Articles récents \ Monde Lina Abou-Habib : « Nous demandons des financements directs et flexibles, mais rien n’a été clarifié pour le moment »

La militante féministe libanaise Lina Abou-Habib, qui a participé au Forum Génération Egalité, dresse un bilan mitigé de cet événement. La directrice par intérim de l’Institut Asfari pour la société civile et la citoyenneté à l’Université américaine de Beyrouth, et conseillère pour le Fonds Féministe Doria, attend beaucoup des prochaines étapes, à la suite du FGE.

Qu’avez-vous pensé de l’organisation du FGE, dans la forme ? 

J’étais invitée à la cérémonie d’ouverture du FGE et en tant que modératrice pendant l’événement. C’était très important pour moi d’y assister en personne. Je fais partie des féministes qui ont eu la chance de participer à la dernière Conférence de Pékin en 1995, nous étions des milliers de la société civile, c’était impressionnant. Cette fois-ci, la pandémie ne nous a pas permis d’organiser un événement de la même ampleur . Forcément, nous sommes un peu déçues, mais il faut aller de l’avant et regarder ce qui va se passer désormais.

En tant que féministe libanaise et de la région Méditerranée et Moyen-Orient, j’étais très contente que nos régimes ne soient pas invités au FGE, car nous en avons marre de nos dirigeants qui ne font rien pour les droits des femmes. C’était une très bonne idée qu’ils ne soient pas là, car ils ne font que de la propagande. Ça veut dire « vos mensonges ne passent plus », et c’est un message plein d’espoir envoyé aux féministes de la région. Ça sera pour nous un outil de lobbying puissant.

Pendant le Forum, il y a eu de grandes annonces : 40 milliards de dollars de promesses d’engagements seront débloqués. Que pensez-vous de ces promesses ? 

Sur le papier, les 40 milliards de dollars de promesses d’engagements c’est bien. Mais cet argent est conditionné à beaucoup de « si ». Nous demandons des financements directs et flexibles, mais rien n’a été clarifié pour le moment. Comment cet argent va-t-il être distribué ? Et jusqu’à ce qu’il arrive aux féministes sur le terrain combien d’intermédiaires se seront servis dans l’enveloppe ? Comment assurer la transparence de ce financement ? Est-ce que cet argent arrivera en quantité suffisante aux féministes qui en ont le plus besoin ? Nous devons éclaircir tous ces points ! En tant que féministes, nous devons travailler avec les gouvernements sur le « comment », car nous avons les solutions, nous sommes sur le terrain.

Et sur le fond, qu’avez-vous pensé des nombreuses interventions pendant le FGE ?

Certes l’événement n’était pas aussi important qu’à Pékin en 1995, mais sur le fond les discours ont évolué dans le bon sens. Nous n’étions plus dans la binarité femmes/hommes, et c’est essentiel. Les discours étaient plus inclusifs, plus intelligents. Les voix des jeunes, des LGBTQ+ étaient représentées et écoutées.

Mais il y a eu des opportunités ratées. À la fin du FGE, l’une des intervenantes syriennes a demandé au Président Emmanuel Macron des visas pour ses enfants. Evidemment que nous comprenons la détresse d’une mère, mais c’est une opportunité ratée de parler des droits des femmes syriennes. C’est une occasion perdue pour les millions de femmes syriennes de faire entendre leurs voix.

Pensez-vous que la participation ait été à la hauteur de cet événement et de vos attentes ? 

Alors nous avons eu des acquis, l’enveloppe annoncée, les discours plus inclusifs, la voix des jeunes qui a été entendue, et nos régimes autoritaires qui n’étaient pas présents. Maintenant il y a encore de très nombreuses lacunes. Les féministes françaises n’ont pas été assez impliquées dans la conception de ce FGE et pendant l’événement. Beaucoup de questions n’ont pas été posées comme les actions locales, la question des femmes sans papier… Et puis maintenant comment allons-nous procéder pour faire parvenir l’argent aux féministes et aux associations ?

Ce qui est décevant aussi c’est le peu d’intérêt de la presse pour cet événement. La couverture médiatique du FGE n’était clairement pas à la hauteur de nos attentes. Avant la pandémie, l’ambition initiale était de faire aussi fort qu’en 1995. Car la Conférence de Pékin était magique, symbolique. Nous avons dû revoir nos attentes à la baisse. Et il faut se rendre à l’évidence, nous devons désormais tourner la page de 1995.

Propos recueillis par Chloé Cohen 50-50 Magazine

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