Articles récents \ Contributions Nina Sankari : « en Pologne, les droits reproductifs et sexuels sont devenus le butin de guerre de l’Église »

Bientôt trente ans après le début de la transformation, dite démocratique, pour laquelle se sont battus des millions, les Polonaises et les Polonais sortent de nouveau en masse dans la rue pour protester.

Pourquoi ? Parce que ladite transformation démocratique fut contaminée par un germe mortel : l’alliance du trône et de l’autel. Ce n’est pas à ça que s’attendaient les gens en Pologne et dans d’autres pays ex-communistes. Je représente ici, entre outre, la Fondation de Kazimierz Lyszczynski, dont le patron fut cruellement exécuté il y a plus de 300 ans pour avoir écrit le traité philosophique « De non existentia Dei ». Aujourd’hui l’inquisition est de retour en Pologne. La chasse aux sorcières est ouverte et on menace les athées de déportation.

La célèbre transition de 1989 en Pologne fut accompagnée de l’appropriation du pouvoir par l’Église catholique grâce à son alliance avec la droite. L’Église présenta une lourde facture pour son rôle incontestable dans la chute du régime dit communiste. L’Épiscopat polonais s’opposa à ce que la séparation de l’Église et de l’État, la laïcité ou la neutralité soient inscrits dans la Constitution.

 

Les femmes ont payé cher le changement de 1989

Les Polonaises avaient le droit à l’IVG depuis 1956, obtenu après un débat parlementaire à l’appui des chiffres effrayants : 300 000 avortements illégaux par an, 80 000 femmes admises dans les hôpitaux suite à un avortement clandestin, dont 2 % décédées. Elles ont payé cher le changement de 1989. Leurs droits reproductifs et sexuels sont devenus le butin de guerre de l’Église et de ses vassaux politiques. Une loi anti-avortement très restrictive (appelé en toute hypocrisie « le compromis abortif »)  fut votée en 1993, contrairement à l’avis de l’opinion publique et en violation des principes fondamentaux de la démocratie. Une initiative citoyenne ayant rassemblé 1,5 million de signatures, demandant un référendum sur la question, fut tout simplement négligée.

Pour les politiciens de droite à gauche, ce n’était pas un prix trop élevé à payer pour le support venant de l’église. Ce compromis fut donc conclu, non pas avec les femmes, mais avec les évêques et la démocratie. Mais de tels compromis mènent inévitablement au démontage de la démocratie.

La Pologne «crucifiée» du Parlement aux bureaux de poste, et de la crèche jusqu’à l’université ; les femmes obligées d’accoucher d’enfants non viables ; l’école publique transformée en madrasa catholique avec plus de cours de religion que de biologie, chimie et physique ensemble ; la recherche scientifique subissant des pressions ; les artistes à la parole bâillonnée ; les médecins et les enseignant.e.s incité.e.s à reconnaître la suprématie de la loi divine sur celle de l’Etat, les juges s’appuyant sur le droit canon, les prêtres au-dessus de la loi et les députés qui prient pour faire pleuvoir, voilà la situation de facto en 2014, avant la prise du pouvoir par le parti Droit et Justice.

 

Une monnaie qui s’appelle «droits des femmes»

En 2015, après sa victoire électorale, la droite national-catholique s’est mise à voter nuit après nuit des lois visant le démontage de la démocratie et permettant l’instauration des formes autoritaires du gouvernement de iure.
Alors l’épiscopat polonais émet une nouvelle facture à payer et elle aussi est libellée dans une monnaie qui s’appelle «droits des femmes.»

Les ultra catholiques déposent un projet d’interdiction totale de l’avortement et de criminalisation des femmes, du médecin et des personnes participant à l’acte. Ce projet ouvertement féminicide a obtenu le soutien du gouvernement polonais, condamnant à mort la femme pour qui la grossesse constitue une menace. Il en obligeait d’autres à mener la grossesse à terme avec un fœtus non viable et à assister, impuissantes, une fois l’enfant né, à son agonie. Il en forçait d’autres à donner naissance à un enfant né d’un viol. Mais sans l’IVG, le droit à l’avortement légal cesse d’être appliqué pour devenir une fiction juridique.

La résistance à ce projet barbare a réussi à mobiliser des masses inactives jusque là. Les premières protestations ont eu lieu sous le slogan «Pas un pas en arrière». Les féministes ont saisi l’occasion pour briser le soi-disant «compromis» hypocrite sur l’avortement. Le Comité d’Initiative législative «Sauvons les femmes» a proposé un projet de loi citoyen qui a collecté presque  250 000 signatures et qui prévoyait la possibilité d’interruption légale de la grossesse jusqu’à la 12e semaine, la contraception et l’éducation sexuelle à l’école. Le rejet de ce projet au Parlement et l’envoi aux travaux du projet ultra-catholique postulant l’interdiction totale d’avortement et la criminalisation de a femme ayant eu un avortement a provoqué la rage chez les femmes.

 

Lundi Noir

Le Lundi Noir du 3 Octobre 2016 a rassemblé plus de 160 000 femmes vêtues de noir, des dizaines de milliers dans de grandes villes mais aussi, fait nouveau, des femmes ont protesté dans les villages. Varsovie a été inondée par une marée de femmes aux parapluie (devenu un symbole de résistance) ce qui a fait reculer le gouvernement.

Ces protestations ont déclenché une éducation populaire accélérée : aujourd’hui il ne s’agit plus pour les femmes de défendre le compromis hypocrite mais de réclamer l’IVG comme leur droit de décider librement  de leur corps et leur sort. Il y a eu également une prise de conscience concernant le rôle de l’Eglise dans la guerre contre les femmes. Celle-là, a incité de nouveau des catholiques à déposer un projet interdisant cette fois-ci l’avortement dit « eugénique ». Selon Jaroslaw Kaczynski une femme doit accoucher d’un enfant non viable pour qu’il soit baptisé !  Le Comité «Sauvons les femmes» réactivé sous le titre «Sauvons les femmes 2017»  a procédé à une nouvelle collecte des signatures. Nous  savons très bien que ce projet n’aboutira pas mais son but est de mobiliser encore plus la société, en montrant que la guerre contre les femmes c’est la guerre contre la démocratie. A l’anniversaire du Lundi Noir, les femmes sont sorties de nouveau massivement dans la rue en signe d’avertissement.

Maintenant il n’y a pas que les féministes qui savent que la démocratie sans les femmes n’est pas du tout une démocratie. La question du libre choix de la femme, touche la société dans son ensemble. L’asservissement des femmes par un gouvernement autoritaire, c’est le début de l’asservissement de toute la société. Les femmes se trouvent maintenant à la tête de la résistance citoyenne contre le pouvoir autoritaire sur tous les fronts : luttes politiques, économiques, sociales, écologiques, pour la laïcité etc. Souvent elles sont plus actives comme représentantes des partis d’opposition et l’opinion publique les préfère aux leaders masculins actuels. Ce sont les femmes qui dirigent beaucoup de protestations et qui prennent la parole. Elles protestent contre l’exploitation forestière dans la forêt primitive de Bialowieza, viennent au secours aux populations touchées au nord et à l’ouest de la Pologne par des tempêtes, sont à l’origine et à la direction de la plus grande alliance des forces pro-démocratiques. Mais elles sont aussi les cibles des forces de l’ordre, subissant des violences physiques pendant les manifestations de la police, chose jamais vue en Pologne auparavant, et des commandos national-catholiques. Elles sont suivies, écoutées, interrogées et arrêtées. La répression s’installe.

La Pologne ne sera ni européenne ni souveraine sous le joug religieux qui mène tout droit au régime autoritaire théocratique. l’Europe ne sera pas démocratique en acceptant la discrimination des femmes et d’autres groupes à motivation religieuse, les devises liberté, égalité, fraternité seront vidés de sens, l’humanité ne pourra pas continuer sa marche vers l’émancipation en laissant les religions répandre leur haine des femmes, des personnes LGBT+, d’athées, leur ignorance et l’obscurantisme.

Le 21e siècle sera un siècle de libération des religions liberticides, ou il ne sera pas. Et nous, les femmes, avons notre rôle à jouer dans ce processus. Il ne s’agit plus pour nous de réclamer un morceau égale de la tarte patriarcale amère. Il s’agit d’abolir le patriarcat.

Je propose une Marseillaise mondiale et féministe : Allons les femmes de la Planète !

 

Nina Sankari 

Intervention de Nina Sankari  lors de l’ouverture du Congrès de Femmes Solidaires des 13/14/15  octobre 2017.

print