Articles récents \ Monde Tous et toutes féministes ! Mais pour quelles transformations ?

Dans le cadre du Forum Social Mondial (FSM) qui s’est tenu fin janvier, la commission genre d’ATTAC et Adéquations, en partenariat avec le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et Action Aid France-Peuples Solidaires organisaient un atelier sur le thème : « Tous et toutes féministes ! Mais pour quelles transformations ? » L’occasion pour les participant·es, dans le contexte de la préparation du Forum Génération Egalité, de débattre de la façon dont le « féminisme » est actuellement revendiqué par des acteurs dont les objectifs peuvent être aussi différents que les grandes entreprises, les Etats et institutions de développement, les organisations de la société civile

En introduction de l’atelier, Yveline Nicolas, coordinatrice de l’association Adéquations, rappelle le thème de cette discussion : «dans le contexte des nouveaux engagements féministes des institutions, comment faire entendre les voix des femmes et féministes ? Quelles sont les analyses, pratiques et résistances de femmes et féministes, du niveau local au niveau international, qui pourraient mener à une réelle transformation d’un monde dominé par des injustices sociales, économiques et écologiques ?  »

Jules Falquet, sociologue à l’Université de Paris, propose un regard critique sur les institutions qui, bien que se réclamant du féminisme, n’ont pas des pratiques réellement féministes, au sens d’une transformation profonde des rapports sociaux de sexe, lesquels sont liés aussi aux logiques racistes et coloniales. Des féministes latino américaines ont alerté dès les années 90 sur certains enjeux des Conférences internationales sur les femmes, qui ont participé de l’institutionnalisation de l’égalité femmes/hommes, de la simplification de l’analyse de genre, par les organisations de coopération et de développement, qui promeuvent un modèle qui ne correspond pas aux pratiques et aux analyses féministes.

Les entreprises sont-elles féministes ?

Alice Bordaçarre, chargée de campagne droits des femmes à ActionAid France s’interroge sur les liens qui peuvent exister entre le combat féministe et les entreprises. « Pour le Forum Génération Egalité, les entreprises ont réussi à se placer comme des organisations féministes », regrette Alice Bordaçarre. « Le secteur privé est présenté comme un défenseur de l’égalité entre les femmes et les hommes au même titre que la société civile, la recherche, les syndicats…. Ce qui est quand même un peu surprenant, c’est que la société civile a normalement l’ambition de défendre l’intérêt général, alors que le secteur privé défend ses droits et ses propres objectifs de développement financier » estime-t-elle, avant d’ajouter « les entreprises redorent leur image alors que les salariées sont victimes de harcèlement sexuelle ».

Alice Bordaçarre cite Unilever, une entreprise qui communique sur l’égalité entre les femmes et les hommes, qui se place comme étant équitable, inclusive et pour qui le développement durable est une notion primordiale. Sauf qu’une fois le vernis effrité, la réalité est bien différente à en croire la chargée de campagne d’Action Aid. « Un groupe de 218 travailleurs et travailleuses kenyan·es ont déposé une plainte contre Unilever, devant l’ONU, pour non-respect des normes internationales relatives aux droits humains à la suite de violences généralisées dans la plus grande plantation de thé de la multinationale, la plantation Kericho dans l’ouest du Kenya », détaille-t-elle. L’entreprise Unilever, ainsi accusée de violences sexistes et sexuelles, est pourtant active au sein du Forum Génération Egalité !

La microfinance est-elle féministe ?

Quant à Fatima Zahra EL Belghiti, secrétaire générale d’Attac CADTM Maroc, elle démontre que la microfinance est en réalité loin d’être un modèle de développement et se rapproche plutôt d’un modèle d’exploitation. « On nous dit que la microfinance aide à lutter contre la pauvreté en créant de la richesse. Sauf que les intérêts de ces prêts sont très élevés, ils sont en moyenne de 25 à 35% à l’échelle mondiale, ce qui est largement supérieur aux intérêts demandés par les banques. On est donc loin d’un modèle de développement. Et les femmes sont bien sûr les plus impactées, car elles représentent 80% des emprunteuses/emprunteurs auprès des institutions de microfinance dans le monde. La microfinance augmente donc l’endettement des femmes » explique-t-elle. Elle poursuit en citant des alternatives proposées par des femmes  : « la revendication d’une politique de prêt à des taux d’intérêt à taux zéro, des tontines, des caisses d’épargne autogérées basées sur le don et l’égalité ».

Lors du débat, des participant·es rappellent que le féminisme est aussi traversé par des contradictions ou que les politiques institutionnelles peuvent aussi jouer un rôle pour l’égalité, si les mouvements féministes peuvent s’exprimer (comme au moment de la Conférence de Pékin en 1995). Mais aussi qu’on ne peut pas à la fois vouloir la justice sociale et avoir une économie de prédation.

En conclusion, les militant·es féministes présent·es lors de l’atelier au FSM comptent donc être vigilant·es afin que la diversité des analyses sur les causes structurelles des inégalités entre femmes et hommes s’expriment à l’occasion du Forum Génération Egalité.

Caroline Flepp 50-50 Magazine et Chloé Cohen 50-50 Magazine

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