Monde \ Europe Eglantina Gjermeni: "A partir de 2008, le système de législation albanais a intégré le quota de genre"

Eglantina Gjermeni a débuté son parcours politique en 2009 en tant que parlementaire. Elle a été membre du Comité de la Santé et des Affaires Sociales, puis ministre du Développement Urbain de l’Albanie en 2013. Actuellement parlementaire pour la troisième fois, elle est à la tête de la sous-commission à l’égalité de genre et à la prévention des violences faites aux femmes. Auparavant enseignante à la faculté des sciences sociales de Tirana, elle a dirigé le Gender Alliance Center for Development, une organisation non gouvernementale axée sur le plaidoyer en faveur des droits des femmes et des questions de genre.
Comment les femmes sont-elles représentées dans la politique en Albanie ?
Au cours des vingt-huit dernières années, l’Albanie a connu d’énormes transformations. Le passage d’une société fermée et isolée à une société ouverte et libre a conduit à de grands changements dans la société albanaise. Durant ces années, les femmes ont été confrontées à de nombreux défis avec des avancées et des reculs.
La mondialisation nous a enseigné que la seule façon de mettre à l’ordre du jour les problèmes auxquels sont confrontées les femmes est d’accroître leur participation à la politique et à la prise de décision. En tirant des leçons de l’expérience d’autres pays, l’Albanie a progresser dans la participation des femmes au niveau décisionnel.
A partir de 2008, le système de législation albanais a intégré le quota de genre. Le nombre de femmes impliquées dans la prise de décision, tant au niveau national que local, a donc considérablement augmenté. Les espaces politiques se sont ouverts et la prise de décision est devenue plus inclusive. Nous pouvons dire avec fierté que la moitié des membres du gouvernement albanais actuel et du gouvernement précédent sont et étaient des femmes. Le pourcentage de conseillères municipales est supérieur à 35%. De plus, grâce à l’engagement des femmes en politique, des militantes de la société civile et des organisations internationales, nous avons réussi à avoir un nombre considérable de femmes au Parlement albanais. Le pourcentage de femmes parlementaires est à présent d’environ 30% .
Les femmes dirigent maintenant des institutions très importantes, en tant que directrices ou présidentes, contribuant ainsi de manière significative au développement économique et social de l’Albanie. Les femmes ont prouvé qu’elles pouvaient mener des réformes. Elles ont montré qu’elles pouvaient enrichir l’agenda politique de questions sociales concernant les femmes et les hommes. Je crois cependant que l’ouverture des espaces politiques n’est que le début d’un processus long et difficile. Nous devons travailler dur, plus dur que les hommes, pour arriver là où nous aspirons à être.
Comment décririez-vous le travail de la sous-commission à l’égalité de genre et à la prévention des violences faites aux femmes, dont vous êtes la présidente? Quelles sont les avancées en matière d’égalité de genre?

L’égalité de genre devrait être une des valeurs fondamentales de la société démocratique. Une société qui investit dans la réalisation de l’égalité de genre permet aux filles et aux femmes de devenir des citoyennes à part entière, ce qui ne peut que transformer positivement la vie des garçons et des hommes.
L’égalité entre les femmes et les hommes est  inscrite dans l’article 18 de la Constitution Albanaise adoptée en 1998. L’État albanais a fait passer des lois allant dans le sens de l’égalité de genre. La loi n° 9970 « Pour l’égalité des genres dans la société », entrée en vigueur en 2008, établit l’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les sphères de la vie privée et publique. Elle instaure des mesures visant à garantir l’égalité des chances et à éliminer les discriminations liées au genre. Elle prévoit l’intégration d’une perspective genrée dans tous les processus de législation, de mise en œuvre et de suivi des politiques publiques.  Le texte prévoit également des mesures spéciales dans les secteurs de l’éducation et de l’emploi, du travail non rémunéré. Il instaure également une obligation de collecter des statistiques sexo-spécifiques.
D’une manière générale, la législation albanaise garantit l’égalité d’une manière avancée et comparable à celle des pays développés. Cependant, il existe un décalage entre la situation «de jure» et la situation de «facto», il est nécessaire d’assurer la mise en œuvre de la loi, particulièrement en ce qui concerne l’égalité de genre et les violences domestiques. Le Parlement albanais a ratifié une résolution pour prévenir et combattre les violences faites aux femmes, la résolution incluait la création de cette sous-commission.
Notre travail consiste à organiser des sessions d’audience. Elles rassemblent toutes les parties concernées par les questions de genre ou touchant les femmes. En outre, la sous-commission suit périodiquement la mise en œuvre de la législation sur l’égalité des sexes et la violence domestique. Nous pouvons alors suggérer des changements légaux et / ou des recommandations fortes sur la mise en œuvre de la législation existante
Le Parlement albanais dispose d’un autre mécanisme qui pourrait contribuer à faire progresser la situation des femmes en Albanie. La Women’s Alliance est un groupe informel de femmes parlementaires, interpartis, créé en 2013. Le travail conjoint de ces deux groupes pourrait favoriser des initiatives juridiques sur le sujet. Cela pourrait conduire à un renforcement du rôle des femmes dans le processus de décision. Cette coopération pourrait également accroître le suivi de la mise en œuvre des politiques sur les questions de genre et de société.
Que dit la loi à propos des droits sexuels, des violences faites aux femmes?
Après l’effondrement du système communiste, au début des années 1990, la position des femmes dans la société a connu une période de transition. Depuis, de nombreux textes ont été adoptés, comme une loi sur la santé reproductive,  une loi contre les violences domestiques, et aussi un  code de la famille etc. L’Albanie a ratifié la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes. Le code pénal a été aligné sur plusieurs normes européennes et conventions internationales. Il prend désormais en compte des lois sur la protection des femmes et des enfants.
Avant les années 90, les femmes ont travaillé dur sur le plan professionnel, y compris en exerçant « des métiers d’hommes ». Comment est la situation aujourd’hui ?
Avant les années 90, les femmes albanaises n’étaient pas épargnées, elles exerçaient des travaux durs, comme les  hommes et le slogan « la femme est forte » était courant sous la période communiste. Les femmes étaient présentes dans le bâtiment, les actions collectives, les vignobles, etc… Les femmes travaillaient dur à l’extérieur de la maison, tout en gardant la responsabilité des taches ménagères. Puisque la propagande socialiste les déclarait égales aux hommes, elles ne pouvaient pas se plaindre des charges de travail écrasantes.
Lorsque les changements ont commencé au début des années 90, les femmes ont été les premières à perdre leur emploi. Il y a eu alors plus de femmes au chômage que d’hommes. La féminisation de la pauvreté est apparue en Albanie. Le pays a entrepris plusieurs programmes pour soutenir l’accès des femmes à l’emploi. On observe néanmoins encore une faible participation des femmes dans le secteur des entreprises. Des écarts salariaux sont également toujours significatifs.
La situation change peu à peu. Les femmes travaillent de plus en plus dans une grande diversité de professions. Bien que les femmes soient toujours très présentes dans les  professions dites féminines, leur participation à des professions qui ne sont pas traditionnellement considérés comme féminines s’accroît. Le nombre de femmes dans les entreprises est encore faible. La participation des femmes dans les petites entreprises a cependant augmenté. D’une manière générale, les femmes albanaises sont plus diplômées que les hommes. Elles exercent majoritairement dans les métiers de l’enseignement, dans les services sociaux et dans le secteur médical. Elles sont également plus présentes dans l’administration publique.
Pour favoriser des changements, les femmes albanaises doivent être autonomes économiquement et politiquement. Nous avons besoin de plus de politiques publiques assurant des emplois aux femmes.  Un plus grand soutien aux mères qui travaillent et de politiques sociales envers les familles sont également nécessaires.
Intégrer plus de femmes dans le processus décisionnel est une étape importante pour assurer une société plus démocratique, plus inclusive, et un développement économique et social plus durable du pays.
 
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine 
Traduction Brigitte Marti et Pauline Larrochette 50-50 magazine

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