Articles récents \ Île de France \ Société Nadia Kerlan : « Nos revendications sont de revaloriser nos salaires, ré-ouvrir des lits et surtout ne pas détruire l’hôpital public »

Les femmes forment une majorité incontestable au sein des équipes de soignant·es, Nadia Kerlan, aide-soignante à l’Hôpital Robert Ballanger, à Aulnay-sous-Bois, en fait partie. Elle a une quarantaine d’année lorsqu’elle se reconvertie professionnellement pour exercer ce métier qui lui apparaît être une vocation. Elle affirme être heureuse d’être soignante, d’aider les autres, même si la pandémie rend son métier très difficile. 

Quel est votre parcours ? Pourquoi avoir fait ce choix de métier ? Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?

Je suis aide-soignante en réanimation depuis quinze ans. Auparavant, je travaillais dans la restauration parce que mes parents étaient restauratrice/restaurateur. J’ai toujours su que ce métier n’était pas fait pour moi. J’ai trouvé ma voie à 40 ans. J’ai tout plaqué et j’ai endossé le métier d’aide-soignante. Aujourd’hui, je suis pleinement épanouie dans ce que je fais. J’ai choisi ce métier parce que c’était en moi. J’aimais les gens, j’avais envie d’aider les autres, les personnes vulnérables, celles/ceux qui sont malades. La maladie elle touche tout le monde, elle n’a pas de couleur de peau, pas de religion ; et donc c’était le meilleur moyen pour moi d’aider mon prochain. Ce qui me plaît dans mon métier c’est que ce n’est jamais pareil. Chaque personne qui rentre dans le service de réanimation a une histoire différente, ça n’est pas lassant. Ça n’est jamais la même prise en charge.

Avez-vous déjà été confrontée au sexisme lors de votre exercice professionnel ? Si oui, comment s’est-il manifesté ? Quelle a été votre réaction ?

Il faut savoir que le métier d’aide soignant·e est majoritairement exercé par des femmes. Dans le milieu médical, il y a tellement peu d’hommes qu’ils sont vite remis à leur place. Sur une équipe de 70, il doit y avoir 20 hommes. Ils n’ont pas le pouvoir et lorsqu’ils essayent de l’avoir, on est nombreuse, donc on peut faire face. Mais avec la crise sanitaire, je dirais qu’on est toutes et tous dans le même bateau. Donc le sexisme, les hommes l’ont mis de côté, on n’a pas trop le temps.

J’ai surtout eu des remarques par rapport à mon poids car je suis ronde. J’ai eu des remarques telles que « attention à ce que tu manges ». C’était souvent des hommes plus gradés que moi.  Ce sont des remarques qui peuvent être blessantes quand on a un complexe avec son poids. Moi je n’ai pas de problèmes avec ça, donc ça ne me blesse pas. Que ce soit mon supérieur hiérarchique ou pas, je ne me laisse pas faire. J’estime qu’on n’a pas à se laisser faire, surtout que si on ne dit rien, ça peut devenir du harcèlement.

A quoi ressemblait votre quotidien professionnel avant la crise sanitaire et comment a-t-il changé depuis ?

Avant la crise sanitaire, dans le service de réanimation, on arrivait à supporter la charge de travail. Ce qui a changé c’est la façon de faire. On prend beaucoup de temps pour s’habiller car on ne peut pas rentrer dans les chambres des patient·es qui ont le Covid comme on rentrerait dans les chambres des autres patient·es. Il faut davantage être vigilant·es et rigoureuses/rigoureux pour ne pas contaminer quiconque. C’est d’ailleurs épuisant de devoir faire autant attention. Le Covid a changé notre façon de faire. On doit nettoyer les surfaces plus souvent, s’habiller comme des « cosmonautes » pour se protéger. A chaque fois qu’on rentre dans une chambre, il faut tout recommencer Ces gestes répétitifs sont lassants. Porter un masque tout le temps est aussi fatiguant, respirer dans ces masques FFP2 toute la journée c’est très oppressant.

Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ?

Beaucoup de choses ont changé. Dans mon cas, j’ai mes deux parents âgés qui vivent avec moi. Il a donc fallu que je parte de la maison. En mars, j’ai décidé d’aller vivre chez ma fille jusqu’en juin, elle est aussi aide-soignante,. On était dans l’inconnu et c’est pour ça que j’ai décidé de partir, pour protéger mes parents, il ne fallait pas que je prenne de risques. Et en plus, les autorités disaient qu’on ne pourrait pas accueillir tous les malades dans les hôpitaux et que, parfois, il faudrait faire un tri. Je ne sais pas si ce tri a eu lieu mais les personnes très âgées sont des gens qu’on peut difficilement réanimer.

Lorsque je suis rentrée chez moi au mois de juin, ma mère m’a annoncée que mon père avait beaucoup grossi. Je l’ai fait emmener aux urgences parce qu’en fait il a failli mourir. J’ai énormément culpabilisé parce que je me suis dit qu’en partant pendant trois mois, même étant aide-soignante, je n’ai pas vu qu’il n’était pas bien. La crise sanitaire a bouleversé nos vies car on a laissé nos propres familles sans penser qu’elles avaient sûrement aussi besoin de nous. Je pense que beaucoup de soignant·es ont culpabilisé de ne pas être avec leur famille.

Pendant que le confinement, on vivait de l’intérieur des choses qu’on n’aurait jamais du vivre. La première vague a été d’une violence inouïe. Ça faisait quinze ans que je travaillais en service de réanimation et je n’avais jamais vu ça. Macron a dit lors d’un discours que c’est la « guerre » mais c’était en réalité une guerre pas comme lui il la voyait.

Après la première vague, vers l’été, ça a été difficile, quand tout est retombé, je me suis demandée après coup si je n’allais pas faire un burn out. On a puisé dans des forces incroyables. Tout le monde est revenu sur ses jours de repos, congés, heures sup… Personne n’a rechigné à faire une demi-heure de plus. Il y avait une rélle solidarité. On était en première ligne, on a géré les urgences graves en réanimation, des personnes entre la vie et la mort. Je me souviens d’une personne âgée qu’on allait intuber et qui était au téléphone avec sa fille. Elle lui a dit d’embrasser ses petits-enfants et que s’il lui arrivait quelque chose de leur dire qu’elle les a toujours aimés. Je suis sortie de la chambre en pleurant. On s’apprêtait à lui mettre un tube dans la bouche et on ne savait pas si cette vieille dame reverrait sa famille un jour.

La crise sanitaire a-t-elle changé votre regard sur votre profession ?

La crise sanitaire m’a fait me comprendre que je suis réellement utile. Heureusement que j’ai choisi ce métier puisqu’il faut des soignant·es. Je pense néanmoins que certaint·es ont changé de métier. Moi au contraire, je suis contente d’avoir été soignante à ce moment-là même si ça a été difficile. Quand je pense à une dame qui est ressortie après deux mois réanimation sur ses deux jambes, je me dis qu’on a sauvé beaucoup de personnes. Il n’y a pas eu que des morts, beaucoup de vies ont été sauvées et c’est satisfaisant de se dire qu’on a contribué au fait que l’épidémie ne soit pas pire que ce qu’elle aurait pu être. Malgré tout, il a fallu puiser dans nos forces car l’hôpital public manque de moyens.

Quelles sont vos luttes et vos revendications pour l’hôpital ? La crise aurait-elle été mieux gérée si vos revendications avaient été entendues avant ?

Je fais partie du syndicat Sud et bien avant la crise sanitaire, on se battait déjà car nos salaires sont gelés depuis plus de dix ans. Il y avait aussi des fermetures de lits. Les hôpitaux sont endettés, il manque du personnel car on ne titularise plus. Forcément ce manque de personnels s’est fait ressentir lors de la crise. Aujourd’hui aller dire à un jeune de faire notre métier, de travailler lors de la crise sanitaire à l’hôpital pour un salaire de 1500 €. Je ne suis pas sûre qu’il y en ait beaucoup qui veuille faire ce métier.

D’ailleurs on nous a beaucoup dit qu’on était des héroïnes/héros. Mais on n’est pas des héroïnes/héros et on ne le sera jamais. On est des gens normaux qui font leur métier et qui souhaitent juste qu’il soit reconnu à sa juste valeur.

Nos revendications sont de revaloriser nos salaires, ré-ouvrir des lits et surtout ne pas détruire l’hôpital public. Mais ça, ça ne date pas du mandat Macron. Ça fait 20 ans que l’hôpital public se casse la figure et on en a payé les frais pendant la crise. Quand je vois que le gouvernement ose dire que des aides soignant·es vont être formé·es en dix jours, je trouve que c’est absurde. Notre métier ce n’est pas juste donner à manger et laver des personnes.

Qu’attendez-vous du gouvernement pour que le système de santé soit amélioré et que vous puissiez travailler dans de meilleures conditions ?

Le matériel a fait beaucoup défaut. Il y a certains endroits où les soignant·es ont quand même travaillé avec des sacs poubelles pour se protéger. C’est grave que dans un pays comme le nôtre on manque de masques, gants, blouses. On n’est censé être un pays développé et on a des ressources.

On a eu une augmentation de 100 €, bon c’est mieux que rien mais ce n’est pas ce que ce gouvernement nous doit… On nous a donné une prime de 1500 €, mais pour moi c’est une petite prime de risques et c’était aussi un moyen de nous faire taire. Mais derrière y a des choses qui ne vont toujours pas. On aura forcément des comptes à régler avec l’Etat quand la crise sanitaire sera terminée.

Il faudrait aussi penser à embaucher et arrêter de serrer la vis. Il faut embaucher pour qu’on puisse donner des soins de qualité et qu’on ait le temps de communiquer, parler et partager des choses avec la personne malade dont on s’occupe. Ce sont les valeurs premières de notre métier. Puis il faut arrêter de fermer les hôpitaux. Une femme ne peut pas faire 100 km pour aller accoucher.

Après la première vague, il y a eu des manifestations de soignant·es, mais des lits ont été fermés alors qu’on était en pleine crise sanitaire. Dans mon service de réanimation on a quand même du matériel. Moi, je ne suis pas malheureuse à ce niveau-là.

Je ne sais pas si je vais finir ma vie dans le médical, car je ne sais pas si mon corps va tenir. Je ne me vois pas m’occuper à 62 ans des malades de mon âge car je ne sais pas si je pourrais physiquement le faire.

Propos recueillis par Chloé Vaysse 50-50 Magazine

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