Articles récents \ France \ Société Rosen Hicher : "C’est épouvantable de voir que 100 % de ces ex-prostituées finissent sans rien " 2/2

Rosen Hicher, est une survivante de la prostitution. Pendant 22 ans elle a vécu l’enfer de la prostitution. Depuis plusieurs années, elle travaille aux côtés, entre autres, du Mouvement du Nid et de la Fondation Scelles. En 2014, elle a fait une marche de 800 km en passant par ses lieux de prostitution. Elle est co-fondatrice, avec Laurence Noel, du mouvement des Survivantes. L’objectif de ce mouvement est d’accompagner les femmes qui veulent sortir de ce qui est tout, sauf un métier.


Arrive t-on à retouver le numéro de sécurité social des femmes que vous accompagnez?

Oui ! Au bout de 30 secondes !
Il suffit juste à taper un nom. Elles ne sont pas capables des démarches seules. Elles ne savent pas comment faire, comment demander. Elles vont raconter toute leur vie pour demander un numéro de sécurité social. Comme ces femmes là ont un sentiment de culpabilité, elles ont l’impression qu’elles doivent expliquer pourquoi elles ne connaissent pas leur numéro de sécurité sociale. À la fin, tout aura été oublié et la personne va leur dire : «
Je ne peux rien faire pour vous. »

En fait, les anciennes prostituées expliquent plein de choses avant de faire leurs demandes. Et ça, la sécurité sociale ne le comprend pas. Alors qu’en fait il suffit de remplir 4 lignes, c’est rapide. On les a prises en charges toutes leur vie, donc elles ne sont plus capables de se prendre en charge.

Et c’est alors aux actrices/acteurs sociaux de s’en occuper, aux médecins, aux personnels hospitaliers…

 

Racontent-elles leur vie dans les pays dans lesquels elles ont vécu ?

Elles ont appris beaucoup dans les pays où elles ont vécu. Elles me parlent beaucoup de ces pays, mais elles tournent en rond. Elles me parlent, par exemple d’un travail de vente de biens immobiliers, mais en fait, elles étaient le cadeau des clients ! Elles ont fini par s’approprier le travail pour se donner ainsi le moyen de survivre. Elles vont parler de leur permis de conduire en Algérie, qu’elles ont repassé au Mexique, puis en Thaïlande.

Elles parlent de copains mystérieux, de relations éphémères, des hommes qui leur ont permis de voyager. Elles ne parlent pas de prostitution. Elles semblent ne pas savoir que ce qu’elles ont vécu était de la prostitution.
Souvent lorsque l’on est dans la prostitution, on s’invente une vie. Il ne faut pas se tromper entre la vie ‘réelle‘ et la vie dans la prostitution, mais souvent elles les confondent.
On en est là ! On en est là !

Au moment où la traite des blanches était très active, il y a eu des lavages de cerveaux.
Les femmes que j’accompagne savent où elles sont nées, mais elles ont des prénoms qu’elles ont transformé, elles les ont adapté en fonction de l’endroit où elles vivaient. Parfois elles cherchent leur vrai nom … 

Tout est confus dans leur tête. Je me retrouve face à des femmes qui sont totalement dans un autre monde.

Et pourtant, on a l’impression que ces femmes sont des « surfemmes » parce qu’elles ont un niveau intellectuel et des connaissances incroyables. Pour le reste, sur le plan de l’identité, ce sont des bébés.

 

Est-ce que ces femmes ont pu épargner un peu d’argent ?

Je peux vous parler des deux dernières dont je me suis occupée qui sont vraiment dans la misère.
Il y en a une, Christina, dont le vrai prénom est Christine, qui était à la rue, alors elle a squatté la maison de sa sœur qui a voulu l’expulser. Elle a fait couper l’eau et l’électricité pour la faire partir, mais cela n’a pas suffit. Christine a en plus ramené une copine. La sœur n’a en fait plus les moyens de les faire expulser.
C’est une histoire assez improbable. Les parents de Christine avaient un cabinet de radiologie. C’était une famille richissime.

Une autre était à la rue, puis elle a vécu chez une copine mais ça ne s’est pas bien passé entre elles et elle est partie vivre chez une autre…

C’est épouvantable de voir que 100 % de ces femmes finissent sans rien. Même moi, quand j’étais prostituée, je n’en avais pas pris conscience. Et le fonds de solidarité pour la retraite, elles le demandent très tard. À 73 / 76 ans, ce n’est plus le RSA, mais le fonds de solidarité qu’elles peuvent toucher et elles ont du mal à l’avoir. Certaines d’entre elles sont bloquées, car n’arrivant pas à rechercher leur numéro de sécurité sociale, elles ne peuvent rien avoir.

Ces femmes ont disparu pendant un certain temps et personne ne s’en jamais est soucié.

On leur donnait à manger comme des oies sauf qu’on ne les tuait pas.



Y-a t-il une différence entre
les femmes prostituées en France et le trafic de femmes qui passent de pays en pays ?

Ces femmes qui subissent le trafic vivent l’enfer. Moi quand j’étais prostituée, j’étais indépendante et j’estime avoir vécu l’enfer, alors ces femmes là, elles vivent l’enfer en permanence !

Moi j’avais des moments de répit grâce à la vie que j’avais à coté, alors qu’elles, n’en n’ont pas. Elles sont constamment dans un monde qui les brutalise d’un côté et de l’autre. Même entre elles, elles se brutalisent.

C’est la société qui est responsable. C’est la société qui a laissé faire. La société dit :  » on ferme les yeux, les mecs ça nous sert bien et les femmes, ça nous soulage « . C’est criminel. On ne peut même pas imaginer ce monde là.

Il faut que la prostitution ne fasse pas peur. Il faut qu’elle soit prise pour une violence et que les prostituées soient vraiment reconnues comme des victimes.

 

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine

Photo de Une ® Marie Hélène le Ny : Rosen Hicher lors de sa marche
 

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