Articles récents \ Culture \ Livres Carole Mann: «de la burqa afghane à la hijabista mondialisée»

Pour la rentrée, après un été trop chaud, voici une lecture qui nous emmène sur le terrain mouvant d’un costume féminin, non occidental et pourtant mondialisé. Le livre de Carol Mann, sociologue, anthropologue, chercheuse « de la burqa afghane à la hijabista mondialisée » publié en 2017 apporte des éclairages critiques, tant historiques que sociologiques et politiques, aux confusions bien occidentales sur le voile et les différentes formes qu’il revêt. Cet essai est toujours d’une grande actualité et dans un ton enlevé sans jamais être ennuyeux. Il remet le débat voile/laïcité dans un contexte dépassionné qui permet la compréhension de réalités lointaines et pourtant si proches que les femmes vivent, prises entre domination patriarcale (religieuse ou non), néolibéralisme et consumérisme.
Carol Mann après avoir été historienne de l’art, est partie sur le terrain du pouvoir patriarcal d’Afghanistan pour sa recherche de thèse de doctorat. Elle a pénétré au cœur du pays pour ses recherches sur la situation des femmes. Carol Mann entre dans un domaine où peu d’occidentales ont pénétrée, elle a vécu dans les camps de réfugiées, elle a voyagé avec une burqa, s’est fondue dans la société afghane tout en gardant son regard aiguisé par des années d’observation, que ce soit dans le domaine artistique ou anthropologique.
Les femmes vivent et survivent dans les pays en guerre, elles sont l’objet de toutes les menaces, ce constat est la raison de l’engagement de Carol Mann sur le terrain avec l’association Woman in War qu’elle dirige.
Si les féministes reconnaissaient dans les années 60 que «ce qui est personnel est politique», certainement la burqa est politique. Son histoire récente montre toute l’importance de l’instrumentalisation de son port. La question posée par Carol Mann sur les récents événements attachés à ce vêtement est claire : «comment en l’espace de quinze ans la burqa, une des formes les plus anciennes du voile intégral, après avoir été l’objet de toutes les condamnations en tant que symbole de l’oppression des femmes en est venue à représenter le contraire dans les cercles qui prétendaient tout autant soutenir les droits humains en 2016 qu’en 2002»
Ce qui intéresse Carol Mann c’est le mouvement très politique de l’utilisation du vêtement réservé aux femmes et sous toutes ses formes, dans un contexte où la communication fait les modes et les violences.
Avec les attaques des tours de New York beaucoup de phénomènes concomitants se sont entrechoqués. Libérer les femmes d’Afghanistan qui étaient oppressées sous leur burqa depuis plus de 7 ans sous le régime des Talibans devenait une urgence et surtout apportait une justification pour une action armée dont les desseins étaient bien différents que celui de la libération des femmes.
Ce qui me mène à ma propre expérience qui ne peut que confirmer les thèses du livre de Carol Mann.
En 2003, j’étais à la maison blanche avec un groupe de femmes travaillant sur les politiques publiques. C’était la Maison Blanche de G W Bush et nous étions reçues par les femmes de son administration.
L’assistante de la Secrétaire d’État à la communication nous avait expliqué à l’époque que, depuis le 11 septembre, elle avait appris beaucoup sur l’Afghanistan, ce coin du monde dont elle ne connaissait même pas l’existence avant cet événement tragique. Nous ne pouvions que constater la pauvreté affligeante de ses remarques.
L’histoire de la burqa est effacée par l’ignorance et par les messages mythologiques États-uniens. Messages de libération du monde, de libération des femmes, couvrant ainsi les véritables raisons de leur intervention en Afghanistan fondées sur un opportunisme économique très néo-libéral.  Ce que souligne l’autrice, qui rappelle le titre d’une publication financière américaine de l’époque sur l’Afghanistan : The Land of War and Opportunity.
Les clés pour décoder les enjeux du costume islamique
Carol Mann replace les choses à leur commencement, car sans histoire comment défaire les raccourcis qui ont conduit à de telles confusions. Le mot taliban est un excellent exemple de détournement lexical. Le mot possède une origine comme la burqa. C’est un nom commun Pachtou d’origine arabe désignant celui qui apprend ou qui étudie.
Que de manipulations pour arriver à ce qu’un groupe qui prône l’ignorance choisisse ce nom pour se nommer. Pour Carol Mann il faudra une lettre capitale pour différencier le nom commun taliban du nom propre Taliban.
L’autrice cherche les clés pour décoder les enjeux du costume islamique, les clés sont politiques, économiques, toujours fondées sur le patriarcat. Tout y est, les régimes autoritaires des états islamiques, la colonisation avec sa politique d’ethnicisation des populations tout ceci se développe dans un système globalisé de marchandisation inhérente au capitalisme. Et les marchands d’armes ne sont pas en reste. Les amalgames sont utiles et le costume est flexible, mais il couvre toujours les femmes.
Pour Carol Mann, le voile a pris une signification centrale avec l’Islam politique à partir du dernier quart du XXème siècle. Elle remarque que les dimensions culturelles du discours religieux sont gommées pour une sorte de standardisation y compris du costume féminin. Elle souligne que le niqab n’est pas un costume traditionnel mais une tradition inventée, «frauduleuse dans ses prétentions à l’authenticité.»
Sa conclusion nous ramène en France et repose les termes du débat sur le voile. Grace à ses analyses pertinentes, on comprend que les raisons du port contemporain du voile sont multiples, entre globalisation y compris du fait religieux, perte d’idéal et accroissement des inégalités qui en résultent. De plus, internet permet tous les amalgames et véhicule les mythologies.
Elle fustige les hystéries politiques qui ont stigmatisé les femmes comme lors de la crise du burkini tout autant que les prédicateurs salafistes qui rendent le corps des femmes responsable et déresponsabilisent les hommes.
Elle n’oublie pas que la crispation occidentale est en décalage avec les résistances des hommes et des femmes musulman.e.s sur le terrain, qui sont largement sous-estimées voire ignorées par l’intelligentsia occidentale.
Ce livre informe, théorise, questionne, il est utile.

Brigitte Marti 50-50 magazine

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