Articles récents \ Matrimoine Nom de code : AMNIARIX, ou l’incroyable destin de Jeannie Rousseau

AMNIARIX Jeannie Rousseau

Jeannie Yvonne Ghislaine Rousseau est née à Saint-Brieuc, le 1er avril 1919. La vie ne semblait pas réserver de destin particulier à cette jeune fille brillante et douée pour les langues, sortie première de sa promotion à Sciences Po en 1940. Le destin de Jeannie Rousseau bascule au début de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’elle s’engage comme espionne au service de la Résistance, sous le pseudonyme AMNIARIX, changeant de façon irrémédiable le cours de sa vie, mais aussi de l’Histoire.  

A comme Alliance

C’est le nom du réseau résistant pour lequel Jeannie Yvonne Ghislaine Rousseau travaille comme espionne à partir de 1942, après avoir retrouvé par hasard un ancien camarade de classe, Georges Lamarque, fondateur du sous-réseau résistant des Druides. Ce n’est cependant pas la première expérience dans le renseignement de la jeune femme, qui commence sa carrière d’espionne dès 1940, alors que les Allemands commencent à occuper le territoire français. Elle vit à cette époque en Bretagne, et sert, à la demande du maire de Dinard, d’interprète entre les services locaux et les soldats allemands, ravis de pouvoir échanger dans leur langue avec une belle jeune fille. Consciente du risque qu’elle prend, elle glane ainsi des informations sur les stratégies allemandes, qu’elle transmet aux Britanniques. En 1941, quand les soupçons qui pèsent sur elle se multiplient, elle est arrêtée et interrogée à Rennes, mais relâchée pour manque de preuves. Elle doit cependant s’engager à quitter la région.

M comme Madeleine 

Elle s’installe alors à Paris, où elle devient interprète au service d’hommes d’affaires français, sous le faux nom de Madeleine Chauffour. Elle traduit et négocie pour eux des contrats avec des officiers allemands, qui contiennent des informations dont elle réalise vite l’importance. Jouant de ses charmes et de son apparente innocence, elle discute avec les Allemands, les flatte, pour obtenir des informations : l’un d’eux va jusqu’à lui montrer les plans des missiles V1 et V2, développés par l’Allemagne nazie. Sa mémoire exceptionnelle lui permet de retenir une quantité phénoménale d’informations qu’elle transmet, sous le pseudonyme d’AMNIARIX, à Georges Lamarque, retranscrivant mot pour mot l’ensemble des documents et des conversations dont elle a connaissance. Ce sont ces informations qui permettent au gouvernement britannique d’organiser, en 1943, le bombardement du centre de recherche de Peenemünde, lors de l’Opération Hydra, qui retarde de plusieurs mois les attaques de l’armée allemande.

N comme Normandie

Alors que le jour du débarquement des Alliés approche, le gouvernement britannique décide d’exfiltrer Jeannie Rousseau afin de la mettre en sécurité et de recueillir ses informations. Lorsqu’elle s’apprête à quitter la côte normande et à traverser la Manche avec cinq autres agents, le groupe est arrêté par les Allemands. Seul un agent parvient à s’échapper. Bien que Jeannie Rousseau tente de faire croire aux Allemands qu’elle n’a aucun lien avec la Résistance et qu’elle rejoint simplement l’Angleterre pour vendre des bas de nylon au marché noir, elle est tout de même emprisonnée, avant d’être envoyée au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück.

I comme insoumise

À son arrivée au camp, Jeannie Rousseau a une idée de génie, qui lui sauve sans doute la vie. Alors que son dossier, au nom de Madeleine Chauffour, et ses réels papiers d’identité sont envoyés séparément, elle se présente à l’administration comme Jeannie Rousseau. Elle entre ainsi au camp comme prisonnière, mais non comme coupable d’espionnage, une confusion que les officiers allemands n’éclairciront jamais. Même emprisonnée, Jeannie Rousseau continue de résister. Transférée au camp de travail de Torgau, elle refuse de soutenir l’industrie allemande et rappelle au chef de camp, dans un allemand parfait, que selon la Convention de Genève, les prisonnier·es de guerre n’ont pas à fabriquer des armes. Identifiée comme fauteuse de trouble, elle est envoyée à Königsberg, où elle poursuit son combat pour la liberté en établissant une liste des prisonnières, qu’elle fait passer hors du camp afin d’alerter la Résistance. Dans l’attente des secours, Jeannie Rousseau vit l’enfer à Königsberg, à tel point qu’elle s’échappe en montant dans un fourgon… pour retourner à Ravensbrück.

A comme agonie

Sa ruse est vite découverte, et Jeannie Rousseau est transférée dans une prison interne à Ravensbrück, où les mauvais traitements manquent de peu de lui coûter la vie. Nourrie de demi-rations, forcée de faire les travaux les plus pénibles, elle s’affaiblit et contracte la tuberculose. En 1945, elle pense échapper à l’horreur à l’arrivée d’une délégation de la Croix rouge, munie d’une liste de femmes à secourir sur laquelle figure son nom, mais les officiers allemands l’empêchent de répondre à leur appel. Ce n’est que plusieurs jours plus tard que la Croix rouge suédoise lui porte secours et la libère, alors qu’elle est aux portes de la mort. À l’hôpital, elle est dans un état critique, mais la résistante prouve encore une fois sa force. Elle survit, et rencontre un autre rescapé des camps, Henri de Clarens, qui devient son mari et le père de ses deux enfants.

R comme réservée

Après la guerre, Jeannie Rousseau, désormais Jeannie de Clarens, tente de faire une croix sur son passé. Elle reçoit de nombreuses récompenses, notamment la Légion d’honneur en 1955, dont elle devient grand officier en 2009, et l’Agency Seal Medal de la CIA en 1993, ainsi que la médaille de la Résistance française et la croix de guerre. Elle parle cependant très peu de ce qu’elle a vécu, même à ses enfants, et refuse la plupart des interviews que les journalistes lui proposent. Ce n’est qu’en 1998 qu’elle accepte, de raconter l’intégralité de son histoire, dans un unique entretien avec des journalistes du Washington Post.

I comme interprète

Jeannie de Clarens fait le choix de continuer à servir la communauté internationale, en s’engageant comme interprète pour les Nations unies et auprès d’autres organisations internationales. Elle ne travaille cependant plus qu’en anglais, refusant de laisser un seul mot d’allemand sortir de sa bouche, après les souffrances que lui a infligées l’Allemagne nazie.

X comme dans exploit ou réflexe ?

Son silence et sa discrétion, qui la caractérisent jusqu’à sa mort en 2017, à 98 ans, ne sont pas seulement liés à une volonté d’oublier l’horreur de la guerre, mais aussi à une grande modestie. Elle refuse, jusqu’à la fin de sa vie, d’être érigée en héroïne et de reconnaître les exploits qu’elle a accomplis. Dans son témoignage publié par le Washington Post, elle déclare : « Pourquoi l’ai-je fait ? Je l’ai juste fait, c’est tout. Comment pouvais-je ne pas le faire ? L’héroïsme n’est pas une question de choix, mais de réflexe. »

Lou Cercy 50-50 Magazine

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