Articles récents \ DOSSIERS \ NUMERIQU'ELLES Les oubliées du numérique

femme

Il y a quelques années on parlait de l’informatique comme d’ « un monde de femmes », il y eut des pionnières puis les femmes ont déserté ce secteur pour aujourd’hui se ré-emparer des outils informatiques. La place des femmes dans le monde de l’informatique, c’est l’histoire d’une inversion.

Aujourd’hui quasiment tout le monde possède un téléphone portable, un ordinateur personnel ou du moins en utilise un dans le cadre scolaire ou professionnel. Le numérique fait partie intégrante de notre quotidien, il a envahi toutes les sphères. Le scrolling sans fin sur les réseaux sociaux est à la mode, les applications de rencontre sont les nouveaux lieux de discussion, le trajet des vacances est déjà tout trouvé par le GPS intégré dans la voiture… Bref, la vie est remplie de numérique ! Mais quand on pense au numérique, à qui le relie-t-on…? Quasiment toujours aux hommes comme Mark Elliot Zuckerberg créateur de Facebook, Jeff Bezos fondateur d’Amazon, Bill Gates ou encore Steve Jobs…

Jamais on ne pense à Ada Lovelace première programmeuse au monde qui en 1834 a fabriqué l’ancêtre de l’ordinateur, ni a Hedy Lamarr  qui est à l’origine de la technique de « zapping » radio calqué sur le nombre de touches d’un piano qui permet de séquencer l’information sur plusieurs fréquences entre l’émetteur et le récepteur, et qui est à l’origine du Wi-Fi, du GPS ou encore du Bluetooth ! Les femmes sont les oubliés de l’histoire, les oubliées de la musique et tout autant, les oubliées de l’informatique ! Ces pionnières, programmeuses qui ont façonné l’informatique moderne ont été écartées des grandes lignes de l’Histoire.

  • La NASA  employait des femmes appelées « calculatrices humaines » pour calculer les trajectoires des missiles.
  • Lors des guerres mondiales, les femmes ont occupé une place importante dans la société étant donné que les hommes étaient sur le champ de bataille. Elles ont affirmé leur place dans le monde du travail mais aussi et surtout dans le monde du numérique. Elles ont occupé des postes clé dans les entreprises de secteur pendant plusieurs années. Certaines ont eu de lourdes responsabilités sur leurs épaules comme par exemple la tâche de décoder le chiffrement du IIIe Reich d’après les calculs d’une machine nommée « The Bomb » créé en 1919. Lors de la seconde guerre mondiale l’histoire s’est répétée et des mathématiciennes ont étés appelées pour participer au décryptage de machines comme  par exemple « Enigma » par Joan Clarke, d’autres comme Betty Bartik, Betty Holberton, Marlyn Meltzer, Ruth Teitelbaum, Kay Mauchly Antonelli et Frances Spence ont codé des informations pour l’Electronic Numerical Integrator and Computer, le premier ordinateur numérique totalement électronique…
  • L’expression « bug informatique » vient de la première panne informatique provoquée par un insecte et décelée par Grace Hopper.
  • Quand le premier homme marchait sur la lune c’est le code informatique de Margaret Hamilton qui a permis le succès de la mission Apollo 13 en 1970.
  • Le premier jeu d’aventure graphique vient de Roberta Williams qui a désigné Mystery House en 1980…

Mais à l’époque, l’informatique était vu comme un « sous-métier », il ne donnait pas accès à des métiers ou à des qualifications de « prestige », ni à des hauts salaires par conséquent… Les filières pour y accéder se nommaient “calculs numériques” et correspondaient à une certaine représentation qu’on se faisait des femmes scientifiques. Encore une fois un secteur largement féminin donc inférieur !!! 

Dans les années d’après-guerre, les femmes ont continué à travailler dans le domaine du numérique et représentaient la moitié des effectifs dans les entreprises du secteur informatique. Le constat était le même dans les écoles; la moitié des étudiant.es en sciences de l’informatique étaient de sexe féminin. Les effectifs féminins augmentaient plus rapidement que ceux des hommes , et ce jusque dans les années 80.

L’arrivée du micro-ordinateur en 1980 transforme l’image de l’informatique et ses représentations.

Avec l’explosion de la micro-informatique dans les années 1980, le secteur attire de plus en plus les hommes. Après des années de parité, on constate un décrochage de la proportion des femmes dans le secteur informatique. Le marketing axé autour des nouveaux outils informatiques se met à cibler surtout les hommes et les garçons. On voit également à cette époque la naissance de l’image du « geek », un jeune homme un peu asocial, image véhiculée par les films, les romans de science-fiction et les séries TV. Ces images créent des stéréotypes visibles dès l’école, et qui font partie des causes de ce brutal décrochage féminin. Le secteur informatique devient un métier d’avenir, prometteur et voué à se développer en permanence. Le secteur de la bidouille, métier du tertiaire, se transforme progressivement en métier menant au prestige… Avant le micro-ordinateur, personne ne savait ce qu’était l’informatique.

Ce type de marketing crée même un décalage dans les connaissances entre étudiants et étudiantes. Les jeunes hommes, ciblés par les publicités, se voient offrir des ordinateurs pour leur anniversaire ce qui leur permet d’acquérir déjà certaines notions. Tandis que les jeunes femmes entrent à l’université dépourvues de ces apprentissages. Le niveau scolaire attendu augmente donc en raison de cette hausse de connaissances chez les garçons, ce qui dessert les étudiantes et qui faute d’accompagnement, décrochent voire se réorientent vers d’autres filières. Des écarts se créent, les filières numériques deviennent majoritairement masculines et les filles se retrouvent rejetées de ces bandes de garçons. Ils font désormais bande à part.

L’essor des études en informatique… sans les femmes.

Le pouvoir du marketing est impressionnant, voire dangereux pour nos représentations… De nos jours, les étudiantes en sciences de l’informatique sont moins de 10%. Soit une différence écrasante avec le début du XXe siècle… Dans le monde de l’entreprise seulement un·e employé·e sur trois du secteur est une femme. Des lois tentent de réduire ces disproportions au travail mais il faut se battre pour retrouver l’égalité. En informatique, comme ailleurs, le chemin est encore long…

Les enseignant·es découvrant en même temps que leurs élèves le numérique sont devenu·es très réticent·es au fait d’enseigner cette discipline à l’école. Ce n’est que très récemment, alors que des options existaient déjà au lycée, que les cours d’informatique sont devenus obligatoires au collège. Pourtant il est nécessaire de découvrir le code, le plus tôt possible car le blocage vient avant tout des parents. Les garçons sont surreprésentés et pourtant les filles aiment tout autant ce domaine. Il faut donner l’opportunité aux enfants de se faire leur propre avis, sans être bloqué par des stéréotypes !

Camille Goasduff 50-50Magazine

print