Articles récents \ Monde Kalpona Akter: «Nous demandons une prise de conscience internationale, pour pouvoir travailler dignement»

A l’approche du cinquième anniversaire de l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza à Dacca, capitale du Bangladesh, dans lequel plus de mille ouvrier.ère.s du textile ont péri, Kalpona Akter, syndicaliste depuis l’âge de 14 ans, est venue témoigner en Europe des progrès réalisés en matière de sécurité dans son pays. Aujourd’hui militante de l’ONG bangladaise Bangladesh Center for Worker Solidarity (BCWS), elle appelle à soutenir la lutte des syndicats.

Kalpona Akter a connu très jeune les conditions de travail inhumaines dans l’industrie textile au Bangladesh et la répression contre celles et ceux qui luttent pour leurs droits. Ouvrière du textile à l’âge de 12 ans, elle a dû travailler pour subvenir aux besoins de sa famille, puis est devenue syndicaliste à 14 ans et a été licenciée à 16 ans pour avoir tenté de monter un syndicat: c’est aussi l’âge auquel elle devient la responsable de la branche locale de son syndicat.

Mise en place d’un Accord

A travers une tournée de dix jours dans cinq pays européens à l’occasion de cet anniversaire, Kalpona Akter veut faire connaître la situation actuelle des ouvrier.e.s du textile, qui n’ont toujours pas de travail digne, contrairement au discours rassurant du gouvernement bangladais. Elle sollicite ainsi les ONG et les consommateur.trice.s occidentaux.tales pour s’assurer encore aujourd’hui de leur soutien et leur relais dans ce combat.

«Il est important de pouvoir témoigner et porter à la connaissance du public européen la réalité des travailleuses/travailleurs et la façon dont les consommateur.trice.s européen.ne.s peuvent aussi se mobiliser pour participer à ce mouvement de défense des droits humains », précise-t-elle.

Des améliorations ont été réalisées depuis, notamment sur la sécurité. Il y a cinq ans, en raison de l’écho médiatique de ce «désastre, causé par l’inaction humaine», un accord a été signé entre les grandes multinationales et les syndicats locaux, mais aussi les fédérations internationales de syndicats: l’Accord pour la prévention des incendies et la sécurisation des usines au Bangladesh (Accord on Fire and Building Safety in Bangladesh), une structure indépendante.

Cet Accord est légalement contraignant, il lie l’entreprise qui la signe avec ses contreparties et peut être appliqué devant les tribunaux. Jusqu’à présent, des inspections existaient, mais n’incluaient pas les travailleur.euse.s.  Celles/ceux du Rana Plaza avaient observé des grandes fissures sur le bâtiment la veille de la catastrophe, mais ont été contraint.e.s de rentrer quand même dans les ateliers sous peine de perdre leur travail. L’alerte qu’elles/ils avaient donné n’avait donc pas permis de les sauver.

Cet Accord est une avancée, car il les inclut dans la vérification de sa mise en oeuvre au sein de leur usine, elles/ils sont désormais impliqué.e.s et peuvent faire entendre leur voix. «Si les marques et les distributeurs internationaux avaient signé l’Accord deux années avant comme nous le demandions déjà à l’époque, cette tragédie aurait pu être évitée», précise Kalpona.

Les inspections de ces cinq dernières années ont mené à 130 000 rénovations (installations de portes coupe-feu, constructions de nouvelles issues de secours, vérification des branchements électriques …) dans 1600 usines couvertes par l’Accord. 

Avant le Rana Plaza, on dénombrait déjà 700 morts depuis 2005 dans des incendies ou des effondrements d’immeubles au Bangladesh, la question du bâti était donc primordiale. 

L’entreprise qui ne ferait pas les rénovations nécessaires après les vérifications de l’Accord pourrait voir ses travailleuses/travailleurs enregistrer une plainte anonyme en interne auprès de l’instance, rendant cet accord contraignant.

L’Accord est aussi transparent: c’est une revendication de longue date des mouvements sociaux. Les rapports d’audit, les rénovations effectuées, les marques qui l’ont signé, celles qui sont concernées par des plaintes en interne, sont publiés sur bangladeshaccord.org.

Après le Rana Plaza en 2013, l’Accord prévoit également la mise en oeuvre de comités de sécurité et des procédures d’alerte pour les travailleuses/travailleurs des usines; ils doivent vérifier que les portes et les issues de secours restent bien ouvertes, et que les portes coupe-feu fonctionnent. Quelques années auparavant, 112 ouvrières d’une usine avaient péri dans les flammes de leur bâtiment car elles y étaient enfermées.

L’Accord implique une autre contrainte aux marques qui ne mettraient pas en oeuvre les rénovations chez un de ses fournisseurs ou sous-traitant: elles peuvent être traduites devant les tribunaux de leur pays. Jusqu’à présent, trois entreprises sont allées jusqu’au tribunal et ont été forcées de payer le rénovations.

Des résultats sensibles mais encore trop peu d’usines concernées

Les résultats sont là: alors qu’entre 2005 et 2013, des centaines de travailleur.euse.s avaient péri dans des incendies et des effondrements d’usines, en 2016, aucun n’a été touché pour des questions de sécurité.

Mais il faut rester vigilant.e.s et regarder l’avenir. «L’Accord couvre seulement 1600 des 4500 usines au Bangladesh et seulement 2 millions de travailleuses/travailleurs sur les 4 millions de l’industrie du textile», explique Kalpona Akter. Il arrive à expiration en mai 2018 et va être prolongé par l’Accord 2, déjà signé pour les trois prochaines années. Cependant, seule une centaine de marques l’ont signé, contre près de 250 pour le premier Accord. Un des enjeux actuels est d’inciter ces marques à renouveler leur signature pour prolonger leur engagement à sécuriser les usines pour les trois prochaines années.

Le gouvernement et la fédération des employeurs au Bangladesh ont toujours été opposés à l’Accord. Kalpona Akter se bat pour que le travail se poursuive, afin de pousser les entreprises réticentes à s’engager à nouveau et en inciter de nouvelles à le signer.

Quant au gouvernement, qui veut se passer de l’Accord, il dit avoir inspecté les 2500 usines restantes, «mais c’est un mensonge», précise Kalpona, «il est d’ailleurs incapable de fournir les documents qui le prouvent.»

Augmenter les salaires

Quand le Rana Plaza s’est effondré, le salaire minimum était de 38$ par mois. Il a été porté à 68$ en décembre 2013 mais reste très insuffisant au regard de la hausse du coût de la vie des cinq dernières années, le logement représente souvent jusqu’à 30% du salaire d’un.e ouvrier.ère.

Actuellement, les syndicats se mobilisent pour obtenir un salaire minimum de 200$ par mois, dans une période où l’inflation reste forte.

Les consommatrices/consommateurs et personnalités politiques internationales exercent une énorme pression sur le gouvernement du Bangladesh, et l’ont forcé à assouplir la loi, notamment pour autoriser la création de syndicats dans les usines. Ces droits existaient déjà dans le code du travail bangladais mais n’étaient pas mis en oeuvre.

Depuis le Rana Plaza, près de 500 syndicats ont été enregistrés en cinq ans dans les usines, alors qu’au cours des 30 années précédentes, seuls 146 avaient vu le jour.

«Cette évolution peut paraître extraordinaire», explique Kalpona, «mais ne crions pas victoire trop vite». Dans le même temps, 200 usines ont été fermées car elles étaient trop petites et ne pouvaient pas mettre en place les mesures de sécurité nécessaires. Beaucoup d’entre elles ont des syndicats jaunes. Les chiffres sont en augmentation mais n’ont pas permis de créer un environnement sain en matière de liberté syndicale dans le pays.

«Quand j’étais ouvrière à l’usine, nous étions harcelées, battues, licenciées et black listées dans cette industrie du textile. La situation perdure aujourd’hui dans ces usines, pour celles/ceux qui veulent rejoindre un syndicat.», ajoute Kalpona Akter.

En décembre 2016, des milliers de travailleuses/travailleurs se sont en effet mobilisé.e.s pour réclamer une augmentation des salaires. La réponse du gouvernement a été de les traduire en justice pour 14 motifs fallacieux; 39 d’entre elles/eux ont donc été arrêté.e.s et 31 ont été emprisonné.e.s pendant 2 mois ½ , uniquement pour avoir manifesté, sans violence.

Au même moment, plus de 1600 travailleuses/travailleurs, des personnes éduquées qui savent s’exprimer et faire entendre leur voix, ont été licencié.e.s car elles/ils ont rejoint des syndicats.

Des entreprises comme H et M se fournissent dans 9 de ces 11 usines qui ont poursuivi les travailleuses/ travailleurs… Mais ces dernier.e.s, même victimes de harcèlement et d’intimidations, continuent de se battre chaque jour pour que cela change malgré les conséquences que cela implique pour eux.

« Nous demandons maintenant aux acheteurs occidentaux de ces marques qui pratique un énorme turnover de leurs collections, qu’allez-vous faire en entrant dans ces magasins? Nous avons besoin de continuer à travailler mais demandons une prise de conscience internationale, pour pouvoir travailler dignement», conclut Kalpona Akter.

 
Anne-Christine Frèrejacque  50-50 magazine

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