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Human rights, diritti umani, derechos humanos, direitos humanos… Seule la France, contrairement aux autres pays francophones qui ont volontiers adopté l’expression « droits humains », s’entête à parler des « droits de l’homme ». Depuis sa création en 2015, le collectif Droits humains pour tou·te·s (DHPT) milite pour l’abandon de cette appellation. Le collectif a publié un livre manifeste qui retrace, à travers des contributions variées, l’histoire du collectif et de sa lutte pour un langage égalitaire.

Dans l’avant-propos, Géraldine Franck, coordinatrice de l’ouvrage collectif, déclare :  « le langage est politique : ce qui n’est pas mentionné n’existe pas ». En effet, le langage est loin d’être neutre, puisque ce sont les mots qui structurent et guident notre pensée au quotidien. Le constat que fait DHPT est le suivant : en français, le masculin est neutre et le féminin est invisible. En particulier, parler des « droits de l’homme », et non des « droits humains », revient à invisibiliser les femmes, leurs droits et leurs luttes sur le plan institutionnel. C’est pour cette raison qu’est né le collectif qui, dès la première publication sur son site, a annoncé : « le collectif Droits humains se dissoudra dès lors que les institutions de la République française auront enclenché des changements tangibles. À défaut, il restera actif aussi longtemps que nécessaire ».

L’ouvrage rassemble une grande diversité de textes. À ceux rédigés par les membres du collectif, s’ajoutent des contributions de linguistes, historien·nes et sociologues, comme Christine Delphy et Éliane Viennot, qui y livre d’ailleurs un texte inédit. DHPT a également intégré des plaidoyers présentés lors du concours d’éloquence organisé chaque année par le collectif. À travers des plaidoiries, fables, parodies et poèmes, leurs autrices et auteurs explorent les enjeux d’une langue inclusive, comme la comédienne Typhaine D dans La Pérille mortelle. Elle propose une « grammaire féministe impertinente » contrôlée par des Académiciennes qui affirment que « la féminine l’emporte sur la masculine », au grand dam de ces « associations masculinistes prostatiques ». Entre les textes se glissent des illustrations, réalisées notamment par Catel ou Emmanuelle Teyras, qui dénoncent avec humour le sexisme de la langue française.

La pluralité des voix constitue une grande force de l’ouvrage, qui apporte un éclairage à la fois grammatical, historique, sociologique et politique à l’argumentaire du collectif. DHPT et ses collaboratrices/collaborateurs répondent à un grand nombre de questions. Depuis quand le masculin est-il le genre neutre, et pourquoi ? Quand a-t-on abandonné la règle de proximité ? Qu’est-ce que le féminin conjugal (1) ? Que dit notre langue sur notre société ? Comment la grammaire contribue-t-elle à invisibiliser les femmes et à leur imposer la domination masculine ? Il est difficile de ne pas se laisser convaincre par au moins l’un des textes. Dans sa solide argumentation, DHPT rappelle le slogan rendu célèbre par le Mouvement de libération des femmes dans les années 1970, « un Homme sur deux est une femme ». Sept mots suffisent à révéler l’invisibilisation des femmes et la masculinisation du langage.

À celles/ceux qui, après lecture de l’ouvrage, diront encore que « ce ne sont que des mots », il conviendra de poser la question suivante : pourquoi l’Académie française s’acharne-t-elle contre l’évolution du langage, au point de déclarer en 2017 : « devant cette aberration « inclusive », la langue française est en péril mortel » ? C’est bien la preuve que le langage est politique, et que les mots sont des armes. Le français est une langue vivante : contrairement au latin qui restera gravé sur des tablettes de cire, elle peut changer, évoluer et être un outil de lutte pour un monde plus égalitaire. Afin de contribuer encore plus largement au combat contre les violences faites aux femmes, le collectif a d’ailleurs choisi de reverser intégralement les droits de l’ouvrage au collectif #NousToutes.

Non, l’homme n’inclut pas la femme, loin de là. L’ouvrage se clôt avec la Déclaration des droits humains des citoyennes et des citoyens, votée par l’Assemblée nationale en 1789, adaptée à la mixité par Zéromacho en 2015. Avec seulement quelques modifications et ajouts (un seul point médian est utilisé), ce texte fondateur, emblématique de la Révolution française, devient non-sexiste. Le résultat n’est ni étrange, ni difficile à lire, preuve que le langage épicène n’est pas, comme l’affirment ses détractrices/détracteurs, un « péril mortel » mais bien une façon d’avancer vers l’égalité.

Lou Cercy 50-50 magazine

Collectif Droits humains pour tou·te·s, sous la direction de Géraldine Franck, Droits humains pour tou·te·s, Éd. Libertalia, 2020.

1 Comme l’explique Ségolène Roy, le féminin conjugal désigne la forme féminine d’une fonction prestigieuse, utilisée au XIXe siècle pour désigner l’épouse de l’homme chargé de cette fonction interdite aux femmes : l’ambassadrice est donc simplement l’épouse de l’ambassadeur.

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