Articles récents \ Monde Moïra Sauvage : « La quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Pékin fut un événement extraordinaire »

C’était il y a 25 ans. Les Nations Unies organisaient la quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Pékin, pour défendre l’égalité des sexes. À la suite de quinze jours de négociations, 189 pays adoptaient la « Déclaration et le Programme daction de Beijing ». Des « textes historiques » selon l’ONU, qui marquent « un tournant important » pour la défense des droits des femmes et des filles dans le monde. Cette année, la Conférence, rebaptisée « Forum Génération Égalité », se tiendra à Paris du 7 au 10 juillet, afin de poursuivre et de mesurer les efforts des pays pour l’égalité et pour la défense des droits des femmes et des filles. Moïra Sauvage, journaliste et militante féministe a assisté au forum des ONG à Huairou (dans la banlieue de Pékin), qui se tenait en parallèle de la Conférence de 1995. Elle nous raconte cet événement sans précédent qui a réunit 30 000 femmes.

Dans quel cadre avez-vous assisté à cet événement ?

J’y suis allée en tant que journaliste. Je n’étais pas intégrée officiellement aux discussions de l’ONU, j’assistais à l’événement annexe avec les ONG. Je suis partie pour écrire un article que je n’ai finalement jamais écrit. Sur place, j’ai retrouvé des amies journalistes, mais au départ je suis partie seule.

Qu’attendiez-vous de ce forum ?

Ce que j’ai trouvé là-bas ! La quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Pékin fut un événement extraordinaire : 30 000 femmes du monde entier se sont retrouvées à Huairou, avec un combat commun, celui de défendre nos droits et de lutter contre les injustices. Cet événement a favorisé mon engagement, mon militantisme pour la défense des droits des femmes. C’était la représentation même de la sororité.

J’en garde un souvenir incroyable, malgré l’organisation chaotique. Nous dormions dans des chambres qui ressemblaient à des cellules, sur des lits en fer. Il a beaucoup plu pendant quinze jours, il y avait de la boue partout, mais c’était tellement excitant. Je me déplaçais de stand en stand, entre les femmes qui venaient d’Afrique du Sud, celles qui venaient d’Amérique du Sud, d’Amérique du Nord… toutes mettaient en avant leurs costumes traditionnels. Je ressentais beaucoup de joie. On nous servait de la soupe ignoble mais on s’asseyait les unes à côté des autres pour discuter. Ce forum a changé ma vie, ça m’a ouverte au monde, après ça je me suis engagée pour Amnesty International et j’ai écrit des livres.

Et quel regard portiez-vous sur la Conférence de l’ONU qui avait lieu simultanément à Pékin même, entre les délégué·es gouvernementales/gouvernementaux ?

Nous suivions ces discussions de loin, c’était assez ennuyeux, ça paraissait très sérieux. Il s’agissait surtout de discours, alors que nous c’était le terrain.

J’ai lu le texte à la fin (la Déclaration et le Programme d’action de Beijing), il y avait de bonnes résolutions. Le texte fixe des objectifs et des actions stratégiques pour l’autonomisation des femmes, dans 12 domaines de préoccupation, comme les femmes et la pauvreté, l’éducation, la santé, les violences, ou encore l’environnement. Les gouvernements ont pris un certain nombre d’engagements pour défendre l’égalité des sexes, réduire les injustices, et tous les cinq ans, l’ONU fait un bilan. C’est bien que ce genre d’initiative existe.

En 1995, le contexte autour des droits des femmes n’était pas le même qu’aujourd’hui…

Non, c’est vrai, il n’y avait pas autant de fondamentalistes religieux qui menacent aujourd’hui les libertés des femmes. J’ai 66 ans, mais quand j’avais 25-30 ans, je pensais que nous nous dirigions vers un avenir plus glorieux.

Il y a des progrès, les choses s’améliorent ça et là, je travaille sur l’excision, les pays africains condamnent officiellement cette pratique, même si dans la réalité c’est différent. Mais je suis inquiète, car ces dernières années on constate un retour en arrière sur les droits liés à l’avortement, à la sexualité, sur les droits reproductifs. En période de crise, il y a une recrudescence des violences envers les femmes, et c’est partout pareil.

Après, n’oublions pas quand même qu’en 1995 internet était beaucoup moins développé. Et il faut reconnaître qu’internet est une révolution qui a beaucoup servi aux militantes féministes, pour l’accès aux informations, pour créer du lien entre les luttes dans les différents pays.

Cette année, en juillet, la France accueillera le « Forum Génération Égalité » afin daccélérer les efforts en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Qu’attendez-vous de cette Conférence ?

J’ai beaucoup d’attentes. D’un côté, je le disais je suis inquiète, mais je suis optimiste quand je pense aux nouvelles générations. Les jeunes militantes féministes sont inspirantes, et elles me redonnent confiance. D’ailleurs le terme « Génération Égalité » me plaît bien pour cette raison.

En 2015, lONU écrivait « Près de 20 ans après ladoption du Programme daction, aucun pays na instauré l’égalité pour les femmes et les filles, et les niveaux d’inégalité entre les femmes et les hommes demeurent élevés. », c’est toujours vrai aujourdhui

Oui… Aujourd’hui, les gouvernements disent principalement faire attention à ne pas revenir en arrière pour les droits des femmes, de faire attention à garder nos acquis. C’est vrai, ce qui se passe aux Etats-Unis par exemple, sur le recul du droit à l’avortement, est inquiétant, plusieurs États votent des lois entravant de plus en plus l’accès à l’IVG, mais j’espère qu’on arrêtera de s’en contenter. Il ne faut pas simplement essayer de conserver ce qu’on a déjà obtenu, mais il faut aussi aller de l’avant et progresser sur ces questions d’égalité pour les femmes et les filles.

Chloé Cohen, 50-50 Magazine

print