Articles récents \ Île de France Lorena Kelly : « Notre quotidien, c’est de savoir comment elles vont, c’est d’aller vers elles, toujours aller vers elles » 1/2

Les Bains-douches de la rue de Charenton, à Paris, ne sont pas comme les autres : l’après-midi, ils deviennent une structure sociale avec un lieu d’accueil, d’hygiène et de soins dédié aux femmes en situation de grande précarité, proposant un suivi social. Il s’agit de l’une des rares structures réservées aux femmes qui vivent dans la rue. La parole de ces femmes est au centre de l’organisation du lieu. Lorena Kelly, responsable de l’équipe, se préoccupe avant tout de leur garantir un accueil inconditionnel.

Depuis quand existent ces bains-douches dont vous êtes la responsable ?

Je suis responsable de ce lieu magnifique, qui a été inauguré le 20 mars 2019, et ouvert aux femmes le 21. Au départ, nous avions une petite activité. Il a fallu du temps pour que l’information circule. J’ai rencontré beaucoup de partenaires de Halte femmes, de l’Espace Solidarité d’Insertion (ESI), afin qu’elles puissent nous envoyer des femmes. Depuis quelques temps, dix dames viennent chaque jour, nous espérons en accueillir davantage.

Notre structure n’est pas une Halte femmes, ni un ESI, nous sommes au carrefour de ces structures. Notre idée était de proposer un lieu qui soit avant tout accueillant, qui offre un accueil inconditionnel, sans obligations, qui soit dédié aux soins, à l’hygiène, avec la possibilité d’avoir un suivi social et de faire venir des intervenant.es extérieur.es. Ces dames sont particulièrement épuisées par les parcours de rue. À travers le suivi social, elles sont orientées vers différents endroits. C’est aussi notre mission. Nous proposons une multitude de services sur notre site.  C’est pourquoi nous avons eu l’idée d’avoir une travailleuse sociale, une animatrice sociale et une infirmière. Nous aimerions mettre en place une consultation gynécologique et une permanence avec des pédicures-podologues. Nous travaillons avec le Barreau de Paris Solidarité qui fait des permanences juridiques. Le but est de mettre tout à disposition des dames, pour leur éviter des déplacements.

Comment le projet est-il né ?

Il y a un an et demi, le Samu social a lancé la campagne La Rue avec elles. Elle a permis d’avoir plus d’informations sur les besoins des femmes à la rue, de comprendre ce à quoi elles sont confrontées, avec des chiffres qui montrent qu’elles sont plus qu’on ne le pense. Nous sommes parties des besoins des personnes concernées.

Quelle est l’importance d’un tel lieu pour les femmes qui y viennent ?

Le fait que cette structure soit un lieu exclusivement dédié aux femmes est très important. Il y a des dames qui ont pu faire remonter des informations : il est compliqué de partager les bains-douches avec des hommes, elles s’y sentent parfois en insécurité… Un lieu dédié aux femmes permet d’aborder des sujets liés plus particulièrement à l’expérience des femmes. Nous voulons organiser des débats, des espaces de parole collectifs, autour de la parentalité, de la contraception, ou encore sur les problèmes de diabète, d’addictologie… Créer des espaces où les femmes peuvent parler entre elles en toute sécurité, c’est quelque chose qui n’existait pas jusqu’à présent. Il y a des Haltes femmes qui font aussi un très bon travail. Sur le plan de l’hygiène, nous trouvions qu’il était aussi important que ce lieu soit réservé aux femmes. Et d’ailleurs, les femmes sont très contentes.

Donnez-vous des serviettes hygiéniques ?

Nous donnons des kits d’hygiène composés d’une brosse à dents, de dentifrice, de shampoing, d’un après-shampoing, de lait pour le corps, de gel douche, de serviettes hygiéniques, de culottes jetables.

Le lieu peut-il accueillir des enfants ?

En tant que Samu social, ce lieu est une structure sociale, les enfants doivent donc être accompagné.es d’une majeure et nous devons avoir l’identité de l’enfant et sa date de naissance. Selon le règlement intérieur de la Ville, les enfants peuvent venir dans les bains-douche de la ville, mais notre établissement est différent : il y a un accompagnement social qui est proposé. Les femmes seules avec leurs enfants sont bien évidemment les bienvenues, il y a du matériel adapté, des tables à langer, des baignoires pour bébés, des pots pour l’espace toilettes, des adaptateurs…

Comment se passe le quotidien ?

Le quotidien est paisible. Les femmes que nos accueillons sont victimes, pour la plupart, de violences, ou ont été victimes de violences. Nous leur proposons un lieu apaisant où chacune a sa place, pour dire les choses, discuter. La violence reste à l’extérieur, nous nous respectons les unes les autres. Notre quotidien, c’est de savoir comment elles vont, c’est d’aller vers elles, toujours aller vers. Il y a des bureaux à l’étage, mais l’idée c’est que l’équipe soit en bas, prenne le temps de savoir comment s’est passée leur nuit, si elles ont faim, de comprendre de quoi elles ont besoin, d’être attentives à elles, c’est l’essentiel. Dans un deuxième temps, c’est de savoir si elles ont besoin de laver leur linge, si elles ont mal quelque part, si elles ont besoin de conseils, d’être orientées vers des structures de droit commun, ou d’avoir un rendez-vous avec la travailleuse sociale pour engager des démarches administratives.

Notre quotidien c’est surtout d’aller vers elles, leur redonner toute la confiance qu’elles n’ont plus en elles, la dignité, en tout cas d’y participer. Nous sommes toujours dans un rapport sans jugement, nous essayons de créer, si possible et comme elles le souhaitent, un lien de confiance. Pour cela, rien n’est obligatoire ici, tout se fait selon le principe de libre adhésion. Nous leur disons et leur répétons que ce qu’elles déposent reste au sein de l’équipe, c’est un lieu où elles redeviennent actrices et maîtresses de leurs informations. Tout est fait avec leur consentement, tout est validé par elles, c’est essentiel. Elles participent à chaque étape de leur accompagnement, si nous devons appeler une structure, nous appelons ensemble. Elles valident tout, c’est leurs informations, elles sont adultes. Cette manière de faire leur permet de reprendre du pouvoir.

Vous refusez l’infantilisation des personnes dans le besoin, qui peuvent très bien choisir et agir par elles-mêmes.

Tout à fait, c’est notre marque de fabrique. Je pense qu’elles apprécient, d’ailleurs les femmes qui viennent sont des habituées. Par semaine, il y a une ou deux nouvelles dames que nous ne connaissons pas et celles qui viennent quotidiennement sont des femmes qui se sentent bien dans ce lieu, qui le trouvent beau. Elles sont invitées à faire remonter les choses, pour que nous puissions y répondre, nous voulons qu’elles soient aussi force de proposition, que ce soit un lieu dont elles puissent s’emparer. C’est leur lieu.

Comment les femmes qui viennent ont-elles eu connaissance de ce lieu, combien de femmes y viennent ?

Dix femmes viennent par jour, souvent ce sont des habituées, mais pas toujours les mêmes, il doit y avoir 50 femmes différentes depuis l’ouverture de l’établissement.

Certaines connaissaient le lieu via les Bains-douches de la Ville, d’autres ont été orientées par des hommes qui venaient le matin et qui leur ont dit que l’après-midi était réservé aux femmes. Le 115, qui est géré par le Samu social, les oriente ici, de même que le recueil social de la RATP, via les maraudes. Il y a donc également la Halte femmes qui envoie des dames connues de leurs structures, accompagnées parfois par certain.es membres de leur équipe, ainsi que les ESI. Des dames viennent avec leurs copines, c’est sympa. Après l’inauguration, il y a eu un article dans le Parisien, les femmes qui ont vu l’article sont venues voir par curiosité, certaines sont revenues.

Comment se sentent-elles ici ? 

Il n’y a qu’elles qui pourraient répondre. En tout cas, nous faisons tout pour qu’elles se sentent au mieux, j’espère que nous répondons à cette attente-là. Si elles reviennent régulièrement, j’ai envie de croire qu’elles s’y sentent bien. Certaines viennent pour prendre une douche ou un café puis repartent, d’autres restent papoter, ou se reposer sur les canapés. Nous n’avons pas d’espace de repos à proprement parler, mais elles viennent souffler. Quand nous leur demandons comment elles se sentent, elles répondent positivement. Avec leur franc-parler, elles s’autoriseraient à dire ce qui ne va pas. Je pense qu’elles sont plutôt contentes du lieu et qu’il soit réservé aux femmes.

Lire le récit d’une journée passée aux Bains-douches du 12ème

 

Propos recueillis par Alice Gaulier 50-50 Magazine

 

Photo : David Real

print