Articles récents \ France \ Société Genre, travail et confinement : des inégalités aggravées dans le secteur de la solidarité internationale

Publiée en novembre 2020, une enquête alerte sur l’explosion des inégalités genrées en matière d’organisation du travail, lors du premier confinement. Menée au sein des organisations de solidarité internationale, cette étude a montré que les femmes ont été plus durement touchées, que ce soit en termes de charge de travail, de charge mentale ou d’impacts économiques. 

A l’initiative de Adéquations, Coordination Sud, F3E, Genre en Action, Médecins du Monde, avec la collaboration de Plateforme Genre et développement et de l’Université Bordeaux-Montaigne, la publication Genre et organisation du travail pendant la crise covid-19, Etude dans le milieu de la solidarité internationale en France est le résultat d’un questionnaire diffusé au sein des organisations de solidarité internationale en mai et juin 2020. Parmi les 253 réponses exploitables, on compte 74% de femmes répondantes en raison de la féminisation du secteur. 

Ce rapport met en lumière des tendances et des pistes de réflexion, en particulier concernant l’aggravation des inégalités de genre qui existaient déjà dans le secteur de la solidarité internationale, où les femmes sont moins en responsabilité.

Les constats du rapport : surcharge professionnelle et domestique, impacts économiques et risques psycho-sociaux

Si le rapport montre que la surcharge professionnelle engendrée par le confinement a touché les femmes comme les hommes, c’est sur les femmes qu’a pesé la charge mentale et domestique dans la grande majorité des cas. Une répondante parle par exemple de « débordement du travail sur les heures personnelles ; difficulté de maintenir des horaires équilibrés (ex : temps de travail vs. préparation de repas familiaux) »

Comme le montre le graphique ci-dessous, les femmes ont donc été particulièrement touchées par une augmentation de la charge domestique, qui est allée de pair avec la diminution du temps personnel et l’augmentation du stress. 

Les femmes ont notamment dû assurer la garde des enfants comme l’indiquent de nombreuses répondantes : « Beaucoup de femmes sont restées en télétravail et se sont occupées de leurs enfants. Beaucoup d’hommes sont restés en télétravail et se sont reposés sur leurs femmes également en télétravail pour garder leurs enfants. »

Les impacts économiques ne sont pas non plus à négliger. En plus des inégalités de salaire femmes/hommes préexistantes, les femmes, en particulier celles issues de minorités ethniques, ont été le plus souvent en chômage partiel ou technique en raison des postes qu’elles occupent. 

Enfin, les conséquences psycho-sociales ont été particulièrement fortes pour les femmes : sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir assumer la charge de travail, stress et surmenage face à la charge professionnelle et domestique, sentiment d’isolement lié au télétravail et au confinement.

Les recommandations du rapport

Le rapport met, tout d’abord, l’accent sur la nécessité d’adaptation des structures étudiées vis-à-vis de leurs salarié·es. Il préconise la création de dispositifs d’accompagnement à la vie personnelle et privée, ainsi que l’ouverture d’espaces de dialogue, qui ont manqué lors du premier confinement. 

Au vu des inégalités recensées, le rapport indique qu’un système mixte, combinant télétravail et présentiel, est préférable. Les salarié·es concerné·es ont rappelé que la généralisation du télétravail n’est pas la meilleure solution. En effet, le télétravail entraîne une distension du lien social, qui va de pair avec une série d’interrogations : comment intégrer une nouvelle collègue ? Comment échanger sur son vécu et son ressenti avec ses collègues ? Comment faire sans les temps de décompression, par exemple les trajets ? Comment repérer le burn-out ?

Le rapport recommande également aux organisations d’effectuer un diagnostic numérique, à la fois pour lutter contre la fracture numérique mais aussi pour s’adapter aux personnes en situation de handicap. En effet, lors de l’enquête, une répondante a déclaré : « Je pense […] à une collègue sourde qui ne peut sans doute pas assister aux réunions en visio (lors de nos réunions en présentiel, il y a des traductions en langue des signes). »

Ce rapport soulève donc l’importance de penser les inégalités en termes de structure et non au cas par cas. Cela signifie préparer et outiller les responsables en amont des crises avec des formations obligatoires par exemple. A ce titre, le rapport demande la mise en place d’incitations de la part du gouvernement pour que soient adoptées des politiques internes sensibles au genre et au handicap.

La parole des concerné·es

Lors d’un webinaire organisé le 9 novembre 2020 pour présenter le rapport, la parole a été donnée à des membres de ces organisations de solidarité internationale pour recueillir leur avis sur les recommandations du rapport.

Laura Petersell et Lola Papazoff du Secours Catholique se sont, tout d’abord, exprimées sur le sentiment de culpabilité ressenti par les femmes. Dans l’article qu’elles ont écrit sur le sujet, elles indiquent que la culpabilité n’est pas individuelle mais collective. Les femmes représentent la majorité des salarié·es de ces organisations de solidarité internationale (70% pour le Secours Catholique). Pourtant, elles ne représentent qu’une faible part des cadres de ces organisations. Les postes qu’elles occupent ont donc une forte utilité sociale mais sont dévalorisés socialement et financièrement. Selon elles, c’est cette forte dévalorisation qui génère de la culpabilité au quotidien et encore plus pendant le confinement. Laura Petersell et Lola Papazoff demandent donc que la parole soit donnée aux salarié·es et que les responsables, surtout des structures locales, soient formé·es à ces questions.

Elisabeth Péricard Devauchelle a parlé, quant à elle, des initiatives mises en place au Planning familial pendant le confinement, par exemple : le maintien des salaires dans leur intégralité, ainsi que l’aménagement des horaires, compte tenu de la pénibilité du télétravail. Enfin, elle a mentionné une dernière mesure qui souligne toute l’importance de ce rapport : le Planning familial a fourni une aide particulière aux femmes répondant au standard d’écoute destiné aux femmes ayant besoin d’effectuer une IVG ou ayant dépassé le délai et devant être envoyées à l’étranger.

Venir en aide aux salarié·es des organisations de solidarité internationale, c’est s’assurer que la chaîne de la solidarité et de la sororité n’est pas rompue, même en temps de crise. 

Maud Charpentier 50-50 Magazine

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