Articles récents \ Monde \ Europe Evgenia Rudenko : une journaliste ukrainienne en guerre

Evgenia Rudenko, une journaliste ukrainienne, s’est entretenue avec le club Femmes Ici et Ailleurs le 24 mars dernier. La date marquait tristement la fin du premier mois de la guerre. 

La journaliste a longtemps vécu dans sa ville natale, Kyiv, mais sa carrière l’a amenée à s’expatrier. Elle habite maintenant Lyon et elle fait de fréquents voyages pour aller voir sa famille en Ukraine. La dernière fois, c’était en janvier. A l’époque déjà, tout le monde savait que les soldats russes étaient là, aux portes du pays. Il y avait beaucoup de questions et de craintes mais elle souligne que l’éventualité d’une invasion restait “inimaginable”. Depuis, la réalité a frappé de plein fouet le pays. De nombreuses villes sont en ruine et beaucoup de civils ont dû fuir. En Ukraine Evgenia Rudenko avait sa sœur, ses parents et sa grand-mère. Sa sœur a pris son fils et a fui vers la Pologne. Par chance, ses parents lui ont emboîté le pas; mais sa grand-mère, 100 ans, a refusé de tout quitter. La vieille dame a vécu la Seconde Guerre Mondiale et elle ne se voit pas partir pour un temps indéterminé. Elle est donc restée à Kyiv malgré les risques. 

C’est un des rares conflits où les femmes combattent aux côtés des hommes. Ce qui ouvre le champ à des histoires plus tragiques que jamais. Une des meilleures amies de la journaliste a une fille de 21 ans qui était censée se marier en mai. Evgenia Rudenko avait déjà ses billets d’avion pour s’y rendre mais la guerre a tout changé. Le jeune couple s’est rendu à l’église le 24 février, le jour du début du conflit, et s’est marié en urgence. Ensuite, elle/il ont pris les armes pour aller au front. Leur philosophie est simple : “On veut vivre ici. On va se battre pour notre pays”

Le mariage d’Yaryna et Svytoslav le 24 février 2022

Yaryna et Svytoslav le lendemain du mariage, le 25 février 2022

Les journalistes et l’effort de guerre 

Elle parle de ses collègues. De celles/ceux qui ont fui et de celles/ceux qui sont resté·es et travaillent encore. La plupart des journalistes femmes avec enfants ont quitté le pays et se sont réfugiées chez des ami·es étrangères/étrangers. Beaucoup de journalistes hommes ont quant à eux pris les armes pour se battre. Il ne reste donc pas grand monde pour travailler dans les médias. Toutes les chaînes ukrainiennes se sont transformées en chaînes d’infos avec une diffusion live non-stop. C’est plus important que jamais de tenir la population informée. Les journalistes ont décidé de le faire ensemble en se divisant le travail. L’entraide est le maître mot. Mais le journalisme reste un métier dangereux. Les Russes ne cessent de bombarder les antennes relais et les édifices liés à l’information. Evgenia Rudenko raconte d’ailleurs qu’une bombe est récemment tombée directement dans l’abri d’une antenne. 19 technicien·nes ont perdu la vie dans cette attaque. Chaque nuit les employé·es de ces professions doivent dire au revoir à leur famille sans vraiment savoir si elles/ils vont revenir. Les bombardements incessants ne facilitent pas le travail de rédaction non plus. Au-delà de la peur de mourir, les allers retours vers les abris prennent beaucoup de temps et d’énergie. Les sirènes sonnent et il faut tout lâcher pour se mettre à l’abri. Souvent, ces abris n’ont pas Internet. Il faut se résoudre à passer le flambeau à un·e autre pour qu’elle/il finisse l’article. Les journalistes du pays ont un vrai besoin de mains : que ce soit pour finir les articles, les mettre en ligne ou encore les traduire. Evgenia Rudenko participe souvent à cet effort de guerre.

Une vie quotidienne bouleversée 

La vie des Ukrainien·nes est maintenant rythmée par les sirènes appelant à rejoindre les abris. Les heures y sont interminables et la peur omniprésente. Rester à la maison n’est pas beaucoup plus simple puisque l’hiver 2022 est très froid en Ukraine. Il n’y a souvent pas d’électricité ou de gaz pour se chauffer. Se nourrir est devenu tout aussi difficile. Il ne faut pas espérer trouver de viande, de lait, de pattes ou même de pain. L’alimentation est souvent à base de pommes de terre et de carottes. Il ne faut plus compter non plus sur l’accès aux médicaments. Ce qui est dramatique pour les personnes atteintes de diabète ou de VIH par exemple. Certains villages ont fait le choix de détruire les ponts les rattachant à la capitale afin de complexifier l’invasion des soldats russes. Le souci, c’est qu’en le faisant, les villageois·es se sont piégé·es. Si les Russes ne peuvent pas passer, alors l’aide humanitaire non plus. 

La journaliste souligne également que celles/ceux qui ne sont pas parti·es au front organisent souvent une défense civile tout aussi redoutable que l’armée. La défense des quartiers se fait par le peuple. A Kyiv le défi pour les civils est souvent de repérer les Russes essayant de se faire passer pour des Ukrainien·nes. Ces milices improvisées posent alors des questions sur les origines et intentions des inconnu·es rodant dans leurs quartiers. Certain·nes parlent la langue avec un accent plus ou moins crédible alors il faut parfois creuser en vérifiant leurs papiers. Quand ce n’est pas concluant non plus, il faut devenir créative/créatif. Courrier International a d’ailleurs une rubrique recette du monde où ils ont partagé la recette d’un pain traditionnel qui est devenu une technique pour s’assurer que la personne en face est bien Ukrainien·ne. Ce pain, à base de yaourt et de farine, a un nom absolument impossible à bien prononcer pour les étrangers : palianytsia. C’est donc devenu un test : si la personne en face dit mal ce mot, c’est qu’elle n’est pas d’ici.

Eva Mordacq 50-50 Magazine

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