Articles récents \ Culture \ Cinéma Festival Femmes en cinéma pour la visibilité des femmes réalisatrices

Le Festival Femmes en Cinéma a été créé en 2017 par Florence Bebon, qui en est la directrice, pour donner un espace donc une visibilité aux femmes réalisatrices. En 2019, les réalisatrices sont toujours des artistes qui montrent des portraits de femmes non assujetties aux hommes. « Il faut toujours se souvenir de ses rêves d’enfants, de ce que l’on voulait faire plus tard » dit la bande annonce du Festival, faut-il être libre, rebelle forte…. pour réaliser ses rêves de fille, pour être femme en cinéma ? Pour la soirée exceptionnelle du festival, Hanna Schygulla a souhaité échanger avec Adèle Haenel. Hanna Schygulla nous livre ses observations et réflexions sur la place des femmes en cinéma.

Est-ce que vous auriez aimé avoir un festival femmes en cinéma au début de votre carrière ? Quelle est l’importance d’un tel festival ?

Il n’y avait pas assez de femmes pour y penser, c’est seulement venu dans les derniers 20 ou 30 ans, spécialement en Allemagne. En France il n’y a pas tellement d’autrices de cinéma. Mais il y a la reine Agnès Varda. Elle est un exemple de créativité et c’est une femme qui fait tout à fait ce qu’elle a envie de faire sans chercher à plaire, et elle plaît ! Elle se développe encore comme artiste, alors ça c’est un phare.

Mais en Allemagne il y a eu l’initiative Pro Quote Film que j’ai évidemment signé, qui réclame plus d’équité dans le cinéma. Quand même, il y a seulement 15% du budget des subventions qui est allé vers les femmes. En revanche, il y a 40 % de femmes dans les écoles de cinéma. Donc c’est quelque chose qui commence à prendre avec beaucoup de force.

J’ai vu qu’à la Berlinale il y a déjà deux femmes qui ont obtenu des prix importants : Angela Schranalec avec I Was at Home but, du mouvement artistique Berliner Schuleet une toute jeune, Nora Fingscheidt avec Systemsprenger. Cette jeune femme a fait un film sur une fille qui n’est pas éducable parce que… enfin, c’est à la spectatrice et au spectateur de se donner tous les «parce que.» Dans le jury il y avait presque la moitié de femmes. Donc en Allemagne cela avance bien.

Le festival Femmes en Cinéma fait partie de ce mouvement pour faire avancer la présence des femmes dans le cinéma. Tout ce qui se fait dans ce sens donne un peu «de gaz au moteur.» C’est un festival qui, avec peu de moyens, propose des programmations très intéressantes. J’irai moi-même voir quelques films avec intérêt que je n’aurais jamais eu l’occasion de voir.

Moi, dans tout ce cosmos, je représente plutôt une valeur qui a été mise en avant par un homme, Fassbinder. Il a fait beaucoup de films sur les femmes protagonistes de ses histoires.

Avec lui les actrices et acteurs avaient une liberté psychologique mais rien d’autre. Lui, il trouvait que l’on raconte mieux les choses à travers les femmes parce que les femmes ont été la part supprimée du développement pendant des siècles et donc toute la force qui pousse vers l’indépendance, vers la liberté est doublement étonnante chez une femme en raison de toutes les résistances qu’elle rencontre.

A partir de votre expérience, qu’est ce qui pourrait aider une jeune actrice aujourd’hui ?

Je ne suis pas très sûre de ce que je pourrais donner. Je trouve que les actrices aujourd’hui sont plus libres que nous l’étions. Elles ont déjà quitté l’obsession d’être belle à tout prix, bon peut-être pas à Hollywood. C’est déjà une libération, bien que la beauté ça se regarde bien. Néanmoins, je trouve que les actrices aujourd’hui n’en font pas une préoccupation.

Quelles sont vos réflexions et réactions après l’exposition au grand jour, avec l’affaire Weinstein, des rapports de force, des rapports de domination qui existent aussi dans le cinéma ? Avez-vous rencontré vous-même ces situations ?

Il ne faut pas se plier. Oui évidemment j’ai rencontré ces situations et cela m’a coûté beaucoup de courage pour ne pas plier. Il ne faut pas se laisser faire, sinon on fait marche arrière sur son propre développement. Moi j’ai trouvé que parce que j’avais une façon de protester qui n’utilisait pas beaucoup de mots, j’avais une espèce de chose « impliable, » bien que l’actrice/l’acteur doive être souple. Quelque part? j’avais une boussole intérieure qui me disait : «tu peux aller jusque-là, et après c’est non.» Je crois que c’est pour cela que Fassbinder m’a traitée avec respect.

Ou bien ça passe, ou bien ça casse, et parfois il vaut mieux risquer que ça casse.

Avez-vous aidé d’autres actrices à ne pas plier ?

Oui mais pas assez. C’est-à-dire, dans le cinéma, ce sont des pas que l’on doit faire un par un. Lorsque l’une vient en aide à l’autre dans un tournage ça tourne mal. Il vaut mieux en parler en dehors du tournage. Pendant le tournage,  si on parle, on risque de compliquer les chose et alors on a tout l’appareil contre soi, et ce n’est pas très efficace. Il vaut mieux donner l’exemple.

Puis il faut savoir qui l’on soutient ; les tendances sadiques ont besoin de rencontrer une nature masochiste,  et là on n peut plus rien faire.

Si l’on se met du coté de quelqu’un qui a été longtemps le souffre-douleur… je pourrais donner un exemple très banal. Irm Hermann qui était toujours une inspiration pour Fassbinder, puisqu’elle ressemblait à une poupée de porcelaine, avait une nature hors normes. Elle faisait toujours la troisième dans un triangle. Si lui avait un amant, elle était là aussi. Il s’est finalement marié avec Ingrid Carven.

Alors je lui ai dit «au lieu de pleurer maintenant, nous allons nous offrir un bon repas et de toute façon, moi je n’irai pas au mariage

Après, j’ai lu dans la presse qu’elle avait dit que nous nous étions retrouvées pour pleurer, alors que ce n’était pas cela du tout. Je me suis dit qu’elle n’avait pas compris ! Dans ces cas-là, ce n’est pas la peine d’y mettre trop de mots et d’actes, c’est ce que j’ai appris.

Malgré tout, quelques fois j’ai élevé la voix quand il y avait des gens mal traités dans le milieu du cinéma, des femmes mais pas seulement. Parfois les grands metteurs en scène ne traitent pas les figurant.es comme il faut. Pour eux, elles/ils ne comptent pas.

Vous avez déclaré que vous vouliez garder un visage authentique du vieillissement. Comment rompre l’invisibilité des actrices qui vieillissent ?

Il faut être autrice. Fassbinder voulait faire un film où j’aurais été co-autrice. Pour moi c’était un mélange de joie et de peur. A la place il a fait Une année de treize lunes parce que son amant s’était suicidé. Du coup ce projet a été mis de côté.

L’actrice qui vieillit, c’est difficile. Pour moi il faudrait que je sois autrice parce que l’on ne me demande pas. Ou si, on me demande pour des rôles de femmes avec Alzheimer…bon on peut en faire un peut être !

Je viens de recevoir une série très critique sur les urgences médicales, les hôpitaux et la rentabilité qui s’installe de plus en plus. Et dans cette série, il y a un personnage qui apporte une sérénité parce qu’elle ne comprend pas de quoi il s’agit. Elle met un aspect absurde dans cette histoire. Mais ce n’est pas ce qui va me faire revivre au cinéma !

J’ai quand même bon espoir qu’un jour je vais rencontrer un personnage qui vaut la peine, qui soit un chant à la richesse du vieillissement. Le vieillissement c’est aussi une libération parce qu’il y a beaucoup de choses que vous n’avez plus à prouver. Vous avez du temps et cela est tellement précieux. Ce serait bien que l’on fasse quelque chose sur cette malédiction de l’âge.

On m’a employée dans une série qui s’appelait Ad Vitam et qui a eu beaucoup de succès auprès des jeunes. Dans cette série, les gens pouvaient se régénérer à l’âge de 40 ans, mais il y avait une secte de gens qui voulaient vieillir naturellement et qui trouvaient que la mort est une sorte de porte vers un mystère. De ce passage, il faut faire un événement et ne pas le cacher. Malheureusement, le thème du vieillissement était trop léger à mon sens. Le réalisateur ne l’a pas assez développé.

Vous avez choisi d’inviter Adèle Haenel pour une rencontre exceptionnelle dans le cadre du festival femmes en cinéma. Pourquoi ce choix ?

C’est une actrice qui représente la femme d’aujourd’hui, ce côté androgyne. En Allemagne, les femmes ont déjà un coté si viril. Je ne veux pas dire si c’est souhaitable ou pas, mais je le constate.

Je trouve qu’Adèle a une présence qui est unique, quand on la voit on ne l’oublie pas. Elle me parait très authentique quel que soit le côté d’elle qu’elle dévoile. Elle a une nature riche.

Dans le film des frères Dardenne Une fille inconnue, elle transmet une force de dévotion et c’est très beau. Cette force de pouvoir se donner sans demander de retour est une qualité que l’on n’apprécie pas assez parce qu’elle est en train de disparaître. Il y a tant de précipitation dans ce monde à «la courte haleine» surtout dans la génération actuelle qui cherche son emploi.

Adèle Haenel m’a tout de suite frappée, elle est porteuse de qualités humaines qui sont nécessaires dans la société.

 

Propos recueillis par Brigitte Marti 50-50 Magazine

50-50 Magazine est partenaire du Festival Femmes en Cinéma qui se déroulera les 15, 16 et 17 au cinéma Les 3 Luxembourg. 

print