Articles récents \ Monde « Mon corps m’appartient » : un tour d’horizon du droit à l’autonomie corporelle

Mon corps m'appartient

Le rapport « Mon corps m’appartient : revendiquer le droit à l’autonomie et à l’autodétermination » du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) propose un focus sur les droits sexuels et reproductifs des femmes dans le monde. Défini comme un « droit inaliénable de choisir », le droit à l’autonomie corporelle est une conquête constante face au pouvoir patriarcal. Pour les activistes féministes, il est grand temps que les lois changent et que les hommes se positionnent en alliés.  

Le 14 avril, le rapport « Mon corps m’appartient : revendiquer le droit à l’autonomie et à l’autodétermination » a été publié par l’UNFPA. En France, l’UNFPA a sollicité Equipop, ONG œuvrant pour les droits et la santé des femmes et filles, pour organiser la conférence de lancement du rapport. Étaient présent·es Diene Keita, directrice exécutive adjointe de l’UNFPA et sous-secrétaire générale des Nations unies, des représentant·es du ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, des parlementaires français·es, ainsi que des jeunes activistes.

Qu’est-ce que le droit à l’autonomie et à l’autodétermination corporelle ? D’après le rapport, « le droit à disposer de notre corps signifie que nous avons le pouvoir et les moyens de faire des choix, sans avoir à craindre des violences ou l’intervention d’autrui pour décider à notre place ». C’est un « droit inaliénable de choisir » d’avoir des relations sexuelles, d’avoir un enfant ou encore d’aller chez le médecin.

Ce rapport s’inscrit dans un contexte hautement symbolique pour la France qui participe au Forum Génération Egalité et qui est championne de la coalition d’action d’action « Autonomie corporelle et droits et santé sexuels et reproductifs ». En parallèle, les revendications pour le droit à l’avortement n’ont jamais été aussi vives, que ce soit en Pologne, en Argentine, mais aussi en France. En proposant un état de la population avec une multitude de données et un langage simple, accessible à tou·tes, ce rapport est un précieux document de plaidoyer. 

Quelques chiffres sur l’autonomie corporelle des femmes dans le monde

Le rapport rappelle tout d’abord que les femmes ne disposent en moyenne que de 75% des droits légaux des hommes à travers le monde et qu’elles n’ont souvent pas le pouvoir de contester ces inégalités de droits. C’est notamment cela qui permet au pouvoir patriarcal de contrôler les choix sexuels et reproductifs des femmes et des filles, ce qui, in fine, affecte l’ensemble de la vie des femmes. En effet, le rapport explique : « toute femme qui n’a pas la capacité de décider si, quand ou combien d’enfants elle veut avoir, de choisir de rester à l’école au lieu de se marier à un jeune âge, ou qui accepte la violence domestique comme seul destin, a peu de chances de gagner en autonomie sur le marché du travail ou de s’imposer dans les processus décisionnaires au sein de la communauté et au-delà. Elle perd ainsi ses droits non seulement dans un domaine, mais dans plusieurs, voire tous les domaines de sa vie ».

55%, c’est le pourcentage de femmes qui peuvent prendre leurs propres décisions en matière d’autonomie corporelle, c’est-à-dire en matière de santé, de moyens de contraception et de relations sexuelles. Dans certains pays, ce pourcentage tombe à 1 femme sur 10. C’est le cas, par exemple, au Mali, au Niger et au Sénégal.

Après une analyse plus précise des données, il apparaît que les femmes sont relativement plus libres en matière de contraception qu’en matière de relations sexuelles. Toutefois, même si l’utilisation de moyens de contraception a doublé depuis 1994, le rapport rappelle que « 217 millions de femmes dans le monde éprouvent toujours des besoins insatisfaits en matière de contraception ». On observe également une baisse concernant les taux de mutilations génitales féminines et de mineures mariées mais le rapport appelle à la vigilance : « 4 millions de filles étaient encore soumises à des mutilations génitales féminines en 2020 et environ 12 millions étaient mariées alors qu’elles étaient enfants, un nombre qui est d’ailleurs probablement sous-estimé ».

Les obstacles au pouvoir décisionnel des femmes

Le pouvoir décisionnel des femmes est, tout d’abord, lié à la connaissance de leur corps et de leurs droits en matière de sexualité et de santé. Toutefois, cette dimension individuelle de l’autonomie corporelle est influencée par des facteurs sociaux et économiques. Le niveau d’éducation d’une femme est par exemple un facteur clé : si le niveau d’éducation est faible, l’autonomie corporelle l’est aussi. Il faut aussi compter avec les relations interpersonnelles au sein des communautés. Le plus souvent, ce sont les hommes qui détiennent le pouvoir de décision. La santé sexuelle et reproductive n’échappe pas à la règle, d’autant plus que la sexualité des femmes est vue comme une menace. Les femmes se retrouvent donc avec la responsabilité de la santé reproductive mais sans pouvoir prendre de décisions à ce sujet.

En ce qui concerne les obstacles au pouvoir décisionnel des femmes, le rapport met aussi l’accent sur l’impact des lois sur l’autonomie corporelle. Les lois peuvent être des outils de contrôle du corps des femmes et des minorités : « en limitant l’accès des adolescents aux services de santé sexuelle et reproductive et aux informations en la matière ou en interdisant les relations homosexuelles, par exemple » précise le rapport.

Le rapport propose un zoom 

« Un jour, une femme a été amenée d’un village isolé ; elle était dans un état très grave… Elle avait essayé de provoquer elle‑même un avortement », se souvient Nuriye Ortayli, gynécologue-obstétricienne en Turquie dans les années 1980 et 1990. « Aussi bien parmi les jeunes internes que parmi le personnel plus expérimenté, nous avons fait ce qui était en notre pouvoir pendant bien plus de 12 heures… près de 24 heures. On a tenté tout ce qu’on a pu. Mais elle est décédée. »

Pourtant, le témoignage de la Dre Ortayli ne concerne pas un avortement illégal pratiqué clandestinement. À l’époque, des services d’avortement médicalisé étaient légalement disponibles en Turquie. « Si elle avait pu venir à l’hôpital… on aurait pu procéder sous anesthésie locale », explique‑t‑elle. Au lieu de cela, ce qu’elle raconte témoigne d’une réalité à laquelle se heurtent des femmes et des prestataires de santé du monde entier : des avortements sont pratiqués, souvent, même dans les endroits où cette procédure fait l’objet d’importantes restrictions ou est illégale, et les femmes sont régulièrement empêchées de bénéficier d’un avortement médicalisé, même dans les régions où cette pratique est légalement autorisée.

Par conséquent, quelle que soit la législation, ce sont souvent d’autres facteurs (ressources économiques, distance des services ou normes sociales, par exemple) qui déterminent si une femme pourra accéder à un avortement médicalisé. La Dre Ortayli a été témoin de ce phénomène à la fois en tant que docteure en Turquie et en tant que responsable de programme et conseillère en santé reproductive auprès d’organisations actives dans le domaine de la santé, parmi lesquelles l’UNFPA, en Europe de l’Est, au Moyen‑Orient, en Afrique de l’Ouest et dans les Amériques. « On voit ça sans arrêt. Peu importe le statut légal de l’avortement dans un pays, les femmes prennent cette décision et trouvent un moyen de la mettre à exécution », confie‑t‑elle. « Les plus aisées parviennent en quelque sorte à rester en meilleure santé que les autres, parce qu’elles ont des opportunités, de l’argent, un réseau. Celles qui sont économiquement, socialement ou culturellement défavorisées souffrent davantage. »

A ce sujet, lors de la conférence de présentation du rapport, la jeune activiste béninoise Irmine Ayihounton a soulevé un paradoxe. L’Afrique de l’Ouest est la région du monde qui connait le plus grand taux de mortalité lié à l’avortement. Au Bénin, 15% des avortements clandestins sont la cause de décès. Dans cette région, beaucoup d’actions ont été menées ces dernières années en matière de soins post-avortement pour limiter les décès, mais paradoxalement, l’avortement y reste illégal.

Quelles solutions ?

Diene Keita, directrice exécutive adjointe de l’UNFPA et sous-secrétaire générale des Nations unies, a présenté le rapport en rappelant que les inégalités de genre sont un obstacle majeur à l’autonomie corporelle. C’est pourquoi elle voit l’éducation des hommes et la promotion d’une masculinité positive comme une étape nécessaire pour garantir aux femmes le droit à l’autodétermination. Comment faire ? Il s’agit de montrer aux hommes les désavantages de la domination masculine. A ce sujet, le rapport de l’UNFPA mentionne une étude menée en Europe par l’Organisation mondiale de la santé : « l’égalité des sexes est bénéfique à la santé des hommes : elle entraîne une diminution des taux de mortalité, divise par deux les risques de dépression et réduit de 40% les risques de mort violente ». En effet, l’égalité de genre augmente le taux de rapports sexuels protégés, ce qui diminue le taux de maladies sexuellement transmissibles. Elle fait aussi baisser les taux de suicide en rendant socialement acceptable le fait de prendre soin de soi pour les hommes.

Diene Keita insiste également sur le rôle essentiel des gouvernements dans la transformation des structures sociales, politiques et économiques qui perpétuent et consolident les normes sexistes. A cet égard, Frédéric Depétris, représentant du ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, rappelle que « l’intime est un marqueur crucial de la liberté politique » et que c’est l’objectif de la diplomatie féministe menée par la France que de faire des droits de santé sexuelle et reproductive une priorité politique. Il indique que la France soutient la société civile de façon croissante sur cette question, notamment les organisations et mouvements féministes avec un fonds de 120 millions d’euros sur trois ans pour les ONG féministes des pays du Sud

Cependant, le représentant du ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères a été questionné par des activistes sur la cohérence des politiques publiques dites « féministes » menées par le gouvernement français : quid de la pérennisation de ces fonds ? Quid des modalités d’attribution ? Comment concilier une diplomatie féministe tout en dépensant des milliards pour la défense et l’armée ? Enfin, l’activiste béninoise Irmine Ayihounton a rappelé l’importance pour les gouvernements, notamment la France, d’assurer la protection des femmes défenseures des droits face aux menaces et aux discriminations.

Le rapport de l’UNFPA ouvre ainsi la voie pour la concrétisation de l’objectif d’égalité des sexes, formulé en 2015 dans le Programme de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030. Et heureusement car il ne reste plus qu’une décennie pour agir…

Cependant, à propos de la prostitution, il est étonnant de lire dans ce rapport plusieurs référence au « travail du sexe » et de voir que l’UNFPA soutien des organisations comme le réseau OPSI, « qui plaide la cause des professionnel·les du sexe ». De plus, concernant la GPA, le rapport met en avant la parole d’une mère porteuse : « je voulais saisir cette occasion pour aider mes semblables à réaliser leur souhait: avoir un bébé » !

Maud Charpentier, 50-50 Magazine

Article actualisé le 26 avril 2021.

Voir plus : « Mon corps m’appartient » – Échanges autour du rapport UNFPA 2021

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