Articles récents \ Culture \ Livres Hala Kodmani : Seule dans Raqqa 2/2

Seule dans Raqqa, un livre important qui nous fait comprendre, toucher du doigt ce qu’ont vécu au quotidien les habitant.e.s de Raqqa. Hala Kodmani journaliste, autrice franco-syrienne s’est rendue dans cette ville tenue par DAESH et nous raconte à travers une femme facebook l’histoire tragique de Syrien.ne.s dont on a peu suffisamment relaté les souffrances.

Est-ce que sa séparation avec son compagnon peut avoir un rapport avec ses prises de risque ?

C’est possible. Je n’ai eu aucune confirmation dans ce sens, mais je laisse cette possibilité ouverte.
Parce qu’une fois de plus, quand elle joue de ses personnages, on se demande si il n’y a pas chez elle une part de mythomanie. Son histoire d’amour, on peut se demander si elle est réelle ou non.
Je ne peux pas l’affirmer. Ce garçon est aussi sous pseudo. J’ai essayé de le retrouver mais je n’ai pas réussi. Sa page Facebook était fermée, je me demande si il n’est pas mort… Il n’était pas de Raqqa.
Aucun.e des proches de Nissan ne connaisait cette histoire.
Elle a pu très bien la vivre dans le secret et cela a pu contribuer à sa plus grande implication dans les derniers mois.

Je crois que c’est seulement quand elle a vu tous les horizons se fermer qu’elle s’est engagée vraiment.
Elle le dit : « Oui je sais que je suis entrain de risquer ma vie« , « Ma tête ne sert plus à rien si je n’ai plus de dignité« , « On peut me tuer maintenant, je suis déjà morte« .
C’est vraiment à travers l’avancée dans le désespoir qu’elle est devenu héroïne, parce que c’était la seule issue. Elle était désespérée de tout. Un grand nombre d’habitant.e.s de Raqqa sont parti.e.s. Sa résistance, c’est aussi une résistance pour rester à Raqqa. C’était exemplaire de vouloir rester à Raqqa.

Une chose m’a marqué, quand les habitant.e.s commencent à être libéré.e.s, les femmes gardent encore leur niquab.
C’est tout ce qu’elles avaient sur elles. Parfois c’est aussi pour pas être reconnues,
pour pas être identifiées à travers les images. Mais dès qu’elles arrivent ailleurs, elles l’enlèvent.
On s’attend qu’elles fassent ce geste symbolique et spectaculaire C’est une attitude peut-être un peu occidentale aussi (rire). Une attente très féministe d’occident (rire).
Ce n’est pas la priorité pour elles. Elles ont souffert de bien d’autres choses, plus graves que le port du niqab.

Rallonge ton abaya… Boutonne ton abaya
ne soulève pas ton abaya… Aucun ornement sur
l’abaya… Je te hais toi et ton abaya ! Je préfére-
rais enfiler un sac de jute plutôt qu’une abaya de
malheur ! Mais si les femmes s’habillaient de sacs
de jute, vous les regarderiez encore avec vos yeux
salaces, sales Dawaech !                                   
                                                         Nissan, 28 Mai 2014.

Même intégralement recouvertes de noir, respectant l’uniforme imposé par l’État islamique, les femmes se font harceler dans la rue par jihadistes.

Nissan l’avait retourné à son avantage, parce qu’elle pouvait aller dans la rue sans que personne ne la reconnaisse. C’était devenu un cache.

Où en sont les femmes qui ont souffert de DAESH ?

Raqqa a été complétement anéantie donc complètement vidée.
Personne n’a tenu compte de la population. À un moment donné, la coalition devra rendre des comptes parcequ’elle a détruit toutes les habitations, tous les logements, dispersé tous les habitant.e.s. Elle a même tué, des civils par milliers.
Je sais qu’aujourd’hui, il y a des gens qui essayent de revenir à Raqqa. Il y en a qui sautent sur des mines parce qu’ils ont simplement voulu retourner chez eux. Il y a les forces Kurdes qui tiennent la ville et demandent de l’argent au gens pour le déminage de leur quartier, de leur rue ou de leur maison.

La Coalition ne peut -elle pas payer le déminage ?

Entre autres ! C’est le minimum. Après tout ce qu’elle a fait. Au lieu d’aller crier victoire comme l’a fait Macron. Qu’ont-ils ont gagné ? Juste cette sensation de vengeance après ce qui s’est passé au Bataclan, « On a poussé DAESH en dehors de Raqqa… ».
Je pense que la population de Raqqa n’a jamais existé au yeux du monde. Et cela je pense que les habitant.e.s de cette ville le vivent très, très mal.
La coalition croit que les Syrien.ne.s vont la remercier de les avoir libéré de DAESH. Mais de quelle manière..
Personne ne dit merci la Coalition, ah non !
La Coalition ne les a pas libéré puiqu’ils ne sont plus chez eux. Ils les ont explusé et détruit la ville. La ville est ravagée.

Beaucoup sont dans des camps de réfugié.e.s à 50 km de Rakka.

Est-ce qu’il y a des aides psychologiques pour ces personnes ?

Oui, il y a beaucoup d’ONG présentes sur le terrain. Sinon ces Syrien.ne.s ont fui un peu partout. Il y a eu une fuite massive avant que DAESH ne prenne totalement le contrôle de la ville.
Par la suite aussi, avant que la ville ne soit assiégée, un grand nombre de personnes sont parties.
Au début de la bataille, tant qu’il y avait des possibilités, il y a eu aussi des départs.
C’est vrai que sur 3 ans, la population de Raqqa n’a pas arrêté de partir.

De nombreuses femmes on été violées et des hommes aussi, non ?
Oui, on a parlé des viols dans les prisons syriennes etc.. mais on n’a pas parlé des hommes violés et il y en a eu un grand nombre !
On parle plus des femmes parce qu’il y en a beaucoup plus, mais il a aussi beaucoup de viols d’hommes.
Quels sont les retours sur vôtre livre qui vous ont donné le plus d’espoirs ?
Ce qui m’a donné beaucoup d’espoir, avec un lectorat français ou du moins occidental, qui sont des gens qui n’ont pas vécu ces violences, qui ne sont évidement pas Syriens, car mon livre n’a pas été traduit en arabe, c’est que j’ai été très touché par les jeunes. Des lycéen.ne.s, m’ont écrit, ont cherché à me rencontrer.

Il est certain que mon public est en majorité féminin. Là où j’ai le plus de retour c’est sur l’identification de femmes françaises aux femmes syriennes évidement mais il y a aussi les réactions des jeunes. C’est ce qui m’a le plus touché.
J’ai eu aussi quelques rencontres avec des jeunes autour du livre.

Ces rencontres se sont passées dans des écoles, des lycées ?

Non, pas directement dans les écoles et lycées mais avec des collégien.ne.s et lycéen.ne.s. Et c’est vrai que pour elles/eux c’était une histoire exemplaire avec un destin extraodinaire.
Et cela m’a beaucoup touché, de voir qu’une jeunesse française « tranquille » pouvait être intéressée de découvrir pas simplement l’histoire d’une fille, mais à travers elle, l’histoire d’une ville, l’histoire d’une résistance colléctive. Beaucoup me disaient : « avec ce livre, on redécouvre toute l’histoire« . C’est ce qui m’a donné le plus de satisfaction.

Et ce qui m’a rendu plus que fière, c’est Daniel Cohn-Bendit qui a consacré une de ses chroniques sur Europe1 à Seule dans Raqqa expliquant:  » Si vous voulez tout comprendre du conflit syrien, lisez Seule dans Raqqa’« .

J’étais donc très fière que Danny Cohn- Bendit y consacre une chronique mais surtout qu’il ait compris le fond de mon intention. Je veux qu’à travers ce livre, les gens découvrent toute l’histoire perdu de cette révolution syrienne. Cette histoire qui a été complètement polluée par les Djihadistes, qui ont fait oublier Bachar el-Assad, qui ont fait oublier l’élan populaire extraordinaire qui a eu lieu au début et qui revient dans ce livre à travers l’histoire cette fille, Nissan, qui était complètement prise par ce mouvement.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine

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