DOSSIERS \ Après #metoo, avons-nous plus d'alliés pro-féministes ? Martin Provost : « Le regard que je pose sur mes actrices n’est pas celui du fantasme masculin »

Martin Provost, est un cinéaste engagé pour l’égalité femmes/hommes. Tous ses films parlent des femmes, les réhabilitent et les mettent en lumière. Ils disent tous combien il a été choqué en réalisant l’injustice qui leur était faite. Cela a commencé par sa mère qui, bien que très douée et ayant été reçue première au concours d’art-déco a du tout arrêter pour se marier à l’âge de 19 ans ! Son dernier film La bonne épouse  est une comédie qui rend accessible à tou·tes les notions de féminisme et montre le formatage des jeunes filles en esclaves domestiques.

Quelles sont les thématiques de vos films ?

J’ai tourné avant tout des films qui concernent les femmes, je continue à creuser ce sillon.

Les films les plus récents sont : Séraphine, qui raconte la vie d’une peintre oubliée, avec Yolande Moreau, Violette, la vie de l’écrivaine Violette Leduc, avec Emmanuelle Devos dans le rôle de Violette et Sandrine Kiberlain dans le rôle de Simone de Beauvoir, et enfin le dernier en date La bonne épouse qui raconte la vie d’une école ménagère dans les années 68. Ce film dénonce le formatage des femmes comme esclaves domestiques à l’époque. Ce n’est pas si loin.

Qu’est-ce qui a déclenché vos sympathies féministes ?

Ma vie familiale : mon père était un patriarche. Officier de Marine, il a fait deux guerres, l’Indochine, l’Algérie, le type même du héros à l’ancienne. Autoritaire, comme François Berléand dans La Bonne Epouse, le mari de Paulette, incarnée par Juliette Binoche. Très sûr de son bon droit patriarcal. J’ai toujours trouvé l’attitude de mon père vis à vis de ma mère, choquante et injuste. Elle préparait les repas, nous les enfants, mettions le couvert et lui ne faisait rien. Il venait s’asseoir et se servait le premier, et le plus. Je me suis toujours heurté à lui, je l’ai haï sans doute à cause de l’héritage spirituel de ma mère. D’une certaine façon j’ai repris son destin en main en faisant ce qu’elle n’a pas pu faire. C’était une femme très douée. Elle a été reçue première au concours des Arts Déco à Paris à 18 ans, mariée à 19. Pour elle tout s’est arrêté là. La liberté économique pour une femme, c’était surtout le mariage. C’est pourquoi mes films disent avant tout mon intérêt pour les femmes et combien j’ai été choqué par le sort qui leur a été réservé dans la société.

Plus tard j’ai appris à mieux connaître mon père et je me suis réconcilié avec lui. Il avait aussi de bons côtés. Mais ce que je suis aujourd’hui s’est mis en place durant ma toute jeunesse, dans cette opposition farouche à lui.

Comment vous décririez un stéréotype dans votre métier ?

Les stéréotypes ont changé.

Je me rends compte que oui, le monde du cinéma est formaté et que souvent les attentes des producteurs aussi. Les années 80 ont fait changer un peu les choses. Mais il y a eu un retour en arrière après le SIDA, après 1985. J’essaie personnellement d’éviter les stéréotypes, mais je dois parfois faire attention pour y échapper.

Encore récemment, les personnages masculins devaient être machos et fiers de l’être. Il y avait peu de prises de conscience. Les hommes qu’on admirait étaient les héritiers de James Bond, incarné par Sean Connery. A présent, on n’en veut plus, on doit toujours trouver des circonstances atténuantes aux personnages. Pourtant le monde est toujours rempli de caractères excessifs. Chez Racine par exemple, les personnages les plus intéressants sont les méchants, Agrippine, Néron. Ce sont eux qui nous permettent de voir notre part d’ombre. J’ai peur d’un trop grand lissage des scripts alors que le propre même d’un film c’est de pouvoir tout dire, tout montrer.

Je crois que j’ai un regard très féminin. Peut-être parce que j’ai toujours privilégié l’exploration intérieure. Nous sommes tou·tes intérieurement un homme et une femme. C’est important pour un·e artiste d’explorer cela. Quant j’ai tourné Où va la nuit ? qui racontait l’histoire d’une femme battue, personne n’en a parlé, personne n’a souligné qu’un homme osait s’attaquer à ce problème. L’ère de #metoo n’avait pas commencé.

C’est difficile d’échapper aux clichés et aux stéréotypes mais forcément, on les retrouve beaucoup dans notre métier.

Avez-vous entendu parler du male gaze*? Il est absent dans votre traitement des personnages féminins, vous faites figure d’exception.  Comment l’expliquez vous ?

Le travail de fond, c’est l’exploration de soi. Je pense que l’origine de la création est androgyne. Je vois les femmes comme des êtres humains au même titre que les hommes, pas comme des objets de désir.

C’est sans doute pour cela que mes personnages féminins ne sont pas stéréotypés : Yolande Moreau en est l’antithèse, Noémie Lvovsky également. Le regard que je pose sur mes actrices n’est pas celui du fantasme masculin. Mes personnages suivent leur destinée, elles ne sont jamais les faire-valoir des hommes.

Après #metoo, il y a eu deux réactions principales  et une troisième ultra minoritaire: des hommes sur la défensive, des hommes qui s’étonnent de l’étendue des violences, et un très petit nombre qui s’oppose à la domination masculine. Vous faites manifestement partie de la dernière catégorie. Comment expliquer que beaucoup d’hommes pensent que le féminisme c’est une histoire de femmes et non de droits humains pour tou·tes ?

Il y a un problème d’éducation. Il faut revenir à la base, à l’éducation. Les mères ont leur part de responsabilité, car elles ont été nombreuses dans le passé à considérer qu’être mère d’un garçon, était plus valorisant que mère d’une fille. Et l’éducation des garçons a été aussi catastrophique que celle des filles, aussi caricaturale. On n’en parle pas assez.

J’espère que mes films participent au chemin que font les féministes.

L’œuvre de Séraphine c’est sa revanche. La preuve, à la sortie de film, le grand public à eu accès à sa peinture. Elles/ils étaient des milliers à faire la queue au Musée Maillol pour voir l’exposition qui lui était consacrée. La vie de Violette, est un constat de toutes les difficultés qu’une femme pouvait rencontrer au siècle dernier pour s’exprimer. Elle est la première à avoir pratiqué l’auto fiction, soutenue par Simone de Beauvoir. Et enfin, La bonne épouse est l’affirmation joyeuse de la nécessité absolue de l’action féministe : le formatage des filles en esclaves domestiques nous paraît inconcevable aujourd’hui, et pourtant c’était hier.

Le mode de la comédie pour en parler était un choix délibéré. L’humour est nécessaire pour faire passer certains messages au plus grand nombre.

Quels sont vos rapports avec vos proches et les hommes de votre entourage professionnel ?

Comme dirigeant, je suis respecté, mais j’ai des équipes de tournage très féminines. Je fais toujours attention à cela. Pour qu’il y ait un équilibre. J’aime être entouré de femmes, parce que c’est plus fluide en ce qui me concerne. Avec certains hommes c’est plus compliqué. Certains chefs opérateurs par exemple sont insupportables. Ils sont dans la rivalité. Je déteste cela.

Vous est-il arrivé d’avoir des conflits à cause de vos opinions féministes ou pro-féministes ?

A la sortie de mon film Où va la nuit, j’ai été surpris par certaines réactions venant le plus souvent des hommes. Le film raconte l’histoire d’une femme battue qui un jour se rebelle, et écrase son mari avec sa voiture. Mais elle a un fils et ce fils se retrouve pris entre deux feux. Il me semble que le film posait une vraie question. Au premier degré, tout le monde est du côté de la mère, on comprend qu’elle tue son mari qui est un monstre. Mais qu’en est-il du fils, qui est aussi en conflit avec son père ? Et pourquoi n’est-elle pas tout simplement partie?

Tuer son mari, soit, mais c’est aussi le père de son fils, cela entraîne d’autres dommages collatéraux. Doit-il obligatoirement prendre le parti de sa mère? Ne l’empêche-t-elle pas d’une certaine façon, de régler ses propres comptes avec son père? En éliminant le père, Rose, le personnage, réalise petit à petit qu’elle a peut-être commis une erreur. Ma façon d’être féministe ici prenait en compte le point de vue du fils, que je peux comprendre. Je trouvais cela vraiment intéressant. Mais j’ai eu droit à des réactions très primaires, alors que j’essayais d’ouvrir le débat. 

Lorsque vous avez écrit le film la bonne épouse était-ce pour ouvrir les yeux des gens sur les bienfaits du féminisme, ou pour faire rire d’abord ou les deux ? Quelles ont été les réactions à votre film ?

En fait, c’était surtout pour montrer le chemin parcouru en 50 ans, et d’où nous venons. La création du MLF s’est faite en 1970, c’était une époque très active, et aussi plus joyeuse que la nôtre. Je voulais rendre compte de cela. Le film a été très bien accueilli, autant par le public que par la presse.

Au quotidien, quelles sont les actions positives à faire pour un monde plus équilibré entre femmes et hommes ?

La base me semble-t-il est l’exploration de soi, d’explorer sa part d’homme et sa part de femme. Nous portons tous, le monde en nous : faire la paix avec ces deux parties, me semble fondamental. C’est le changement en soi qui peut faire changer les choses, éviter les règlements de compte. Trouver l’amour, maître-mot pour un rapport équilibré et juste entre femmes et hommes.

Comment réagissez-vous à une blague sexiste ?

Je suis partagé. Il y avait dans les années 70 des gens comme Reiser, Audiard, Bedos, les blagues sexistes pleuvaient. Et on riait. On trouvait ça normal. Je me rends compte aujourd’hui à quel point nous étions formatés, et comme certaines femmes ont dû en souffrir. Car il n’y avait pas en face tant de femmes pour se moquer des hommes. C’est surprenant. Maintenant elles sont plus nombreuses, heureusement.

Quels messages à faire passer aux hommes en général ?

Aller voir en soi. C’est le seul chemin.

Roselyne Segalen

*  Le male gaze (littéralement regard masculin) est un concept développé récemment par l’américaine Laura Mulvey. Il consiste à faire voir les films ou les média en général, à travers un regard d’homme hétérosexuel, c’est à dire en objectivant les femmes et ou en les mettant en scène de façon stéréotypée comme objet de désir ou faire-valoir ou assistante des hommes… La plupart des films montrent les femmes ainsi.

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