Articles récents \ Culture \ Cinéma Sœurs d’armes : le combat des femmes contre les djihadistes

Sœurs d’armes est le premier long-métrage de Caroline Fourest, journaliste, essayiste et réalisatrice. Avec dans les rôles principaux Kenza et Yaël incarnées par Camélia Jordana et Esther Garrel, deux Françaises qui s’engagent dans les brigades internationales pour rejoindre les combattantes kurdes. Elles vont rencontrer Zara, incarnée par Dilan Gwyn, jeune yézidie dont le destin est le fil rouge du film. Ce film est une alerte aux pays occidentaux qui, s’ils tardent à bouger, risquent de voir durer cette effroyable guerre de Daech.

Caroline Fourest décrit le conflit entre Daech et les forces armées féminines kurdes à travers l’histoire de Zara et de sa famille. Elle a choisi d’initier l’histoire dans le village des Yézidies, car c’est le cœur du drame, le génocide programmé d’une population.

Nous suivons Zara, née dans une famille unie, et dont le père se fait assassiner sous ses yeux lorsque les envoyés de Daesh viennent envahir leur village, exécutant les hommes et emmenant les femmes pour les vendre en triant «les fraîches des vieilles.»

Cette barbarie n’est en rien fictionnelle, le génocide des Yézidies nous a déjà été raconté par le prix Nobel pour la paix, Nadia Murad, porte-parole des femmes yézidies. Ce film n’est pas de trop pour le marteler, il a été tourné au Maroc avec quelques extraits au Kurdistan.

Les femmes prennent les armes

Puisque le monde est sourd, les femmes prennent les armes. Elles luttent depuis des années, et leur résilience est un exemple pour le monde entier. «Les femmes se sont battues depuis l’aube des temps», fait dire Caroline Fourest à l’une de ses protagonistes : «certaines étaient guerrières, dans les temps anciens, celles qui ont combattu sont effacées de l’histoire patriarcale et ramenées à leurs chaînes domestiques.» Cette fois, ce ne sera pas le cas, elles vont se défendre.

Des critiques ont dit que la réalisatrice rend héroïque la violence féminine, et pourquoi ne pas héroïser des faits de défense juste? C’est probablement le retournement des rôles traditionnels séculaires qui doit «énerver» certain.es.

Car c’est bien de cela dont il s’agit : Caroline Fourest affirme qu’il est temps que le féminin et le masculin soient partagés entre toutes et tous, que les femmes sortent du rôle de victimes et de pleureuses qui leur a été assigné, et retrouvent leur force et leur pouvoir.

Caroline Fourest portait ce projet en elle depuis les déclarations de Charb avant son assassinat à Charlie Hebdo en 2015. Il avait parlé à plusieurs reprises de rallier les femmes combattantes kurdes qui le fascinaient.

Le message du film est clair : les femmes en ont marre de se faire tabasser, violer, acheter et ont décidé de répliquer avec les armes puisque il n’y a pas d’autre choix. «Du sommet de l’oppression, elles passent à la puissance armée, une apogée en fait», ce renversement est inouï, explique Caroline Fourest.

Traitée comme une marchandise

On suit avec effroi le parcours de Zara, jeune fille peintre, sensible, née dans une famille aimante d’un village yézidie qui tombe soudainement dans la barbarie la plus atroce. Elle est achetée par un officier de Daech, avilie et traitée comme une marchandise. Elle réussit à s’enfuir, laissant derrière elle son petit frère. L’épisode sordide de son enfermement et de son viol brutal est suggéré, restant loin de tout voyeurisme.

Zara rejoint ensuite une brigade kurde féminine qui a sa propre dynamique et ses protagonistes. Les femmes engagées ont toutes des motivations très fortes. Les deux françaises accrochent le spectateur par leur jeunesse et leur sérieux mêlé de candeur. Elles développent une relation privilégiée entre elles et une solidarité avec toutes. Dans les paysages somptueux et sauvages, il y a des instants poétiques et presque bucoliques, donnant des respirations bienvenues après les plans de conflits armés sanglants.

Zara «deviendrait folle» si elle n’avait pu rejoindre ce groupe. Seule l’action peut la sauver en vengeant toute sa famille. On comprend que toutes ont un besoin viscéral de se battre pour leur dignité.

La réalisatrice tire sur la corde sensible et réussit à nous faire verser des larmes. Les « méchants » sont punis et pour une fois par des femmes ! Cela change des éternelles femmes sacrifiées à la fin des opéras et des films à grand spectacle.

Merci à Caroline Fourest d’ouvrir un nouveau paradigme. Des femmes et en l’occurrence des victimes, peuvent devenir des guerrières, elles l’ont été dans des temps anciens et reviennent à la charge maintenant, comme aujourd’hui les femmes autochtones, qui, originaires pour certaines, de sociétés matrilinéaires, portent la cause de leur peuple devant de grandes instances internationales.

Ce film est féministe et universaliste, et ne s’en cache pas. Il émeut, il interpelle, avec des moments de beauté somptueuse où l’on peut espérer revenir à un monde meilleur où les femmes et les hommes pourraient retrouver un peu de paix si le monde se réveille pour soutenir les soldates et soldats qui se battent pour nous toutes et tous contre le djihad et l’horreur des génocides.

Roselyne Segalen 50-50 Magazine

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