Articles récents \ Île de France \ Société Le Planning Familial, mouvement féministe d’Education Populaire : l’accueil collectif, un choix politique

C’est quoi au juste, l’Education Populaire ? C’est reconnaître que nous toutes et tous sommes capables de créer, d’alimenter la connaissance et de participer au changement social. C’est défendre l’idée que les savoirs profanes sont aussi légitimes que ceux appartenant à la science « dure ». L’accueil collectif, un outil historique féministe des années 1970 qui souhaite casser l’individualisation des problématiques féminines, le privé est politique.

Le Planning Familial lutte pour le droit et l’accès à l’information et à l’éducation permanente. Il défend l’idée que chacun.e a en soi, la capacité d’accéder à son autonomie, à condition d’avoir accès aux informations et aux moyens nécessaires à cette démarche. C’est une condition indispensable pour permettre à chacun.e de s’affirmer en tant que sujet et de faire des choix éclairés. L’éducation est synonyme d’émancipation et d’autonomie car connaître ses droits c’est pouvoir les exercer. Cette démarche dynamique met l’accent sur la production de savoirs collectifs pour s’émanciper ensemble des normes et cultures dominantes et co construire un plaidoyer commun.

Qu’est-ce qu’un accueil collectif au Planning ? Pourquoi ce choix ? En quoi s’inscrit-il dans la démarche d’Education Populaire du Planning ?

En Ile-de-France, les plannings familiaux du 94, 93 et du 75 ont opté pour des accueils collectifs. Des femmes venues pour une IVG ou une contraception sont reçues dans un premier temps en groupe de 4 à 10 personnes afin d’échanger sur leurs propres questionnements.

Au regard des nombreuses demandes auxquels certains Plannings faisaient face, la nécessité de faire des points d’informations collectifs s’est donc imposée et s’est vite avérée être un choix politique. En entretien individuel, les femmes avaient tendance à s’excuser, culpabiliser et se justifier de leur choix. A l’inverse, le groupe de pairs a tendance à déculpabiliser. Il a un effet libérateur voire déstressant. Les femmes, avec une problématique commune, réunies dans un espace chaleureux, non jugeant et bienveillant, échangent sur leurs expériences, leurs craintes et leurs questionnements.

Le Planning Familial souhaite sortir d’un système de hiérarchie des savoirs. Les médecins et sages-femmes quittent leur blouse blanche. En accueil collectif, la seule chose qui les différencie des autres animatrices, c’est qu’elles auscultent et délivrent des ordonnances. La parole des femmes est mise en valeur par les échanges de savoirs et d’expériences. Elle est complétée par les connaissances et expertises des animatrices. Les femmes se transmettent leurs techniques empiriques, recettes de grand-mère pour soulager les douleurs de règles ou celles liées à une IVG : « La bouillotte chaude est redoutable ! » ou « le sèche-cheveux dans le bas du dos fonctionne très bien aussi » nous raconte une jeune femme ayant avorté deux semaines auparavant.

Ces discussions permettent aussi de lutter contre les nombreuses idées reçues existant autour des contraceptions, de l’IVG mais aussi des sexualités non- hétérosexuelles. Il n’est pas rare d’entendre : « les antadys ça rend stérile », « avorter rend stérile », « le stérilet n’est recommandé que pour les femmes qui ont déjà eu des enfants », « la pénétration anale c’est mauvais pour la colonne vertébrale »… Le rôle des animatrices est de déconstruire ces idées reçues. Elles évoquent ainsi l’origine patriarcale, hétéronormée de ces préjugés qui visent à contrôler la sexualité des femmes en les cantonnant à la procréation. Au Planning, on parle d’érotisme, de clitoris, de jouissance féminine de manière libre et décomplexée.

Comment s’organise un accueil collectif IVG dans les différentes associations du Planning ?

A Maisons-Alfort, 94, les animatrices accueillent sur rendez-vous, les femmes le lundi et jeudi après-midi et un mercredi sur deux de 16h à 19h. Elles peuvent recevoir 4 femmes au maximum. Après l’accueil collectif, elles sont reçues individuellement en entretien par le médecin au cours duquel elles remettent leur consentement écrit et prennent le 1er comprimé de mifépristone pour préparer le col de l’utérus à l’interruption de grossesse. Elles repartent avec les 4 comprimés de misoprostol, à prendre entre 26 et 48h plus tard, qui provoqueront des contractions utérines et l’expulsion de la grossesse.

L’association du 93 disposant de plusieurs médecins peut recevoir jusqu’à 8 femmes par accueil collectif IVG. A Saint-Denis, les accueils ont lieu le mercredi toute la journée et le jeudi après-midi. Le mercredi, l’accueil du matin est consacré à l’IVG et celui de l’après-midi aux questions de sexualités : contraception, IST, violences… Comme dans le 94, après un temps de discussion en collectif, chaque femme est reçue à tour de rôle par un des médecins.

Rue Vivienne dans le 2ème arrondissement de Paris, les accueils collectifs diffèrent quelque peu rassemblant une diversité de profils. Ils ont lieu le lundi après-midi de 14h à 18h et le jeudi matin de 9h15 à 12h. L’accueil du lundi peut réunir jusqu’à 10 femmes sans rendez-vous. Ces femmes souhaitent avorter en urgence par la voie médicamenteuse, se renseigner sur l’IVG et ses différent méthodes, protocoles et démarches à suivre, ou encore faire un test de grossesse… Les femmes n’ayant pas fait de prise de sang Beta-HCG (hormone de grossesse) font une échographie à tour de rôle. Toutes les animatrices sont formées à l’échographe. A 16h, 4 filles sur les 10 sont retenues prioritaires pour pratiquer l’IVG le jour même. Les critères de priorité sont : la limite du délai légal pour la méthode médicamenteuse (7 SA), la non couverture sociale et/ou l’impossibilité de l’utiliser par souci d’anonymat. A la différence, du 94 et 93, dans le 75 les 4 femmes prennent le 1er comprimé et remplissent leur dossier médical ensemble. Les 6 autres femmes repartent avec un rendez-vous dans la semaine ou la suivante ou encore sont réorientées vers des médecins libéraux ou hôpitaux avec lesquels travaille le Planning Familial.

Avant chaque demande d’IVG, tous les plannings s’assurent qu’il s’agit bien d’un choix personnel, non contraint. Les animatrices sont là pour répondre aux questions, faciliter les démarches féminines mais aussi déceler la présence ou non de violences dans la vie de ces femmes. Leur rôle est d’assurer aux femmes une sécurité. Une des préoccupations communes à tous les plannings est de s’assurer que la femme soit dans un lieu sûr le jour de l’expulsion de la grossesse (prise du cytotec) et qu’elle ait stoppé toutes activités (professionnelles, étudiantes…). Il lui est très fortement recommandé d’être accompagnée d’une personne de confiance, disposée à être aux petits soins (massage, changement de l’eau de la bouillote). Le message commun de chaque association est : « il s’agit d’une journée à vous ; prenez le temps pour vous, regardez votre série préférée ou écoutez la musique que vous aimez » ou encore « soyez à l’écoute de votre corps c’est vous qui décidez ou non s’il faut se rendre à l’hôpital en cas d’hémorragie, c’est vous qui jugez de la douleur pour la prise d’un antalgique ou ibuprofène. Ne laissez pas votre accompagnant.e décider à votre place ! ».

Les sujets abordés en accueil collectif 

« Qu’est-ce le Planning ? » lance une animatrice en guise d’introduction. « Une aide universelle aux femmes, un espace ouvert d’esprit » déclare une usagère. Après avoir compléter les réponses, les animatrices questionnent ensuite les femmes sur les différentes méthodes d’IVG et sur le protocole qu’elles vont devoir suivre. Les discussions tournent rapidement autour de la question de la douleur et la quantité de sang qu’il est possible de perdre le jour de l’expulsion. Face à tous ces questionnements, les animatrices sollicitent les femmes ayant vécu l’expérience de l’IVG à témoigner, échanger sur leurs ressentis et répondre aux questions des unes et des autres. « C’est sûr qu’il ne faut pas avoir peur du sang, faut le dire c’est impressionnant ! » nous raconte une usagère ayant déjà fait l’expérience de l’IVG. Pour les saignements qui auront lieu le jour de la fausse couche, une animatrice du 94 conseille aux femmes d’utiliser des serviettes de protection en insistant bien sur l’usage de ces termes : « au Planning on parle de serviette de protection et non de protection hygiénique car les règles ne sont pas sales, c’est la société qui a imposé cela ! ». Quant aux douleurs « On a souvent dit que les femmes sont chochottes, et qu’une femme qui ne souffre pas pendant ses règles n’est pas une vraie femme…. On peut aussi très bien s’habituer à ne pas souffrir » répond une animatrice à une jeune femme qui dit refuser prendre des médicaments durant ses règles car elle suppose qu’il est normal pour une femme de souffrir. D’autres rapportent qu’elles ont préféré rester sur les toilettes ou sous la douche le temps des saignements.

Une femme inquiète demande : « Mais alors comment on est sûr d’avoir bien expulser la grossesse ? », l’animatrice la rassure en lui expliquant que le pourcentage d’échec d’une IVG médicamenteuse est de 5%. De plus, 15 jours après l’IVG, la femme reviendra au Planning avec une prise de sang pour vérifier si l’hormone de grossesse a bien diminué. Si le taux de Beta-HCG a diminué d’au moins de 50%, on peut considérer que l’IVG a fonctionné. Si le taux est à plus de 2000, le planning note qu’il s’agit d’une rétention partielle, c’est-à-dire que l’œuf n’est plus là mais que le tapis utérin n’est pas entièrement parti, si le taux est toujours aussi élevé, le médecin prescrit à nouveau du misoprostol.

Le partage d’expériences est au cœur des accueils collectifs. L’idée est de donner naissance à une parole collective autour des questions de sexualités, des inégalités sexuelles, des oppressions féminines, telle que l’injonction à la maternité dont témoigne si bien Monna Chollet dans son dernier ouvrage « Sorcières ». Il s’agit d’aborder la question de l’IVG sous l’angle des rapports sociaux de genre, questionner la place de l’IVG dans leur environnement proche (famille, couple, amis) et dans la société en général.

Les écueils de l’accueil collectif : la parole collective et l’accompagnement.

Bien que dans chaque association, les femmes soient informées par téléphone qu’elles sont reçues de manière collective, pour certaines parler d’IVG, de sexualité en public est loin d’être évident. Les regards sont fuyants, l’embarras de certaines est palpable. Les animatrices sont là pour rassurer tout le monde et expliquer la raison et l’intérêt du collectif. L’accueil autour d’un thé chaud, et de chocolats à disposition rend rapidement l’ambiance tea-time chaleureuse et bienveillante, l’atmosphère s’apaise.

Les femmes peuvent-elles être accompagnées ? La question fait débat au Planning. A Maison- Alfort, les femmes sont encouragées à être accompagnées par le/la partenaire si elles en ont un.e ou par un.e ami.e. Hommes et femmes sont les bienvenues. A l’inverse, à Paris, aucun.e accompagnant.e n’a le droit de participer à l’accueil collectif. S’apercevant que les acompagnant.es pouvaient monopoliser la parole, ou encore que la présence du sexe opposé dans la salle pouvait avoir pour effet de censurer la parole des autres femmes présentes, la décision fut d’interdire la présence d’accompagnant quelque que soit le genre de la personne. Ce parti pris pose encore débat dans le 93 et ne fait pas consensus entre les animatrices. Dans le 94, l’acceptation de la présence des hommes est un choix politique. C’est avec des hommes sensibilisés et responsabilisés que les mentalités évolueront quant aux nombreux tabous autour des sexualités. Les temps mixtes sont indispensables à la connaissance des sexualités respectives, cependant la présence d’un homme peut poser problème. La solution idéale serait donc de combiner des temps unisexes et mixtes, mais comment le mettre en place logistiquement ?

Dune Kreit 50-50 Magazine

 

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