Articles récents \ France \ Politique 2 ans après la loi contre le système prostitutionnel : un changement de société enclenché et un essai à transformer sur le terrain !

La loi du 13 avril 2016 renforçant la lutte contre le système prostitutionnel et l’accompagnement des personnes prostituées transforme la société, change la compréhension et la prise en compte du sujet sur les territoires, et commence à changer la vie des femmes en situation de prostitution : nous demandons à présent un changement d’échelle pour engager un recul effectif et mesurable de la violence prostitutionnelle en France !

Présentes sur l’ensemble du territoire français, nos soixante associations et réseaux de lutte contre toutes les formes de violences sexuelles et sexistes se sont mobilisées pour l’adoption de la loi du 13 avril 2016.

Un an et demi avant #MeToo, cette loi a révolutionné les politiques publiques en matière de prostitution : jusqu’en avril 2016, la prostitution était encore la dernière forme de violence sexuelle pour laquelle les victimes étaient non seulement stigmatisées et réduites au silence mais aussi pénalisées par la loi (délit de racolage), alors que les auteurs (les hommes qui imposent un acte sexuel par l’argent) étaient totalement impunis.

La loi d’avril 2016 est donc en premier lieu une loi de justice qui a inversé la charge pénale des personnes prostituées vers les acheteurs de sexe. C’est aussi une loi qui reconnaît, comme le constatent nos soixante associations, que la prostitution fait partie du continuum des violences contre les femmes et qu’elle constitue en soi un obstacle fondamental à l’égalité des femmes et des hommes.

Cette reconnaissance de la violence prostitutionnelle ouvre logiquement de nouveaux droits pour les personnes prostituées reconnues comme des victimes d’un système d’exploitation, et non plus des délinquantes : droits au séjour, à une aide financière, à un parcours de sortie de la prostitution, à une indemnisation des préjudices subis devant les tribunaux.

Les associations d’aide aux personnes prostituées à travers le monde ne s’y trompent pas. En Inde, en Afrique du Sud, aux États-Unis, en Colombie ou au Liban, nos associations partenaires regardent la France depuis 2 ans avec admiration : alors que les personnes prostituées sont pénalisées dans la grande majorité des pays, la France est ce grand pays qui a dépénalisé les victimes, pénalisé l’achat de sexe et adopté une politique nationale de sortie de la prostitution. 

Mais sur le terrain, il reste énormément à faire pour transformer les promesses de la loi en réalités tangibles !

Plusieurs dispositions de la loi étaient d’application immédiate : plus aucune personne prostituée n’a été arrêtée pour délit de racolage après le 13 avril 2016 et plus de 2 000 clients prostitueurs ont déjà été interpellés. Des premiers stages de responsabilisation des acheteurs de sexe ont été organisés avec succès dans plusieurs départements. Nous nous en réjouissons !

La remise gracieuse des dettes fiscales, la reconnaissance d’une circonstance aggravante pour toute violence à l’encontre d’une personne prostituée, la protection accordée aux victimes qui portent plainte ou aux témoins, l’accès à une indemnisation des préjudices subis étaient aussi d’application immédiate et ont commencé à être utilisées dans les procédures administratives et judiciaires.

Mais d’autres dispositions de la loi – qui a amendé pas moins de 9 codes législatifs – commencent seulement à être mises en place. La mise en œuvre de la loi a nécessité 6 décrets d’application et plusieurs circulaires.

C’est notamment le cas de tout le dispositif de sortie de la prostitution qui nécessitait au préalable de :

– Adopter plusieurs décrets et circulaires

– Agréer des associations d’accompagnement dans tous les départements (78 à ce jour)

– Mettre en place une commission départementale multi-acteurs dans chaque département (34 à ce jour)

– Constituer et instruire les premiers dossiers de sortie de la prostitution

Il aura fallu un an et demi pour octroyer les premiers parcours de sortie de la prostitution, donnant accès à un titre de séjour (APS) pour les victimes étrangères et à une aide financière (AFIS) pour les personnes ne bénéficiant d’aucun minimal social. En quelques mois, 55 parcours de sortie de la prostitution ont été notifiés par les préfectures. C’est une avancée considérable pour les 58 personnes concernées dont les perspectives d’avenir ont radicalement changé du jour au lendemain.

Mais c’est très peu au regard des 10 000 personnes prostituées et victimes de la traite des êtres humains en contact avec nos associations. Le Gouvernement a annoncé un objectif de 600 parcours de sortie de la prostitution dès 2018. Cet objectif doit être tenu.

Mais d’ores et déjà, la situation a changé dans les 34 départements où les préfet.e.s ont mis en place une commission départementale en charge de la mise en œuvre de la loi. Dans chacun de ses départements, l’ensemble des acteurs de terrain (associations, police, justice, préfecture, Pôle Emploi, centres d’hébergement, DIRRECTE, ARS, travailleurs sociaux) ont été réunis afin d’élaborer une politique publique globale et cohérente de soutien aux personnes prostituées et de lutte contre le système prostitutionnel au niveau local. C’est la première fois dans l’histoire française que tous les départements ont l’obligation de définir une politique locale en la matière.

Deux ans après l’adoption de la loi, nos soixante associations demandent donc au Président de la République et au gouvernement de mobiliser toutes les forces de l’État afin de :

– Mettre pleinement en œuvre, et sur tout le territoire, l’ensemble des dispositions prévues par la loi, et notamment :
– Engager les préfet.e.s qui ne l’ont pas encore fait à mettre en place au plus vite une commission départementale de lutte contre le système prostitutionnel dans leur département ;
– Engager l’ensemble des procureur.e.s à rendre effective l’interpellation des clients prostitueurs et à mettre en place les stages de responsabilisation prévues par la loi ;
– Garantir que les nouveaux droits établis par la loi du 13 avril 2016 ne seront pas remis en question par d’autres politiques (migratoire, budgétaire) ;
– Garantir notamment que le statut de victime de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains et le droit afférent d’obtenir un titre de séjour de protection, avec accès au marché du travail, priment sur toute autre considération et politiques préfectorales ;
– Augmenter les moyens des associations de soutien aux personnes prostituées et aux victimes de violences sexuelles sous toutes leurs formes afin de leur donner les moyens effectifs d’accompagner les victimes dans leur accès aux droits ;
– Interdire l’adoption d’arrêtés municipaux qui contreviennent à l’esprit de la loi en maintenant une forme de répression à l’encontre de personnes prostituées ;
– Accélérer la mise en place de formations spécifiques à destination de tou.te.s les professionnel.le.s ;
– Garantir l’application de la loi française en matière de proxénétisme, y compris sur Internet ;
– Déclencher, comme le prévoit la loi, un plan national de prévention des risques prostitutionnels et d’éducation à une sexualité égalitaire.
 
Abolition 2012 
 
 
 

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