DÉBATS \ Contributions LE PLAISIR COMME APPROCHE POSITIVE D’UNE ÉDUCATION À LA SANTÉ SEXUELLE ÉGALITAIRE

C’est de ma place de soignante en tant que gynécologue et sexologue que j’observe les évolutions des notions de plaisir et d’égalité, deux éléments actuellement en plein chantier.

Le plaisir est le grand absent de l’éducation à la santé sexuelle.

Tous âges confondus, l’éducation à la sexualité est basée sur la fonction de reproduction et sur l’anatomie. Quelle est cette pudeur hypocrite qui efface le clitoris des manuels scolaires ? Les exemples de reproduction sont très souvent choisis parmi les végétaux ou les animaux.

Les peurs dominent l’éducation sexuelle

Les injonctions sont multiples : il faut rester vierge, ne pas être enceinte, ne pas devenir stérile avec les IST, ne pas mourir suite aux rapports sexuels, se protéger avec souvent double protection: contraception + préservatifs. La sexualité non reproductive est souvent montrée du doigt: homosexualité et personnes âgées.

Le plaisir au masculin

Le plaisir sexuel masculin a toujours dominé : l’homme aurait des besoins à assouvir sous peine de ne pas se sentir bien, et même de devenir menaçant. Combien de patientes disent avoir des rapports sexuels pour que l’ambiance soit plus détendue, disant par ailleurs ne pas comprendre l’importance que revêt le rapport sexuel chez leurs partenaires ? On essaie de nous faire croire qu’il y a un impératif vital pour l’homme à avoir des rapports sexuels.

Les « incels »: « célibataires involontaires »: les excès masculins

En avril 2018, Alek Minassian, un jeune homme âgé de 25 ans, tue dix personnes. Elliot Rodger a tué 6 personnes et en a blessé 14 : « Je ne sais pas pourquoi vous, les filles, vous n’avez jamais été attirées par moi, mais je vais toutes vous punir pour ça. » Ils voulaient du sexe, ils le « méritaient », simplement, les femmes ne leur donnaient pas satisfaction. On pourrait penser à la prostitution comme solution, mais, ce que ces hommes désirent le plus c’est séduire.

Cet exemple s’inscrit dans un contexte particulier : les incels se croient à une époque où leur droit au sexe ne doit faire l’objet d’aucune contestation. De fait, aux Etats-Unis, il n’y a aucune loi contre le viol conjugal appliquée En fait il y en a une difficile à appliquer. L’idée persiste qu’une fois qu’une femme dit oui, elle ne pourrait plus jamais dire non. Ces hommes pensent en outre qu’ils ont, en tant qu’hommes, droit au sexe. Quand les femmes se refusent à eux, ils considèrent qu’ils n’ont pas ce qu’ils méritent.

Orgasme masculin, quelques précisions nécessaires en consultation

Les femmes pensent que la sexualité masculine est linéaire et simple. Les hommes sont certes plus à l’aise avec leur désir sexuel et la masturbation que les femmes. Pour autant, chaque rapport sexuel ne débouche pas sur la même intensité de plaisir. Énoncer cette vérité à une femme l’étonne souvent. L’éjaculation correspond à la libération d’une tension, mais pas obligatoirement à un orgasme. Mais les femmes qui sentent leur partenaire détendu après l’éjaculation imaginent que tout est simple pour eux.

«Aujourd’hui encore, les couples hétérosexuels ont une sexualité établie en fonction d’un point de vue masculin, représentée par le schéma pénétration, puis éjaculation», pose en préambule Sylvie Chaperon, historienne spécialiste de l’Histoire des femmes. Mais la pénétration n’est pas toujours ce qui procure le plus de plaisir aux femmes.

Les difficultés des hommes

Dans l’esprit traditionnel, les hommes sont responsables de la réussite des rapports sexuels. «On ne donne pas du plaisir, on en prend», une notion très importante pour les éjaculateurs rapides. Les hommes ont encore du mal à imaginer que les femmes ne sont pas toujours satisfaites par la pénétration.  Depuis 1968, la notion de préliminaires est entrée dans les mœurs, à la demande des femmes. Il est encore difficile de nos jours de comprendre que le rapport sexuel ne se termine pas lors de l’éjaculation. Combien d’hommes se préoccupent de la jouissance de leur partenaire après avoir « joui » ?

Orgasme féminin

La jouissance des femmes n’est pas socialement valorisée. Il reste l’idée qu’ «une femme bien» n’exprime pas son désir ni sa jouissance ». Honte aux anatomistes qui n’ont jamais disséqué le clitoris ! Il a fallu attendre l’échographie en 3D et la patience de médecins et de patientes, qui se sont soumises aux examens, pour connaître l’anatomie du clitoris. Le point G a vécu !

En consultation il est nécessaire d’expliquer

Le rapport sexuel est encore trop souvent considéré comme l’ensemble des pratiques produisant l’orgasme masculin. Nous persistons à utiliser la mauvaise clef (le pénis) dans la mauvaise serrure (le vagin) alors qu’il suffirait de caresser le bouton de porte (le clitoris). Les pratiques produisant l’orgasme féminin sont reléguées aux préliminaires, donc au facultatif, aux préparatifs, au non-essentiel, pour un résultat prévisible.

Stéréotypes sur l’orgasme féminin

On distingue encore orgasme clitoridien et orgasme vaginal. Mais un orgasme est un orgasme. Les mouvements féministes actuels se saisissent de la question du plaisir féminin, c’est une bonne nouvelle : la libération de la parole permet de cheminer vers l’égalité. Pour prendre du plaisir, encore faudrait-il s’en arroger le droit. Facile à dire dans une société prétendument libérée, difficile à atteindre quand il faut jongler avec des poids culturels contradictoires,« trop cochonne, pas assez cochonne.» Cette timidité a des conséquences lourdes, puisque la gêne empêche d’avoir accès à l’information ou à l’aide médicale.

T’as joui ? , le compte Instagram qui compte faire tomber les tabous autour de l’orgasme féminin

Dans une story, la fondatrice du compte instagram T’as joui ? raconte comment un homme lui a expliqué que les femmes ont moins d’orgasmes parce qu’elles sont plus cérébrales, qu’elles intellectualisent trop le rapport. « Je me suis dit qu’il fallait porter le débat publiquement plutôt que cela reste privé ». « T’as joui ? » a aussi permis à certains couples d’aborder le sujet. « Je reçois des remerciements de femmes qui me disent : ‘Depuis qu’il a vu ce compte il s’intéresse enfin à mon clitoris !’», explique Dora Moutot. La journaliste espère que le ministère de l’Education tombera sur ce compte, et lancera des campagnes d’éducation sexuelle adéquates.

Quels outils utiliser en consultation?

Les demandes directes en consultation de sexologie sont plus simples à entendre. En consultation de gynécologie classique, poser des questions sur la sexualité ne gêne pas les patientes parce qu’elles ne se sentent pas obligées d’y répondre. C’est parfois au cours d’une consultation ultérieure que sera abordé le sujet, le fait d’avoir entrouvert la porte permet cette parole. Il faut se poser la question de la difficulté sexuelle devant une contraception mal acceptée.

En consultation

Nous pouvons détricoter des préjugés: «pour eux c’est facile», «c’est toujours pareil», «si je ne le fais pas il s’énerve», «j’ose pas demander», «il ne m’écoute pas». Nous pouvons aider les femmes à devenir actrices de leur sexualité. Nous pouvons aider les hommes à ne pas porter le fardeau de la réussite de la relation sexuelle:  un homme aurait beau tout faire, si sa partenaire ne s’autorise pas à prendre du plaisir, elle n’aura pas d’orgasme. Les hommes qui ont des difficultés sexuelles sont soulagés d’envisager la sexualité sans obligation de la sacro sainte pénétration. Lorsqu’il y a des dysfonctions sexuelles au sein d’un  couple, il faut expliquer que les deux partenaires sont parties prenantes de la difficulté et que celui ou celle qui présente la difficulté n’est que la partie visible de l’iceberg, l’autre ayant des questions secondaires à élucider.

Les pratiques sexuelles évoluent

La dissociation entre sentiments et sexualité est possible : avoir des rapports comme se faire un restaurant. Nous avons plus de rapports oro-génitaux, la fellation, réservée il y a quelques décennies aux prostituées, est courante dans les couples, le cunnilingus est plus fréquent mais pas assez selon les femmes interrogées dans les enquêtes. La sodomie est fréquemment pratiquée, souvent vécue comme une contrainte, parfois seule expérience sexuelle autorisée avant le mariage. La masturbation mutuelle est de plus en plus pratiquée.

L’égalité : vaste sujet

L’égalité ne met pas en péril l’érotisme comme le craignent certain.e.s, mais permet de le réinventer.

Le mouvement #MeeToo révèle un combat destiné à libérer ce qui est l’ultime bastion de la domination féminine: le corps féminin dans sa dimension génitale.

Ce mouvement permet de préciser la bonne distance pour vivre une sexualité épanouie, gratifiante et égalitaire.

Le consentement est un langage de désir, une rhétorique du plaisir

Devenues soi-disant les égales des hommes dans le champs social, les femmes demeurent des êtres « à disposition » dans la sphère privée. Il n’y a pas de guerre des sexes, simplement des modalités de l’acte sexuel pleinement consenti qui procure contentement et plaisir.

Les hommes sont aussi bénéficiaires de cette évolution

Il s’agit d’en finir avec les schémas «l’homme actif, choisit et prend», la femme passive «donne et subit.» Du côté des hommes, l’injonction à la performance (faire des conquêtes, bander sans faillir, pénétrer avec force pour satisfaire…), assigne et contraint. Certains comportements irrespectueux, dominants voire violents, peuvent se nourrir de l’angoisse de n’être pas à la hauteur, comme si la pénétration était le début et la fin de toute relation sexuelle.

Le consentement (suite)

A tout moment, les femmes peuvent ne pas vouloir aller plus loin et le signifier, un geste ou un mot suffit alors, ou devrait suffire. S’y refuser ou prétendre ne pas les comprendre c’est basculer du côté de la domination et de la violence.

Reconnaître en son ou sa partenaire un ou une égal.e, c’est reconnaître à la fois sa dignité et son altérité, c’est-à-dire les conditions sine qua non d’un jeu sexuel gratifiant parce que consenti.

Certes, le plaisir a une place importante dans l’éducation à la sexualité égalitaire, mais à condition que la notion d’égalité soit prépondérante. C’est le partage entre deux êtres consentants qui est essentiel. Une rencontre entre deux êtres est réussie s’il y a partage, communication, plaisir, qu’il y ait orgasme ou non.

 

Dr Hélène Jacquemin-Le Vern, gynécologue et sexologue

Ce texte est issu du colloque  » Les nouveaux enjeux de l’éducation à la santé sexuelle, pour 2030 – En finir avec les inégalités, révolutionner l’éducation à la sexualité » organisé par l’UNESCO le 26 septembre dernier.

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