont-elles acquis les postes les plus convoités, c’est à dire les plus  régaliens. Réponses d’une politologue qui propose une analyse genrée de la composition de l’Assemblée Nationale.

Les législatives des 11 et 18 juin ont apporté plus de 38% de femmes à l’Assemblée Nationale. Même si la parité n’est pas atteinte, la progression est considérable. Comment l’expliquez-vous ?

Les chiffres disent la forte avancée des femmes au sein de l’Assemblée nationale. De la XIVe à la XVe législature, le nombre des femmes députées est passé de 155 à 224, leur pourcentage, de 26,8% à 38,8%, soit une augmentation de 44,5%.

Observons que l’arrivée en masse des femmes au cœur du pouvoir républicain est concomitante de la déroute des partis de gouvernement, partis qui ont dominé si longtemps la vie politique en laissant les femmes au bord du chemin. Il a fallu une sorte de tabula rasa, une mise à l’écart des notables de la politique, pour que les Françaises accèdent, enfin, en nombre à la représentation nationale. Les raz de marées électoraux sont propices à l’élection de femmes, car des circonscriptions réputées « difficiles » – où elles si sont si souvent investies – sont finalement gagnées sur le fil.

Cependant, la féminisation de l’AN découle d’abord de la volonté du nouveau parti majoritaire de faire élire des femmes. La République En Marche (LREM) a été le seul grand parti, avec son allié Modem, à respecter la parité absolue des candidatures (50%), le seul à investir autant de femmes dans les circonscriptions les plus favorables (1) (47%), le seul, enfin, à afficher une proportion  d’élues très proche de la parité (47,4%). Par comparaison, le parti Les Républicains (LR) et – dans une moindre mesure – le Parti socialiste (PS) apparaissent bien à la traîne. LR n’a présenté que 38,9% de candidates pour n’en faire élire que 23%. Le PS, quant à lui, a investi  44,2% de femmes, et en a fait élire 38,7%. Notons que la formation de Jean-Luc Melenchon, La France insoumise, qui avait investi 47,5% de candidates, fait son entrée au Parlement et compte sept femmes parmi ses dix-sept élus, soit plus de 41%.

Le taux inédit de renouvellement de l’AN (71,9%), – qui a gommé l’effet « prime aux sortants » –  va peut être battre un nouveau record d’ici le 18 juillet, quand les 223 députés « cumulards » – des hommes le plus souvent – devront choisir entre leur mandat législatif et leur fonction exécutive locale, se conformant ainsi à la loi du 16 février 2014. Ce pourrait être une nouvelle occasion pour les femmes d’accroître leur présence à l’Assemblée.

 

Quelle est la place de la France au niveau mondial aujourd’hui, en terme de parité ?

En affichant désormais 38,8% d’élues à la chambre basse, la France rattrape bel et bien son retard. Elle troque le 63e rang mondial pour le 16e et se hisse du 15e rang européen au 5e rang… ! De lanterne rouge, la France devient « phare » en matière de parité législative. Une exemplarité d’autant plus notable que l’usage du scrutin uninominal pour élire les députés se prête mal à l’effectivité de la parité. La proportionnelle de liste, pratiquée dans la plupart des pays européens, rend plus aisée la réalisation de l’objectif paritaire.

Les quelque 39% de députées font écho aux 50% de femmes ministres… La parité gouvernementale est désormais acquise, tant sur le plan quantitatif que qualitatif puisque dans le 2e gouvernement d’Edouard Philippe deux postes régaliens, la Justice et les Armées, sont dévolus à des femmes. C’en est presque fini de l’exception française, pays où il était plus facile, proportionnellement, aux femmes de siéger au gouvernement que d’être élues à l’Assemblée.

Ajoutons, pour parachever le bilan paritaire, que les conseillers du président de la République comptent près de 38% de femmes. Même si les  cinq conseillers les plus influents (2) sont tous des hommes. La parité a ses limites, celles du fameux « plafond de verre » interdisant aux femmes  l’accès au dernier cercle…

 

Plus nombreuses sur les bancs de l’hémicycle, les femmes jouent-elles un plus grand rôle sein du Bureau de l’Assemblée nationale ?

La composition du bureau de l’AN – la plus haute autorité collégiale, compétente sur l’organisation et le fonctionnement de l’Assemblée  – est révélatrice du processus  d’empowerment des députées. Le bureau est pour la première fois paritaire, comprenant 11 femmes sur 22 membres, contre moins d’un tiers dans la XIVe législature et moins de 20% dans la XIIIe. Pourtant, la parité qualitative n’est pas au rendez-vous. Une seule femme est présente parmi les trois questeurs, tandis que le Président de l’AN, 4e personnage de l’Etat, est incarné par François de Rugy. Le nouveau pouvoir n’a donc pas mis fin à cette anomalie qui fait qu’en France, aucune femme n’a, jamais, présidé aucune des deux chambres du Parlement (3). Ce fut ressenti par beaucoup comme une nouvelle occasion manquée pour les femmes, après la désignation « manquée » d’une femme au poste de Premier Ministre.

Signe manifeste que le pouvoir parlementaire reste sous domination masculine : aucune femme n’a été désignée pour présider l’un des sept groupes politiques de l’AN. Cette asymétrie dans la distribution du pouvoir explique en définitive qu’au sein de la puissante conférence des présidents (4), les hommes fassent toujours la loi, même si les femmes y ont vu leur nombre augmenter (elles sont désormais 7 sur/24 membres actuellement désignés (5), soit 29%, contre 14% en 2007). En restant très minoritaires au sein de l’organe qui dispose des plus grandes prérogatives politiques (6), les femmes ne sont toujours pas en situation d’exercer un réel pouvoir au sein de l’hémicycle.

 

La répartition des femmes au sein des huit Commissions permanentes marque-t-elle une rupture par rapport aux précédentes législatures ?

La vraie rupture est celle-ci : la parité des présidences de Commissions permanentes est devenue réalité. C’est là une grande première historique.  Le groupe majoritaire, qui a obtenu six présidences de Commission sur huit, a imposé quatre femmes à la tête des Commissions, dont deux qui comptent parmi les plus prestigieuses : les Affaires étrangères (Marielle de Sarnez) et les Lois (Yaël Braun-Pivet). Les deux autres commissions présidées par les femmes sont celle du Développement durable et de l’Aménagement des Territoires (Barbara Pompili) et celle des Affaires sociales (Brigitte Bourguignon).

Autre rupture : les femmes font une entrée remarquée dans les bureaux de toutes les  Commissions permanentes: leur proportion n’y est jamais inférieure à 30% (Affaires sociales) et atteint plus de 55% à la Commission des Affaires étrangères, 44% à celle des Affaires économiques, 40% aux Finances. C’est là un progrès notable, si on veut bien se souvenir qu’en  2007, deux commissions (Finances et Lois) avaient des bureaux de composition toute masculine. Les progrès accomplis ne font pas disparaître la division verticale du pouvoir entre les sexes. Les hommes, majoritaires dans les bureaux de sept commissions sur huit, gardent la part belle dans l’exercice des vice-présidences (7). Last but not least, les postes stratégiques de rapporteur général de la Commission des Finances et de rapporteur général de la Commission des Affaires Sociales sont aussi aux mains des hommes.

Si, au sein des Commissions permanentes, les femmes ont quelque peu bousculé la division verticale du pouvoir entre les sexes, en revanche, la division horizontale du travail rappelle le monde d’avant. La surreprésentation des hommes dans les commissions référant à des questions « régaliennes » est patente : 73% d’hommes dans celle de la Défense, 64% dans la Commission des Affaires étrangères. De même, les hommes sont ultra majoritaires dans la commission des Lois (70%), dans celle des Finances ( 66%) dans celle des Affaires économiques (66%), dans celle du Développement durable (61%). Les femmes ne sont majoritaires que dans les deux commissions qui touchent à des questions étiquetées « féminines », celle des Affaires culturelles et de l’Education (59,1%) et celle des Affaires Sociales (52%).

 

Plus de femmes à l’Assemblée nationale, qu’est que cela va changer ?

Le contexte politique n’a jamais été aussi propice au changement. Le rajeunissement et la féminisation sans précédent de l’Assemblée nationale, la présence en son sein de nombreux membres de la « société civile », vont de pair avec la volonté du nouveau groupe majoritaire de changer les choses : « De nouveaux visages pour de nouveaux usages ». En occupant près de 40% des sièges de l’hémicycle et plus de 47% de ceux du groupe du parti majoritaire, les femmes sont au cœur du renouvellement parlementaire. La « masse critique » qu’elles constituent désormais devrait leur permettre de faire davantage entendre leur voix, même si elles restent minoritaires aux postes de pouvoir.

Rappelons qu’il ne saurait y avoir aucun automatisme : plus de femmes en politique n’a pas pour effet mécanique d’accorder priorité aux droits des femmes. Cependant, il faut bien voir que si les femmes ne sont pas en situation de responsabilité, les hommes ne se saisissent pas de certains sujets ou sont minoritaires à le faire, car ils ne se sentent pas concernés. La présence de nombreuses femmes jeunes, actives, non professionnelles de la politique, sur les bancs de l’Assemblée pourrait ainsi aider à « politiser » des questions essentielles, comme l’égalité salariale et professionnelle ou la garde des jeunes enfants. Qui loin d’être des problèmes de femmes sont éminemment politiques. Les débats parlementaires des cinq années à venir seront, sous ce registre, passionnants à analyser, faisant de l’Assemblée nationale un laboratoire d’analyse.

 

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine

 

1 Les circonscriptions étiquetées comme les plus favorables sont celles qui ont réalisé au 1er tour de la présidentielle un score supérieur à 6 points ou plus à la moyenne nationale.

2 Les cinq « hommes forts » du président exercent les fonctions de Secrétaire général de l’Elysée (Alexis Kohler), Directeur de cabinet (Patrick Strzoda), Conseiller diplomatique (Philippe Etienne), Conseiller spécial (Ismaël Emelien), et Responsable de la communication (Sylvain Fort).

3 Le président du groupe LREM, Richard Ferrand, a annoncé que le « perchoir » et les postes de responsabilité détenus par le parti majoritaire seront remis en jeu à mi-mandat. Les femmes pourront-elles à cette occasion accéder enfin à la présidence de l’AN ?

4 La conférence des présidents comprend : le Président de l’AN, les 6 vice-présidents, les  présidents des Commissions permanentes, le rapporteur général de la Commission des Affaires sociales, le rapporteur de la Commission des Finances, le rapporteur de la Commission des Affaires européennes, les 7 présidents de groupe.

5 Un autre membre, le Président de la commission des Affaires Européennes, sera désigné courant juillet.

6 Dont celle de préparer le travail parlementaire, de fixer le calendrier de l’examen et de la discussion des textes et enfin de fixer la moitié de l’ordre du jour.

7 Les femmes n’occupent que 10 postes de vice présidents sur 32, soit 31,2%.

 

Mariette SINEAU : Femmes et pouvoir sous la Ve République- Presses de Sciences Po 2011

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