Articles récents \ Monde \ Europe Allemagne: avorter, le parcours de la combattante

Que s’est-il passé en Allemagne lorsque, dans les années 1970, les Françaises et toutes les femmes des pays industrialisés demandaient et obtenaient le droit à l’avortement ? La plupart des Français.es ignorent combien la situation en Allemagne est différente de la situation en France, et la chance que nous avons d’avoir eu la loi de 1975.

Dans les années 1970, de grandes manifestations ont eu lieu, en Allemagne comme en France, pour demander le droit à disposer de son corps. Mais en Allemagne le texte de loi, datant de 1872, selon lequel l’avortement est un crime n’a pas été modifié. Après la deuxième guerre mondiale, dans la Loi Fondamentale allemande de 1949, qui tient lieu en Allemagne de l’Ouest ex-République Fédérale Allemande (RFA) de constitution, les termes de cette loi avaient été repris à la lettre. La pénalisation a été abandonnée, et d’ailleurs elle n’avait jamais été appliquée, les secrets bien gardés des “faiseuses d’anges” rendant toute instruction impossible. Il n’y avait presque jamais de procès contre les femmes qui avaient avorté, seulement quelques procès sous le  2ème empire (1870- 1919) contre des avorteuses, suite aux décès de femmes passées entre leurs mains.

Dans la Loi Fondamentale, la protection de l’enfant à naître, telle qu’elle était défendue sous le second empire, a été reprise, lui conférant le statut d’un sujet de droit, protégé par la loi même contre sa propre mère pour le cas où celle-ci constituerait une menace pour lui. L’enfant à naître, qui est désigné comme “le non-né” (das Ungeborene), selon la terminologie officielle, et jamais comme fœtus, a donc un droit impératif à la vie selon le paragraphe 218 de la Loi Fondamentale.

En, Allemagne de l’Est, ex-République Démocratique Allemande (RDA), en revanche la peur d’une contamination des protestations féministes qui faisaient rage à l’Ouest a fait adopter une loi autorisant l’avortement durant les 12 premières semaines de grossesse dès le début des années 1970.

L’interdit persistant à l’Ouest, appuyé sur l’inconstitutionnalité, permet de mettre les femmes sous pression, comme en 1969 où une plainte est déposée contre 276 femmes qui doivent répondre de leurs actes devant le tribunal. Bien entendu elles n’ont pas été incarcérées, mais théoriquement criminalisées, socialement stigmatisées, désignées comme meurtrières d’enfants. Il s’agissait de réaffirmer que d’après le droit allemand, le corps de la femme enceinte appartient à l’enfant, pas à la femme.

Entre les deux Allemagne, le nivellement par le bas

En 1990 les deux Allemagnes ont été réunifiées et c’est le droit le moins favorable aux femmes, celui de l’Allemagne de l’Ouest qui a été adopté pour l’Allemagne réunifiée. Les Allemandes de l’Est ont perdu en 1992 ce droit à disposer de leurs corps qu’elles avaient sous le régime communiste. En Allemagne réunifiée, les services de santé et du domaine social, en particulier ceux concernant la petite enfance sont très majoritairement gérés par les églises protestante et catholique comme ils l’étaient en Allemagne de l’Ouest. L’amélioration de l’aide à la  parentalité est souvent perçue et pratiquée comme une politique de prévention de l’IVG et les églises promeuvent et organisent des groupes de parole de mères, des groupes d’activités mères- enfants pour les tout-petits, des séances de bébés nageurs, des groupes d’entraide pour les parents dans différentes situations de leur vie. Ces activités sont certainement utiles aux parents et particulièrement bienvenues pour les mères souvent très isolées, car elles sont plus nombreuses qu’en France à ne pas reprendre leur activité professionnelle à l’issue du congé parental. Cependant, ce programme participe d’une glorification malsaine du rôle de mère par rapport à toute autre terrain de réalisation de soi pour les femmes.

Cette importance de la maternité est ancrée historiquement dans les mentalités. Tous les régimes politiques qui se sont succédés depuis le 19 ème siècle ont découragé le travail salarié des mères, négligé les modes de garde, promu le slogan “la place de l’enfant est auprès de sa mère”. Les mères faisant garder leurs enfants étaient relativement rares en RFA et le sont restées jusqu’au début du 21 ème siècle; elles avaient recours presque exclusivement aux nourrices. La situation était diamétralement opposée en RDA où les femmes avaient l’obligation de faire garder leurs enfants dans le système étatique de garde dès leurs premiers mois de vie pour retourner à leur poste.

Le point commun entre les deux Allemagne est la baisse de la natalité, commune aux deux nations pendant les 40 ans de leur existence et qui a continué depuis la réunification.

Dans ce contexte de rareté de l’enfant, aujourd’hui encore, la protection de l’enfant à naître même contre sa mère est un objectif relativement consensuel en Allemagne (en particulier à l’Ouest et au Sud)  où une “Marche pour la Vie” est organisée chaque année et largement suivie. Les femmes désirant avorter doivent se rendre à un entretien psycho- social et les patientes viennent à la clinique munies d’un certificat prouvant que cet entretien a bien eu lieu dans un centre de conseil. Le pape Benoit XVI a fait interdire les entretiens que proposaient les associations catholiques, le certificat étant considéré comme un “Bon pour avorter”.

Utérus=papaye

Les gynécologues pratiquant l’IVG étant rares, les femmes qui souhaitent avorter doivent parfois parcourir des kilomètres pour accéder à un service de santé acceptant de le faire. Des régions entières, majoritairement catholiques, en sont complètement dépourvues. Les gynécologues, même non catholiques, peuvent faire usage de leur clause de conscience, et dans certains établissements de santé catholiques c’est l’employeur lui-même qui oppose sa clause de conscience. Dans la pratique quotidienne l’accès à l’IVG est donc difficile non seulement pour les femmes, mais l’exercice de la profession de gynécologue est difficile aussi puisque leur employeuse/employeur peut les mettre sous pression afin qu’elle/il adopte une ligne anti-avortement conforme à l’appartenance religieuse de celle-ci/celui-ci.

Plus grave encore, comme l’interruption volontaire de grossesse n’est pas ou peu enseignée en faculté de médecine, les gynécologues ont de bonnes raisons d’être très réticent.es à la pratiquer. Elles/ils ne se sentent pas en sécurité dans la pratique d´un acte qu’elles/ils n’ont pas appris. Or du fait du délai de prise de décision et d’accès à la/au praticien.e souvent long, 80% des IVG se font chirurgicalement par aspiration, contre seulement 20% d’IVG médicamenteuses, car les IVG médicamenteuses ne peuvent être pratiquées que dans les six premières semaines de grossesse. Les praticien.nes favorables à l’avortement sont donc dans la position très inconfortable de devoir se former quasiments seul.es et de leur propre initiative.

Une association étudiante a donc pris l’initiative d’organiser des “ateliers papayes” à l’université de médecine de Berlin pour enseigner l’IVG à de futur.es médecins en les faisant s’exercer sur des papayes, ce fruit étant d’une forme semblable à l’utérus. L’idée vient des USA où la pression anti-avortement est encore plus forte et les difficultés d’accès à ce savoir faire encore plus difficiles à surmonter. Le plus difficile pour ces étudiant.es déterminé.es allemand.es est de trouver des praticien.nes pour transmettre ce savoir. 1 200 gynécologues sur les 18 500 que compte l’Allemagne pratiquent (encore) l’IVG. La tendance est à la baisse. Plusieurs d’entre elles/eux ont déjà atteint l’âge de la retraite, mais sont les seul.es de leur ville, et si leur cabinet ferme, les femmes n’auront plus aucun recours, donc elles/ils continuent.

Chorale de rue “pour la vie”

L’association “Pro life” grande pourfendeuse des avortements et défenseuse du droit à la vie des foetus, elle aussi venue des USA, organise des occupations de trottoirs devant les cabinets et les cliniques des gynécologues pratiquant l’IVG en chantant des cantiques chrétiens. Ces manifestant.es interpellent les patientes à leur arrivée devant le cabinet ou la clinique, les menacent, tentent de les dissuader d’y entrer, voir les agressent physiquement. Pour assurer la tranquillité et même la sécurité de leurs patientes, plusieurs gynécologues ont dû déménager ou entreprendre des travaux de modification des accès à leur lieu de travail.  Pro life distribue des posters de ces praticien.nes avec la mention “wanted” comme si elles/ils étaient des criminel.les recherché.es. Les militant.es pro life ont aussi parfois confisqué aux patientes le fameux certificat d’entretien psycho- social et l’ont déchiré, rendant l’IVG illégale pour la/le praticien.ne. Ensuite l’association Pro life porte plainte contre la/le gynécologue pour avortement illégal. Cette guérilla judiciaire leur permet aussi de s’en prendre aux médecins qui annoncent sur leur site internet qu’elles/ils pratiquent les IVG car cette information est considérée comme une publicité, laquelle est bien entendu interdite. Ces dernières années, Pro life a obtenu la condamnation de certain.es gynécologues à de lourdes amendes.

Toutes ces attaques sont protégées par la loi alors que les médecins, elles/eux, ne le sont pas. Cette situation est un véritable danger pour la liberté des femmes de disposer de leur corps, et la nécessité de la  modification de la loi n’en est devenue que plus évidente. Les quelques arrêtés municipaux d’interdiction de s’assembler sur les trottoirs devant les centres d’IVG pour que leurs patientes ne soient pas harcelées par les militant.es anti IVG ne suffisent pas.

Le catholicisme intransigeant avec le droit de l’enfant à naître a encore de beaux jours devant lui: la modification de la loi, bien inscrite dans le programme du Parti Social Démocrate (SPD) a fait les frais de la coalition de 2017. Obligé de s’allier á la droite pour gouverner, le SPD a dû abandonner cette revendication incompatible avec le programme de la CDU, majoritaire, et très conservatrice, pour qui la femme qui avorte est, certes, en situation de détresse, mais le médecin qui l’assiste est un.e meurtrièr.e et doit le rester.

C’est donc le statu quo qui l’emporte: interdit mais non pénalisé. Le droit du “non-né” contre le droit des femmes.

 

Florence Humbert 50-50magazine

Photo agence imago: manifestation d’opposant.es à l’IVG devant la chambre des député.es à Berlin en mars 2019

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