Articles récents \ Monde \ Asie La politique au Japon : un monde d’hommes ? (2/2)

De l’inégale répartition des ressources politiques au harcèlement sexuel en passant par l’auto-censure, la politique japonaise apparait hostile aux femmes. Les chiffres laissent bouche bée : avec moins de 10% de femmes élues à la chambre basse du parlement, le Japon est à la 167e place du classement Women in National Parliaments. Cependant, la politologue Mari Miura garde espoir : les Japonaises ont su s’organiser en réseaux d’entraide sororale pour faire entendre leurs voix et exiger la parité en politique.

Après avoir fait le constat d’une « démocratie sans femmes » et des nombreux obstacles sexistes auxquels font face les femmes politiques japonaises, la politologue Mari Miura présente des initiatives visant à faire de la politique un monde plus paritaire. Au programme : instaurer une dynamique positive en luttant contre le manque de role models et créer des réseaux d’entraide sororale.

Tout d’abord, pourquoi lutter contre le manque de role models ? Comme le souligne Mari Miura : « les role models ont un fort potentiel de changement des mentalités ». Augmenter le nombre de modèles féminins en politique permet de lutter contre le stéréotype de genre selon lequel la politique est une affaire d’hommes. Les femmes peuvent ainsi de se projeter en tant que dirigeantes politiques. Un cercle vertueux se met alors en place.

La politologue donne l’exemple du « Madonna boom » : « en 1989, Takako Doi, une dirigeante socialiste très charismatique, a remporté les élections et a réussi à recruter beaucoup de femmes féministes venant de la société civile ». A l’époque, cela a entrainé une dynamique positive de promotion du leadership féminin. Cette dynamique a mis la pression sur le Parti libéral-démocrate (PLD), le parti conservateur qui est au pouvoir depuis 1955, pour qu’il recrute également des femmes. Ce vent progressiste a soufflé de la fin des années 1980 au milieu des années 1990. Cependant, dès le début des années 2000, il a été suivi d’une période de stagnation en matière des droits des femmes.

La loi de mai 2018 : des quotas pour augmenter le nombre de femmes en politique ?

Une loi votée en mai 2018 pourrait représenter un premier pas vers la parité en politique. Comme l’explique la politologue Mari Miura, cette loi « encourage tous les partis à fixer un « objectif chiffré », c’est-à-dire un certain quota d’hommes et de femmes, à chaque élection. […] La notion de « quota » était tellement impopulaire parmi les parlementaires que c’est le terme « objectif chiffré » qui est entré dans la loi ».

Mari Miura a travaillé en tant que conseillère académique au sein du groupe parlementaire à l’origine de cette proposition de loi. Elle explique les coulisses de l’adoption de la loi et les compromis politiques qui ont dû être faits : « c’était difficile puisque le PLD était majoritaire et qu’il est fortement opposé aux quotas ». Il a donc fallu « accepter de faire une loi non-obligatoire ». Concrètement, cette loi ne contient ni obligation légale, ni pénalités pour les partis qui ne respectent pas la parité.

Pourtant, cette loi a eu un effet positif sur la sphère politique japonaise : plusieurs partis progressistes ont adopté des objectifs chiffrés en matière de parité, notamment le Parti Communiste Japonais. Mari Miura ajoute que « le PLD a été mis en position défensive parce que les médias n’ont cessé de demander s’il allait ou non mettre en œuvre des objectifs chiffrés. Ainsi, récemment, il a publié un plan de simulation visant à atteindre 30% de femmes parmi ses membres d’ici 2030 ». Enfin, la politologue note une augmentation des femmes qui se sont présentées aux élections locales depuis l’adoption de cette loi.

Bien que non-obligatoire, cette loi a donc permis de faire de la parité un problème qui a sa place dans l’espace public japonais. Mari Miura donne l’exemple du changement de mentalités dans les medias : « Les médias se penchent sur les pourcentages de femmes politiques dans chaque parti, alors que dans le passé, personne ne s’intéressait au ratio de femmes ». Elle se réjouit qu’il soit « devenu légitime de parler du manque de femmes politiques », en espérant que ce soit le début d’une dynamique positive qui permette de faire changer les mentalités.

Fort de ce succès, le groupe parlementaire à l’origine de la loi souhaite maintenant aller plus loin en révisant la loi de mai 2018. « L’un des amendements proposés consiste à rendre obligatoire cet objectif chiffré. Cela signifie que les partis seraient obligés, par la loi, d’établir un objectif chiffré, quel qu’en soit le nombre. Il peut être de 20 %, de 40 %, c’est aux partis de décider ». La politologue ajoute qu’un autre amendement vise à « mettre en place une incitation financière, comme en France. En fonction du pourcentage de leurs membres féminins, les subventions que les partis reçoivent de l’État seront soit augmentées, soit réduites ». Voilà le prochain objectif des féministes japonaises en matière de parité politique. Comme Mari Miura le rappelle, « c’est un processus qui se fait étape par étape ».

La mise en place de réseaux d’entraide sororale

En parallèle de ces avancées législatives, depuis quelques années, des réseaux d’entraide sororale se sont mis en place à travers le Japon. C’est le cas de l’académie pour la parité entre les genres (Academy for Gender Parity) co-fondée par Mari Miura. Ce programme a pour objectif d’éduquer la prochaine génération de femmes dirigeantes en les aidant à dépasser l’auto-censure et le rejet. Et les résultats sont plutôt positifs : « jusqu’à maintenant, nous avons aidé plus de 130 femmes, dont six sont devenues des personnalités politiques au niveau local. Deux de ces femmes se préparent pour les prochaines élections à la chambre basse ».

Mari Miura indique que, dans beaucoup de cas, la volonté de devenir une personnalité politique n’est pas la motivation principale des femmes qui s’inscrivent dans le programme. « Il y a un effet genré : les femmes sont socialisées à vouloir aider les autres mais pas en devenant des leaders politiques ». En rejoignant le programme, elles travaillent sur l’auto-censure et la confiance en soi. Certaines finissent par se découvrir une ambition politique.

Ce programme permet aussi aux femmes japonaises de s’armer pour évoluer dans une sphère politique profondément masculinisée, en créant des réseaux d’entraide sororale. Comme le souligne Mari Miura, « il est important de développer des réseaux sororaux car les hommes disposent déjà de réseaux sur lesquels ils peuvent compter ». Ces réseaux s’avèrent cruciaux quand commence la sélection des candidat·es qui se présenteront aux législatives ou celle des membres du gouvernement.

La mobilisation des jeunes générations, la clé pour changer les mentalités

C’est dans la jeune génération, une génération sensibilisée au féminisme, que Mari Miura place tous ses espoirs : « ces deux dernières années, il y a eu un réveil social en raison de la montée du mouvement #MeToo, bien que ce mouvement ait démarré très lentement au Japon ». La société civile commence à se mobiliser autour de la question des violences faites aux femmes. La politologue donne l’exemple de la « Flower Demo », une manifestation de soutien pour les victimes de violences sexuelles, qui se réunit chaque mois partout à travers le Japon.

Manifestantes participant à la « Flower Demo » dans la ville de Nagoya le 8 mars 2020, Journée internationale des droits des femmes. Source : Kyodo news.

Pour cette nouvelle génération, l’élection de la chambre basse du Parlement qui aura lieu en 2021 apparait comme un enjeu-clé. « Une campagne de pétition, utilisant change.org, a été lancée en septembre. L’objectif est de demander au secrétaire général de chaque parti la mise en œuvre de cinq revendications, dont la fixation d’un objectif chiffré, la nomination de femmes en tête de liste, ou encore la mise en place de mesures de lutte contre le harcèlement. Cette pétition a recueilli plus de 20 000 signatures ».

Mari Miura sait que le chemin est encore long mais elle en est persuadée : « à terme, cette génération sera un puissant agent de changement dans la société japonaise ».

Maud Charpentier, 50-50 Magazine

Photo de Une : le gouvernement de Yoshihide Suga, en poste depuis septembre 2020.

Lire la première partie de l’article « La politique au Japon : un monde d’hommes ? ».

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