Articles récents \ France \ Société Dix ans d’engagement de Women Engage for a Common Future

Le 22 novembre 2018 au ministère de la Transition Écologique et Solidaire, la branche française de Women Engage for a Common Future (WECF) France a fêté ses 10 ans d’existence au moment où nos avenirs s’assombrissent. Le travail de WECF fait le lien entre santé, et en particulier la santé des femmes et des plus vulnérables, et le changement climatique. WECF convoque le monde politique, les pouvoirs publics nationaux et internationaux pour les inciter à prendre les mesures nécessaires pour créer un environnement qui protège la santé humaine. Cet anniversaire a été l’occasion d’une journée de tables rondes avec de nombreux.ses intervenant.es de haut niveau, chercheur.ses, universitaires, représentant.es d’agences françaises européennes et internationales, élu.es. Il s’agissait de faire les constats et de dégager les voies d’action pour répondre aux enjeux vitaux qui se posent à notre humanité. L’équipe de WECF France a répondu à nos questions.

La section française de WECF a pris forme il y a 10 ans, pourquoi les femmes avaient-elles besoin d’un espace pour s’engager dans les questions environnementales, particulièrement sur les effets des désastres environnementaux industriels sur la santé ?

WECF a été créée en 1992, à la suite du sommet de la terre de Rio, qui avait promu le concept de Développement Durable, et l’engagement citoyen en sa faveur.

WECF a souhaité se focaliser sur la place et le rôle des femmes. En effet, les femmes sont particulièrement concernées par les impacts des désastres environnementaux sur la santé en raison de leur exposition spécifique (emplois genrés, tâches reproductives, confinement dans les espaces intérieurs…), de leur sensibilité particulière liée à la procréation et aux générations futures.

Les femmes ne sont pas seulement plus sensibles aux désastres écologiques, elles sont aussi actrices du changement, car elles protègent les écosystèmes, en assurant une agriculture résiliente. Elles mettent en place des stratégies d’adaptation et d’atténuation face aux changements climatiques telles que des solutions d’énergie renouvelable, des systèmes d’alertes lors des crues, des innovations en agro-écologie. Elles garantissent également la cohésion sociale par leurs activités de soin à la communauté, et elles sont investies dans l’économie locale.

Comme consommatrices et garantes du bien-être de leurs familles, elles aspirent à faire des choix éclairés pour une consommation responsable. Malgré leurs contributions riches et diverses, elles sont souvent invisibles, parce que leurs actions sont situées à l’échelle locale, communautaire.

De plus, les politiques publiques sont neutres, aveugles au genre, aux relations de domination entre les femmes et les hommes. Elles ne prennent pas en compte les besoins spécifiques des femmes, car elles ne répondent qu’à celles/ceux qui participent et décident, en majorité des hommes.

Un espace dédié est donc indispensable pour affirmer la spécificité de la place et du rôle des femmes, pour informer et donner les moyens d’agir, et rapporter leurs besoins stratégiques dans les instances de décision.

Quels ont été les points d’orgue du travail, des projets de WECF France durant les dix ans qui viennent de s’écouler ?

 WECF France est la déclinaison française du projet de WECF International, et s’attache à trois questions : la santé environnementale, l’économie circulaire, et les Objectifs du Développement Durable, notamment la santé, l’égalité femmes/hommes, la production et la consommation responsable, le climat…

Depuis 10 ans nous construisons des projets concrets pour donner du pouvoir d’agir aux citoyen.nes, et développons des activités de plaidoyer pour favoriser des réglementations nationales et internationales plus protectrices de la santé, de la dignité humaine, de l’environnement.

Parmi nos actions-phares :

  • Le projet Nesting qui s’attache à préserver la santé des populations les plus vulnérables (femmes enceintes, enfants) des pollutions chimiques de l’environnement intérieur, en formant les professionnel.les de la périnatalité, en diffusant des informations (guides et publications thématiques), en animant des conférences et des ateliers, pour aborder l’ensemble de la problématique de la santé environnementale. Le réseau d’animatrices et animateurs Nesting comprend 200 membres, et a réalisé en 2017 plus d’un atelier par jour sur l’ensemble du territoire. Ce projet, très concret, très pratique, renforce notre légitimité pour participer aux décisions sur les orientations et les politiques nouvelles à mettre en place.
  • Participation à l’élaboration et Plan National Santé Environnement, aujourd’hui PNSE3, à la Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens, au suivi de réglementations européennes (REACH, biocides, cosmétiques, textiles, etc.), et débats sur les conventions de Stockholm, Bâle, Rotterdam dont le but est de protéger la santé humaine et l’environnement des produits chimiques et déchets dangereux.
  • Mobilisation pour des jouets sans danger pour la santé: depuis 2008 plusieurs campagnes de tests de jouets, une pétition « Stop aux perturbateurs endocriniens dans les jouets » recueillant 30 000 signatures en 2013, et un concours « Design-moi un jouet » en 2016-2017 qui récompense des créations de jouets éco-conçus et sans danger pour la santé ;
  • Événements pour protéger la santé des enfants et des femmes enceintes des pollutions chimiques : colloques en 2014 autour de Cancer et environnement en lien avec le Ruban de l’Espoir et des associations de lutte contre le cancer du sein, et 2016 pour faire connaître l’appel de la FIGO (Fédération Internationale des Gynécologues Obstétriciens) contre les pollutions chimiques.

En combinant les actions concrètes et la construction de plaidoyer, nous agissons à tous les niveaux de la décision : individuel, collectif et institutionnel. Notre mission nous amène également à accompagner les entreprises dans leur réflexion sur la santé environnementale, et des agences ou ONG qui cherchent à intégrer l’égalité femmes/hommes dans leurs stratégies et leurs projets.

Enfin, nous organisons la sensibilisation aux Objectifs du Développement Durable, au sein d’une coalition européenne, pour informer sur l’Agenda 2030, feuille de route de la communauté internationale pour éradiquer la pauvreté et préserver les écosystèmes. Nous créons des outils de formation et d’évaluation que nous mettrons à disposition des élu.es et des organisations locales, pour leur permettre d’engager des synergies entre les acteurs/actrices des territoires.

Vous faites le lien entre développement durable et égalité femmes/hommes, comment cela se traduit-il dans votre organisation (analyses et actions) ?

Notre approche est centrée sur les femmes parce que nous nous attachons à protéger les personnes les plus vulnérables, et à créer un espace de parole et un relais pour exprimer leurs besoins stratégiques. Si notre vision priorise les femmes, c’est parce qu’elles sont plus vulnérables en raison de leurs spécificités biologiques, de leurs conditions de vie et des missions genrées auxquelles la société les assigne. Nous souhaitons donc insister sur les besoins des personnes les plus fragiles.

Mais nous savons aussi que les femmes, plus proches des écosystèmes dont elles dépendent, sont aussi des actrices de la transformation écologique et solidaire, capables de s’emparer des enjeux prégnants, de mettre en œuvre des solutions pérennes et efficaces face aux menaces sur la santé, tout en étant aussi capables d’influence sur leur environnement proche et sur les décideurs. Travailler pour et avec les femmes, c’est pour nous la garantie de construire un développement juste et désirable pour tous.

Notre objectif est donc réellement de construire un monde soutenable pour le bien de tou.tes, femmes et hommes.

Quels sont les enjeux pour l’avenir pour WECF ?  Par exemple, les rapports sont accablants sur l’impact des pesticides issus de l’industrie chimique, l’omniprésence des perturbateurs endocriniens dans de nombreux objets et produits de consommation courante, comment WECF, dans son cadre genré, s’empare-t-elle de ces questions ?   

La période n’est pas à l’optimisme. Chaque jour de nouvelles annonces montrent que notre quotidien, des cosmétiques aux terrains de sport en passant par les jouets ou les ustensiles de cuisine, est envahi de substances potentiellement dangereuses, et pas nécessairement utiles pour améliorer la qualité de notre vie.

Et nous sommes indignées par les dérégulations internationales, les violences, notamment contre les femmes, la montée des fascismes, les conditions de vie que notre modèle de développement et notre consommation débridée imposent aux populations, entraînant le monde vers plus d’égoïsmes mortifères, de saccages et de prédations. Et ce sont une fois de plus les plus fragiles qui en sont les premières victimes.

Notre approche, « construire avec les femmes, un monde sain, durable, équitable » nous amène à étudier l’impact spécifique de notre modèle de développement sur la qualité de la vie des femmes. Leurs fonctions spécifiques (mères au foyer, mais aussi majoritaires parmi les agents d’entretien des locaux) les mettent en contact avec un air intérieur gravement pollué par des substances nocives.

De même, les standards genrés et le monde de la beauté les conduit à exercer en grande proportion des métiers utilisant des produits avec un fort impact sanitaire sur les fonctions respiratoires (teintures, laques, cosmétiques, vernis à ongles). Ces remarques sont factuelles. Pour autant, aucune politique publique ne fait état de cette spécificité des fonctions de nombreuses femmes. Par conséquent, aucune précaution, aucune régulation ne permet de protéger ces femmes.

Nous avons donc réalisé une étude avec nos partenaires sur le lien entre les femmes et les pollutions chimiques, et démontré que l’impact de celles-ci était beaucoup plus important pour les femmes, car elles sont en première ligne face à ces substances. Sur la base de ces résultats, nous avons élaboré des préconisations pour permettre aux décideuses/décideurs de prendre cette réalité à bras le corps et de protéger les populations.

Nous diffusons également un documentaire qui démontre de façon accablante la façon dont les femmes des pays en développement sont menacées par des produits toxiques, létaux, qui sont exportés par nos sociétés occidentales (métaux lourds, perturbateurs endocriniens…).

Rendre visibles les inégalités et les impacts de notre modèle de développement, proposer des solutions et des alternatives concrètes et mobiliser les décideuses/décideurs pour des régulations fortes et protectrices, tel est le challenge que nous travaillons à relever.

 

Propos recueillis par Brigitte Marti 50-50 magazine

 

50-50 magazine était partenaire des 10 ans de WECF

 

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