Articles récents \ Île de France \ Société Céline Hervieu : « Les enfants voient bien que quel que soit leur genre, elles/ils sont traité·es de la même manière »

Céline Hervieu est conseillère déléguée petite enfance, Véronique Pachevie est accompagnante éducative petite enfance dans la Crèche collective municipale du Bataillon du Pacifique dans le 12e arrondissement de Paris. Cette crèche fait partie du projet de crèches égalitaires de la collectivité parisienne. 

Céline Hervieu : L’égalité filles/garçons est un projet qui est porté depuis des années par la collectivité parisienne et la direction des familles et de la petite enfance. Nous savons que les stéréotypes et les représentations genrées se constituent dès le plus jeune âge. Les établissements d’accueil du jeune enfant tiennent donc une responsabilité toute particulière pour promouvoir une vision plus égalitaire entre les filles et les garçons.

Nous considérons que la réflexion sur ce sujet de l’égalité filles/garçons pour la ville de Paris est constituée de deux axes principaux. Le premier, c’est le travail sur les représentations du masculin et du féminin. Le deuxième c’est la lutte contre les stéréotypes et l’implication des pères dans les lieux d’accueil du jeune enfant.

Je précise que je parle au féminin car il y a 98% de femmes dans les établissements d’accueil du jeune enfant.

En 2006, il y a eu une première prise de conscience et des débuts d’échanges entre professionnelles pour réfléchir sur les différentes représentations genrées et sur les pratiques professionnelles. Nous nous sommes rendus compte qu’à la crèche nous rejouions parfois des stéréotypes de genre, de façon inconsciente. Par exemple, le groupe de garçons était toujours emmené en premier dans l’espace extérieur, avec l’idée que les garçons ont besoin de se défouler, au contraire des filles plus calmes, qui prennent plus de temps et qui peuvent se mettre dans un coin pour lire… (les tout petits ne savent pas encore lire.) Il fallait qu’on puisse accompagner au mieux les professionnelles pour que la prise de conscience puisse toucher chacune d’elles et qu’elles puissent adapter leurs pratiques. En 2012, une première charte a été mise en place. La démarche s’est vraiment renforcée en 2016 et un projet a été lancé autour de 20 crèches pilotes. Ces crèches ont réalisé des groupes de paroles entre professionnelles et ont analysé des séquences de jeux filmées avec les enfants afin de débriefer sur cette question de l’égalité femmes/hommes. (filles/ garçons ?)

Suite au diagnostic de 2016, nous avons commencé à travailler sur des éléments de communication à distribuer aux différentes crèches.  Des formations que nous avons réalisées avec une association qui s’appelle Artémisia, ont été proposées à de petits groupes de professionnelles. L’ambition étant à terme de généraliser ces formations. Nous avons également mis en place, des kits pédagogiques et des malles de jeux égalitaires. Les malles de jeux égalitaires ne comprennent pas que des jeux mais aussi des livres, des chansons, des comptines… Nous réfléchissons beaucoup sur le packaging des jeux que nous utilisons car le marché en dehors des établissements d’accueil du jeune enfant joue beaucoup sur les représentations de genre par le biais des couleurs, par exemple.  Nous avons cherché à inclure cette dimension de l’égalité fille-garçon dans le marché public grâce à nos appels d’offres. Nous avons un club utilisateur, c’est à dire un groupe de référent·es, qui analyse quand nous faisons des achats pour des jeux. 

Dans les crèches pilotes, tout le matériel a été repensé ainsi que la façon dont les professionnelles interagissaient avec les enfants en fonction de leur genre. Un des changements majeurs a été l’aménagement des espaces et le vocabulaire qui utilisé pour désigner ces espaces. Nous avons réalisé une visite d’une crèche pilote où les professionnelles expliquaient qu’elles avaient modifié le nom qui était donné à chaque espace de jeu. Le coin « dinette » était devenu le coin « restaurant », le coin « bricolage » était devenu « l’atelier » et étaient disposés différemment dans l’espace. On essaye d’agir sur des choses très concrètes, c’est un travail de fond qui est réalisé pour lutter contre les stéréotypes et pour permettre à chaque enfant d’exprimer son potentiel et ce qu’il a envie de faire.

Véronique Pachevie : Ce n’est pas simple de trouver des fournisseurs qui n’ont pas de baignoires roses… Nous avons la chance de pouvoir choisir les produits dans les marchés, et il faut faire des choix stratégiques. Par exemple, si on choisit des vêtements de garçons, ils seront plus neutres que si on choisit des vêtements de filles qui sont très stéréotypés.

Par rapport à la couleur rose, c’est quand même un empêchement pour certains petits garçons, dès la crèche, de jouer avec des gommettes roses, de s’essuyer les mains avec une lavette rose. Si le petit garçon a le choix entre un chariot rose et un chariot vert, il prendra systématiquement le vert. Cette couleur oriente vers les filles car certains garçons font un tri en donnant les gommettes roses aux filles. Des auxiliaires ont travaillé sur les gommettes roses en disant à un petit garçon qu’il pouvait aussi jouer avec ces gommettes. Il a longuement hésité puis il a fini par jouer avec ces gommettes. Cela paraît peut être un peu bateau, mais nous avons essayé de limiter le rose. Nous avons l’impression que le rose, au-delà d’être une couleur, est aussi associé à des critères.

Autour du jeu et du déguisement nous avons beaucoup insisté auprès des parents pour expliquer que le jeu implique une dimension imaginaire et que c’est par là que l’intelligence se construit. Les parents sont parfois réticents, mais quand elles/ils comprennent le but de notre approche cela prend sens pour elles/eux. Nous sommes là pour que les enfants s’épanouissent, grandissent, acquièrent des compétences. Pour certaines professionnelles l’idée qu’une fille puisse courir partout et qu’un petit garçon pleure n’est pas simple. La reconnaissance des émotions est importante. À ce que je sache aucune crèche n’interdit à un petit garçon de jouer à la poupée ou à une petite fille de jouer aux voitures. Notre démarche est plus fine et passe par le choix des mots, du matériel et dans le portage. En effet, nous avons l’impression de porter un petit garçon de manière plus tonique alors qu’une petite fille qui sera plus enveloppée. C’est un travail individuel avant d’être collectif. Cela dépend aussi de notre propre éducation, donc c’est un travail de longue haleine. 

Céline Hervieu :  Nous avons rassuré les professionnelles sur le fait que l’enfant est libre de choisir le déguisement qu’elle/il souhaite et que finalement on peut être une petite fille et se déguiser en pompier ou un petit garçon et vouloir mettre une robe de princesse pour jouer. C’est normal. C’est tout l’imaginaire qu’il y a derrière qui doit être libre d’accès pour tous les enfants. Ce sujet touche l’égalité des chances. Si les enfants assimilent et enregistrent petit à petit des comportements stéréotypés, des caractéristiques vont leur être associées en fonction de leur genre et cela peut être très mal vécu ensuite quand elles/ils vont grandir.  Les comportements que nous assimilons peuvent avoir un impact par la suite quand l’enfant se rend compte que ce qu’elle/il ressent ne correspond pas à ce qui est attendu d’elle/de lui.

En 2019, la démarche s’est renforcée et de nouveaux établissements sont entrés dans le dispositif. Les formations et la sensibilisation des professionnelles se sont développés. Nous avons commencé à travailler sur la façon de communiquer en direction des parents et à réfléchir à l’implication des pères. Nous avons lancé un questionnaire en 2019 pour évaluer les premières démarches. La relation et la communication avec les parents était relevée comme un élément qui n’était pas toujours évident. Les parents, en fonction de leur propre histoire familiale, culturelle, de leur éducation avaient des craintes sur l’impact que cela pouvait avoir sur l’orientation sexuelle future par exemple… Ce sont des représentations qui sont très lourdement ancrées et qui sont difficiles à modifier. L’ambition, c’est que les parents puissent poursuivre dans leur quotidien ce travail sur ce chemin de l’égalité. Les professionnelles racontent des épisodes où des parents réagissent mal à ce dispositif. Par exemple une maman aurait réagi très mal en voyant qu’on avait changé son petit garçon qui s’était sali avec un pantalon avec des fleurs de la crèche. Elle disait qu’un garçon ne pouvait pas mettre ce genre de pantalon et avait préféré remettre le vêtement sale à son enfant.

Il y a beaucoup de mairies d’arrondissement qui proposent des ateliers, des conférences pour les parents sur cette question de la lutte contre les préjugés et les stéréotypes de genre.  C’est un cheminement qui se fait sur le long terme et qui nécessite de faire de la pédagogie. 

Sur la question de la place des pères, nous travaillons actuellement avec un doctorant, qui fait une thèse sur la présence et l’implication des pères dans les espaces d’accueil du jeune enfant. Nous avons ouvert les crèches le samedi matin en présence d’associations pour faire des activités en famille. Dans le premier bilan, nous avons remarqué une présence accrue des pères. Cet étudiant travaille aussi sur la communication en direction des pères. Dans les représentations, dans les affichages, à chaque fois que la relation parents-enfant ou parents-bébé est représentée on voit souvent des femmes. Le service des ressources humaines travaille beaucoup sur l’égalité et l’équité entre les hommes et les femmes par le biais des communications et dans nos campagnes de recrutement. Nous regrettons d’avoir peu d’hommes dans les crèches, nous y travaillons et cela s’améliore un petit peu…La société bouge, mais doucement. 

Véronique Pachevie : Beaucoup de parents sont très sensibilisé·es. Une maman m’a récemment dit qu’elle pratiquait une éducation non genrée et me demandait ce qu’il en était dans la crèche. Elle était très sensible aux émotions de ses petits garçons et voulait s’assurer qu’on les consolerait s’ils pleuraient et qu’on reconnaîtrait leur douleur. Une autre maman choisit des couleurs très neutres pour sa petite fille pour ne pas faire d’emblée d’engagement sur le futur. Depuis quelques années dans la crèche, nous ne voyons plus énormément de bodys “je suis le roi du monde” ou “je suis la plus jolie”. On aurait même l’impression qu’il y a quelque chose qui se crée chez les parents. Lorsqu’on voyait un de ces bodys on disait gentiment aux parents “Tiens qu’est-ce que vous lui faites peser sur les épaules, sauveur du monde quand même il n’a que 4 mois” ou “la plus jolie, d’accord mais elle n’est peut être pas que jolie.” Les parents sont assez ouverts sur ces questions là et après nous savons qu’ils vont y réfléchir. Ce n’est pas un sujet facile à aborder, il faut passer par des situations concrètes et des formulations de phrases particulières…  

Céline Hervieu : Le marketing genré influence dès la naissance. Quand nous échangeons avec des parents nous remarquons que plus de la moitié des parents sont extrêmement soucieux de savoir quel va être le sexe de l’enfant parce que cela va déterminer beaucoup de choses dans leur imaginaire. Par exemple, ce que va devenir l’enfant, comment il va être, comment vont être ses réactions ou sa personnalité… Nous sommes tou·tes pris·es dans ces visions très difficiles à déconstruire. C’est pour ça que c’est très important de commencer dès la petite enfance à travailler sur ces questions.

 Les enfants le vivent d’une manière indirecte, elles/ils ne se rendent pas compte dans l’immédiat des bénéfices mais le perçoivent, selon nous, dans l’après coup. Cela impacte la confiance en soi, l’estime de soi… Les enfants voient bien que quel que soit leur genre, elles/ils sont traité·es de la même manière, que nous n’attendons pas de comportements spécifiques de leur part. Un enfant se rend compte quand on lui interdit d’utiliser tel ou tel déguisement. Il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit mais plutôt de laisser de la liberté à l’enfant. C’est très important pour son développement à venir et la société d’une manière générale aussi. 

Aujourd’hui, entre 20 et 30 crèches sur à peu près 400 crèches municipales à Paris sont concernées. Cela ne veut pas dire que la sensibilisation et la formation des professionnelles ne se fait pas dans les autres établissements. En 2022,  l’objectif de la Direction des Familles et de la Petite Enfance (DFPE) c’est que l’ensemble des professionnelles qui interviennent au sein des crèches soient formé·es sur les questions d’égalité filles/garçons. Les crèches pilotes, quant à elles, développent l’ensemble de leur projet pédagogique autour de cette question. Chaque établissement a ses propres projets pédagogiques en raison de la sensibilité des professionnelles et de la direction. 

Dans cette mandature, nous voulons construire un réseau de référent·es métiers dans l’idée d’accompagner l’évolution des pratiques et de pouvoir avoir une philosophie de l’essaimage. Les crèches pilotes ont des équipes qui sont très sensibilisées sur le sujet, qui ont des exemples concrets et des cas pratiques à faire valoir. L’idée c’est qu’il puisse y avoir des référent·es sur cette question de l’égalité qui aillent à la rencontre des équipes dans l’ensemble des établissements pour former, créer des groupes de paroles… Les professionnelles sont très engagées et c’est ce qui permet de concrétiser dans le quotidien cette action. L’idée c’est de pouvoir en parler de plus en plus, de sensibiliser même au-delà de Paris. Nous sommes ravies d’en parler avec d’autres collectivités pour que cela puisse évoluer structurellement. 

Propos recueillis par Camille Goasduff et Caroline Flepp 50-50 Magazine

Photo de Une à gauche Céline Hervieu et à droite Véronique Pachevie

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