Articles récents \ Île de France \ Société Ynaée Benaben : « Notre angle d’attaque : la prévention des violences faites aux femmes »

En avant toute(s) est une association créée en 2013 dans le but de prévenir et sensibiliser aux violences faites aux femmes. Faites par des jeunes pour les jeunes, l’association a fait le pari du numérique pour toucher son coeur de cible. Ynaée Benaben, co-fondatrice d’En avant toute(s), responsable des programmes et des partenariats revient sur le travail de l’association.

 

Comment l’association En avant toute(s) est-elle née ?

En 2013, j’ai créé En avant toute(s) avec Thomas Humbert, qui est maintenant co-président avec Céleste Danos, dans le but d’agir pour les droits des femmes, sans avoir choisi un angle d’approche.

Nous sommes allé·e·s voir des associations franciliennes de terrain et nous avons fait avec elles un bilan des manques et des besoins principaux qu’elles ne pouvaient pas couvrir. Nous voulions être en complémentarité de leurs actions.

Nous avons constaté qu’il fallait prévenir les violences, en complémentarité de l’accompagnement aux victimes. Nous avons également décidé de nous adresser aux moins de 30 ans, pour deux raisons : d’abord parce que nous sommes une équipe de jeunes, donc cela fait sens, et ensuite parce que les associations de terrain, dans leurs diagnostiques, nous ont expliqué que très peu de jeunes femmes s’adressaient à elles, alors qu’elles sont extrêmement touchées par les violences conjugales. 1 femmes sur 10 subit des violences conjugales et parmi elles, 17% ont entre 20 et 24 ans ce qui fait presque 1 femme sur 6.

Nous avions trouvé notre angle d’attaque : la prévention des violences faites aux femmes, et l’accompagnement des victimes de violences conjugales chez les moins de 30 ans.

Aujourd’hui, nous avons un super réseau mixte de 35 bénévoles actives/actifs organisé·e·s en 7 pôles différents : recherche, prévention, communication, numérique, visibilité, événementiel et financement. Les femmes sont très engagées dans notre association mais nous avons également des hommes qui se mobilisent d’une manière particulière. C’est important d’avoir un réseau mixte de bénévoles.

 

Quelles ont été les difficultés rencontrées lors de la création de l’association ?

Nous voulions nous installer dans les Yvelines, car c’est un département qui manque particulièrement de structures sur la question. Seul l’Institut en santé génésique est orienté vers les réparations des mutilations sexuelles féminines mais, de fait, accompagne des femmes victimes de toutes sortes de violences. Les Yvelines sont vraiment un département peu, voire pas, engagé sur la question des violences faites aux femmes. Nous voulions ouvrir notre association là-bas mais nous avons été extrêmement mal reçu·e·s par la mairie, le conseil régional, et les instances politiques qui ont vu d’un œil dubitatif notre installation. Tant qu’il n’y a pas d’associations, il n’y a pas de chiffres. Tant qu’il n’y a pas de chiffres, les organes politiques peuvent prétendre qu’il n’y a pas de violences. Dans ce département, il y a très peu de moyens de collecte de la parole des femmes victimes.

Suite aux blocages politiques, nous avons compris que ce serait difficile d’agir sur le terrain. Nous avons donc décidé de miser sur le numérique.

 

Quelles sont les actions d’En avant toute(s) en termes de prévention ?

Nous prévenons les comportements sexistes en déconstruisant les stéréotypes de genre et en essayant de sensibiliser au sexisme les collégien·ne·s, lycéen·ne·s, étudiant·e·s, les membres des associations et les professionnel·le·s jeunesse. Nous formons les animatrices/animateurs, éducatrices/éducateurs à ne pas être sexistes dans leurs comportements, à savoir aborder ces questions avec les jeunes et à savoir réagir aux violences.

En 2016, nous sommes intervenues dans une dizaine d’établissements sur un total d’une centaine d’heures de formation. Nous avons beaucoup travaillé dans le Val-d’Oise avec l’association Du côté des femmes (lire notre article) qui nous a formé à leurs modes d’intervention, ce qui a nous a été d’un grand soutien. La subvention qui permettait ces interventions, a été retirée cette année, à la suite de la coupe budgétaire qui touche un grand nombre d’associations de défense des droits des femmes.

En ateliers, nous travaillons sur toutes les formes de violences faites aux femmes, notamment le cybersexisme, le revenge porn etc. Le numérique est notre angle de travail, nous intervenons donc beaucoup sur les cyberviolences. Nous avons travaillé, l’année dernière, sur la déconstruction du cybersexisme avec Du côte des femmes et le Centre Hubertine Auclert et nous travaillons avec le collectif : Féministes contre le cyberharcèlement.

 

Quels sont les actions d’En avant toute(s) en termes d’accompagnement ?

Pour le volet accompagnement, nous nous occupons de femmes victimes de violences dans le couple. Nous ciblons les jeunes femmes qui se posent des questions sur leur couple, sur ce qu’elles vivent etc. Nous avons ouvert le premier chat d’accompagnement qui fonctionne 3 demi-journées par semaine (1). Nous sommes 2 répondantes en permanence derrière le chat.

Le 25 novembre, nous lancerons une étude sur l’utilisation du chat et nous organiserons un grand événement pour fêter les 1 an du dispositif.

Chaque fois que le chat est ouvert, il y a des connections de jeunes femmes qui racontent ce qu’elles vivent. C’est également une manière pour elles de mettre à distance ce qu’elles vivent et de faire la part des choses. Nous sommes à leur écoute, nous ne portons pas de jugement.

Certaines se connectent en ayant analysé qu’elles vivent des violences, elles disent « mon copain est violent, je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas s’il peut changer, ou si je dois partir ». Nous ne leur disons jamais quoi faire. Nous ne sommes pas injonctives. Nous les aidons à trouver une aide dans leur cercle  de proche, ou auprès d’associations de terrain. Ce qui est très fort dans l’emprise des violences conjugales, c’est ce sentiment que l’on est incapable de faire quoi que ce soit. Elles ont une estime d’elles-mêmes tellement abîmée qu’elles sont persuadées que seules, elles sont incapables de faire quoi que ce soit. Nous les aidons à se rendre compte de leurs potentiels.

Certaines nous écrivent « j’ai un problème dans mon couple, je trouve qu’il crie trop », et puis en discutant, nous réalisons qu’elles subissent des violences physiques, verbales, psychologiques etc. Nous les aidons à réaliser ces violences. Si elles veulent partir, nous les encourageons ; si elles veulent rester, nous les aidons à trouver des forces, en respectant leur temporalité.

Le chat est aussi, au-delà de l’accompagnement, un outil de diagnostic national, parce que nous accompagnons des femmes de toute la France métropolitaine, de Guyane, de Belgique, de Nouvelle Calédonie, de Suisse, du Royaume-Uni etc.

 

Quel avenir pour En avant toute(s) ?

Nous nous projetons sur une très bonne année 2018. Le chat a acquis une belle notoriété. Il y a de plus en plus d’utilisatrices. Nous avons lancé un financement participatif du 15 octobre au 30 novembre qui décidera de ce que nous pourrons faire du dispositif. Notre objectif est de proposer un chat ouvert 24/7. A chaque fois que nous ouvrons un nouvel horaire, de nouvelles utilisatrices se connectent. Mais nous sommes extrêmement dépendantes des financements que nous obtenons, c’est pour ça que ce crowdfunding est si important.

L’association est dotée d’un pôle numérique qui nous a permis d’analyser qu’il y a beaucoup de violences pendant les week-ends car les couples sont ensembles toute la journée, donc le dimanche soir, il y a une forte demande d’aide, et de communication des jeunes filles.

 

Propos recueillis par Salome 50-50 Magazine 

 

1 Ouverture du chat le lundi de 15h à 17h, le mardi de 15h à 17h et le mercredi de 14h à 18h

print