Articles récents \ Culture \ Théâtre Aux poings, une pièce d’Alix Andreani et Julie Duval

Alix Andreani et Julie Duval sont comédiennes et boxeuses de haut niveau. Elles ont écrit, mis en scène et, depuis le 8 octobre, jouent Aux poings, un spectacle étonnant, percutant, drôle. La scène est un ring de boxe sur lequel les deux comédiennes se battent en racontant les combats d’autres femmes. Témoignages sur ce que le sport fait aux femmes. 

D’où vous est venue l’idée du spectacle ?

Alix Andreani : L’idée de départ c’est un duo entre Julie et moi. Nous sommes amies dans la vie et nous travaillons ensemble sur un grand nombre de projets. Nous nous entendions tellement bien dans le travail que Julie essayait de me caler dans les projets sur lesquels elle travaillait, et inversement. Au bout d’un moment nous nous sommes dit qu’il fallait que nous créions un spectacle ensemble !

Toutes les deux, nous avions commencé à pratiquer la boxe thaï à haut niveau. Et nous nous sommes rendues compte que le fait de pratiquer un sport de combat avait changé des choses dans notre vie, de façon très positive. Nous sommes des jeunes femmes qui aiment se faire jolies, se maquiller… Nous sommes très féminines. Pratiquer un sport de combat, qui est plutôt de l’ordre du masculin, a fait ressortir les aspects masculins de nos personnalités. Et cela nous a permis de trouver un équilibre entre notre féminin et notre masculin.

Beaucoup de choses ont changé dans nos vies de femme et nos vies d’artiste, d’actrice, d’entrepreneuse. Depuis que nous avons appris à nous battre, nous avons bien plus de force mentale et de confiance. Aujourd’hui, je réalise des choses qui me paraissaient avant insurmontables : j’ai les mêmes problèmes, mais je ne les aborde plus de la même façon. Par exemple : en tant que comédienne, je passe beaucoup de castings et si je n’étais pas choisie, je le vivais très mal. Désormais, je vais en casting et je stresse évidemment, mais tout de suite après je me dis «Attends, il y a deux semaine tu es montée sur le ring, tu as combattu une fille, tu t’es pris des gros pains dans la gueule et tu t’es redressée. Et tu étais heureuse. Et tu allais très bien. Alors, un casting c’est infiniment plus facile.» Tout de suite je redescends et je réalise que l’enjeu du casting n’est pas si important. Grâce à la boxe, je me suis enlevée une pression.

Que voulez-vous dire dans ce spectacle ?

Julie Duval : Nous avons beaucoup travaillé sur l’occultation des femmes, avec le personnage de Marjolaine qui se fait occulter à l’école, dans ses rêves, elle représente ces femmes qui sont écrasées en permanence…

Alix Andreani : … Et qui n’ont pas de perspectives ! Ce sont des femmes qui viennent de milieux modestes, populaires, et qui n’ont pas de perspectives à part «se marier et faire des enfants». Comme le dit le personnage de Marjolaine dans le spectacle, il faut sortir, il faut sortir de l’ombre.

Julie Duval : Nous avons aussi voulu montrer que le fait de rencontrer, différentes femmes, différentes figures, nous permet de commencer à savoir qui nous sommes et à comprendre que nous avons toutes/tous des dons particuliers. Je vois le nombre de femmes qui me disent «je ne peux pas», «ce n’est pas pour moi», «je n’y arriverai jamais»… J’étais comme elles, Alix aussi. C’est la boxe qui nous a dés-occultées. C’est une libération !

Alix Andreani : Pour la suite du spectacle, nous travaillerons sur le masculin. Le but ultime c’est que le féminin se dresse et que le masculin s’ouvre. C’est pour cette raison que nous ne voulons pas «taper sur les mecs». Nous voulons leur démontrer que, certes, nous sommes en France et que nous femmes ne sommes pas trop mal loties. Mais tout de même, être femme n’est pas évident. En tant que femmes, nous vivons une pression dont nous n’avions pas conscience avant de travailler sur le spectacle.

Julie Duval : J’ai vécu pendant 20 ans dans le Sud de la France. Quand je suis arrivée à Paris, je n’avais pas de rêves, je parlais mal, je n’avais aucune possibilité de m’exprimer, j’étais hyper violente… Je vivais dans un tunnel noir et j’avais la rage.

Alix Andreani : Avant de commencer à travailler le spectacle, nous avions beaucoup d’intuitions. En travaillant, nous avons pu mettre des mots dessus, de sorte que nos intuitions deviennent de réelles pensées.

Avez-vous l’intention de prolonger le spectacle ?

Alix Andreani : Oui, c’est une création et une première version que nous aimerions développer encore. Ce soir c’était notre première version. Nous allons la retravailler. Et pour une première version, nous sommes vraiment contentes ! Nous avons rencontré beaucoup de personnes qui croyaient en nous et qui nous ont aidées pour en arriver là.

Julie Duval : Grâce à ces personnes, à cette mixité autour de nous, nous avons pu toucher un public varié, pas seulement une petite caste intello. Je pense que tout le monde peut se retrouver dans le spectacle !

Alix Andreani : Le spectacle n’est pas excluant. Nous ne voulons surtout pas faire la morale. Nous posons les questions, en direct, mais nous n’avons pas les réponses. Chacun.e fait comme elle/il veut.

Julie Duval : Nous voulions aussi faire le parallèle avec la parole de Phoolan Devi (1), cette jeune indienne, et montrer que dans certains milieux populaires les filles vivent un enfer. Il y a des filles qui se suicident, qui vivent des boycotts au collège, qui lorsqu’elles sortent de l’école ne veulent plus vivre.

Propos recueillis par Bénédicte Gilles et Caroline Flepp 50-50 magazine

1 Phoolan Devi (1963-2001) est une parlementaire indienne. Mariée à 11 ans, elle a subi de multiples viols avant que le mariage ne soit annulé. Adolescente, elle a été enlevée par un gang puis a épousé le chef de celui-ci. Après avoir été violée par les assassins de son mari, elle décide de former son propre gang pour se venger, ce qui lui a valu les surnoms de « Reine des bandits » et « Robin des Bois indienne ». Elle a ensuite été incarcérée pendant 11 ans sans que son procès n’ait jamais lieu. Le gouvernement finit par abandonner les charges, elle est libérée et se présente aux élections parlementaires en 1996. Elle a été assassinée en 2001.

Spectacle joué au 100 rue de Charenton 75012 Paris

Les 9, 10, 16, 17, 18, 19, 23, 24, 25 octobre.

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