Articles récents \ Matrimoine Enfantes de la Matrie

Pas moins de 21 évènements gratuits ont eu lieu le week-end dernier en Île-de-France dans le cadre des journées du Matrimoine dont le but est de restaurer la connaissance des artistes femmes du passé. Elles ne servent pas seulement de modèles aux jeunes femmes mais elles prennent à bras le corps les clichés éculés et revisitent le passé pour l’éclairer de manière féministe. Ces journées prennent de l’ampleur et essaiment aussi en Province. 

La Cité audacieuse est une ancienne école de garçons qui a été donnée par la ville de Paris aux associations œuvrant pour les droits des femmes. C’est un lieu de rencontre innovant et très ouvert avec sa cour de récré comme annexe du café qui s’y rattache. Elle a accueilli ce week-end du Matrimoine bon nombre de spectacles créés tout spécialement pour ces journées du Matrimoine. 

Celui qui a particulièrement retenu notre attention était intitulé  Allons Enfantes de la Matrie. Il y a la dessous du Thiphaine D, une féministe qui met tout à la féminine universelle. Elle est l’une des brillantes autrice et comédienne de cette œuvre collective qui met en lumière quelques femmes connues et moins connues de la Révolution française. On connaît Olympe de Gouges mais moins Théroigne de Méricourt (1762/1817) et Claire Lacombe (1765 -1798), qui ont toutes deux contribué à l’écriture des Cahiers des doléances des femmes entre 1789 et 1791, ou Pauline Léon (1768-1838), qui a participé à la prise de la Bastille et à la pétition pour l’armement des femmes. D’autres encore sont évoquées comme Madame Dubarry, la princesse de Lamballe, Manon Roland… Toutes ont eu une part très importante dans la Révolution au féminin mais les livres d’Histoire les mentionnent à peine. Elles ont quasi toutes eu un destin tragique malgré leur héroïsme, et en fait, à cause de leur héroïsme. Celui-ci ne pouvait être accepté d’une femme et encore moins reconnu. Il devait être étouffé et tué dans l’œuf.

Ce spectacle choral chanté et dansé est tout sauf un cours d’histoire, c’est la Révolution dite par les femmes qui l’ont faite et n’en ont jamais profité. Cette performance hors norme les met à l’honneur de façon puissante, joyeuse et enthousiaste avec humour et un sens de la mise en scène efficace.

Les spectatrices/spectateurs sont  immédiatement emporté·es par ces feux follets qui crient leur rage devant l’injustice des hommes toujours avec esprit et références, bien documentés sur les unes et les autres. Des extraits de textes d’Olympe de Gouges, qui a écrit la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, surgissent au bon moment et à propos, tout comme ceux de Théroigne de Méricourt encore tellement vibrant et faisant écho au monde contemporain qui n’a pas fini son évolution égalitaire.

Dans la première partie, on retrouve les noms familiers liés à l’Histoire écrite dans les manuels scolaires, où sont replacées et centrées ces femmes du passé. Les noms de Marat, de Charlotte Corday et certaines dates clés de 1789 à 1792 tissent le fil de l’Histoire au féminin. Il est fait référence aux Tricoteuses, femmes du peuples assistant aux séances de la Convention Nationale et au tribunal Révolutionnaire, aux Cahiers des Doléances des femmes, dépassant le simple événement avec la volonté de rejoindre les problèmes politiques, et la marche des femmes du 5 octobre où des milliers de femmes furent les pionnières pour monter sur Versailles, suivies ensuite des hommes et de la milice Nationale.

Des femmes ignorées

Tout ceci montre à quel point les femmes étaient omniprésentes dans ce combat pour la dignité de chacun·e. Mais toutes ont été ignorées et les meilleures d’entre elles, exécutées ou enfermées pour avoir lutté pour leur dignité. Il est rappelé avec une lucidité aussi clairvoyante que terrible que la reine Marie-Antoinette fut accusée de tous les maux et même d’inceste alors qu’elle-même n’avait eu aucun droit. Mariée de force et figée dans sa cage dorée, les hommes l’ont prise comme bouc émissaire. Elle fut guillotinée tout comme Olympe de Gouges qui fut exécutée sous le prétexte qu’elle avait un discours qui dérangeait l’ordre public, c’est-à-dire l’ordre patriarcal. La Révolution ne leur a accordé aucun droit et leur en a même enlevés car elles n’ont plus pu se rassembler par exemple.

La deuxième partie bascule tout doucement vers des accents plus contemporains et l’art des autrices- comédiennes s’y déploie de façon jubilatoire. On n’est plus dans la réécriture mais dans l’écriture d’une utopie exubérante mais structurée, fruit d’une réflexion militante. Le lien entre les revendications passées et présentes est maîtrisé avec brio et l’équipe se donne à cœur joie de ridiculiser ces hommes qui ont cru et croient encore dominer le monde avec des arguments plus spécieux les uns que les autres. Cependant, ce n’est pas l’amertume qui domine, loin de là, mais la pétillance, le désir de vivre pleinement et librement et la joie de créer pour un monde plus juste. Les chants révolutionnaires, tous réécrits avec malice féministe, viennent rythmer cette œuvre audacieuse.

L’idée de cette réécriture du passé a germé petit à petit chez Juliette Mercier. Le résultat cependant en est peut-être d’une plus grande brillance car on virevolte d’une idée à l’autre et d’une femme exceptionnelle à l’autre sans s’ennuyer un instant tant le contenu fait sens au niveau de l’Histoire des femmes écrite à sa juste valeur.

Ce spectacle est un petit bijou à polir et à faire connaître et il serait juste qu’il soit produit dans un vrai grand théâtre tant le talent des comédiennes saute aux yeux et aux oreilles, tant leur enthousiasme est communicatif, tant leur verbe est jouissif. Il y a urgence à sortir ce travail d’un bénévolat trop souvent féminin.

Roselyne Segalen 50-50 Magazine

Autrices et comédiennes :  Juliette Mercier : autrice, dramaturge, comédienne et autrice de la pièce  / Typhaine D : autrice, metteuse en scène, conférencière féministe / Charlotte Arnoult : danseuse et comédienne / Laurence Theullier : compositrice, instrumentiste, photographe, vidéaste féministe /Caroline Sébille : danseuse, chorégraphe / Mathilde : chanteuse féministe.

Photo de Une : Ariane Mestre

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