Articles récents \ Monde Briser le tabou des règles: une nécessité

Pour la journée internationale de l’hygiène menstruelle, le 28 mai dernier, l’ONG Care France organisait une soirée particulière: la Period Party (fête des règles, en anglais). Care avait vu les choses en grand, invitant nombre d’intervenant.es motivé.es et inspirant.es à débattre, témoigner, faire rire ou encore chanter. Tous les remèdes sont bons pour briser le tabou des règles.

Les conséquences du tabou des règles

Comme l’explique Philippe Lévêque, directeur de Care France, le sujet des règles s’est imposé à l’ONG: à l’origine, la démystification des règles ne faisait pas partie des missions envisagée par Care. Sur le terrain, les bénévoles ont réalisé que les règles avaient un impact sur la quasi-totalité des situations contre lesquelles elles/ils luttaient et qu’il fallait s’emparer de la question.

Par exemple, l’ONG a constaté que la puberté est l’une des premières causes de déscolarisation des filles. Partout, les règles sont un non-dit, une source de gène, de honte, voire carrément de peur. Dans certains pays, le manque de protections hygiéniques, l’absence de toilettes dans les écoles et les croyances ancestrales conduisent de nombreuses jeunes filles à stopper leurs études, comme le montre le reportage Sang les femmes, un combat menstruel. Ce reportage réalisé au Népal par la youtubeuse Natacha Birds et son mari, traite de la tradition du Chaupadi, au nom de laquelle les femmes, réputées impures pendant leurs règles, doivent passer le temps de leurs menstruations hors de chez elles, et ainsi dormir dehors… Suivre des études au même titre que les garçons lorsque l’on doit survivre à l’extérieur, une semaine par mois, devient mission impossible. Aujourd’hui, au Népal, 89 % des femmes sont concernées par cette tradition.

Autre exemple, dans les situations d’urgence, comme à Alep, les protections périodiques sont une des premières demandes des populations civiles. Philippe Lévêque souligne que l’univers de la réponse humanitaire d’urgence est très masculin, que les protections périodiques ne sont donc pas envisagées de prime abord comme un produit d’urgence. Désormais, explique le directeur de Care, on pense de plus en plus à «la nourriture, aux couvertures et aux protections.»

Cet exemple est révélateur d’une des raisons de la persistance du tabou des règles : l’ignorance.

La nécessité de parler des règles

Care a développé des programmes de sensibilisation aux règles et, notamment, de sensibilisation des hommes. Philippe souligne : «il y a des façons d’impliquer les hommes, pour qu’ils comprennent les enjeux. Parce que, souvent, les gens reproduisent leurs schémas.» Il faut donc comprendre l’origine des croyances pour pouvoir les défaire : il faut théoriser. Pour ce faire, Care a beaucoup travaillé à partir de la pensée de l’anthropologue Françoise Héritier, qui a montré que depuis la nuit des temps le fait que les femmes aient la capacité de donner la vie est une source de gène pour les hommes, qui, en réponse, cherche à contrôler le corps des femmes (ce qu’elles mangent, leurs activités, leur plaisir sexuel etc). Concernant les règles, ce contrôle s’est souvent manifesté de la façon suivante : les femmes perdent le sang, elles ne peuvent donc pas le faire couler et elles sont ainsi cantonnées à la cueillette. Dans la mythologie grecque, une seule déesse peut faire couler le sang; il s’agit d’Artémis, déesse de la chasse, dont une des particularités est… d’être vierge.

Parler des règles, en expliquer les conséquences est nécessaire lorsque l’on cherche à ce que les droits des femmes soient respectés. Fati Abdou, responsable d’un programme Care en Côte d’Ivoire, raconte l’histoire d’un bénévole avec qui elle travaille. Cet homme s’est engagé dans la lutte contre le tabou des règles lorsqu’il a appris que son épouse et sa fille utilisaient de la bouse de vache séchée pour absorber leurs règles : n’étant pas averti de leurs besoins, il ne leur donnait pas d’argent pour se procurer des protections périodiques. En Côte d’Ivoire, l’homme est responsable des finances de la maison. Fati raconte également sa propre histoire. Lorsqu’elle a eu ses règles pour la première fois, elle ne savait pas ce que c’était: elle pensait qu’elle était en train de mourir. Sa mère l’a rassurée, lui expliquant qu’elle était devenue une femme, puis l’a renvoyée à l’école en la mettant en garde: « si tu croises le regard d’un homme, tu vas tomber enceinte. »

Parler des règles est aussi nécessaire en Europe, comme l’a senti Philippe, au fil des conférences qu’il a pu donner, à La Sorbonne ou encore à Monaco en présence de la princesse Caroline. Il pensait qu’il allait «se faire jeter», comme il dit. Bien au contraire. Il résume en ces termes « du fond de la brousse à un palais, on peut en parler. » 

Care s’est donc adapté à la demande et organise maintenant, à travers le monde, des ateliers de fabrication de serviettes périodiques, des groupes de parole entre filles et garçons dans les écoles, des conférences, des approvisionnement en protection dans les pays en situation d’urgence ou encore des vidéos, à l’image de celle de la campagne Respectez nos règles !

Comme le dit Philippe : « le chemin avance. »

Bénédicte Gilles 50-50 magazine

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