Articles récents \ France \ Société Merci aux journalistes du Monde pour le dossier Féminicides mais…

Merci aux journalistes du Monde d’avoir mis en lumière la mécanique des féminicides. Cependant l’éclairage est encore centré sur « la victime » et sa descente aux enfers. Les raisons profondes des comportements de barbarie masculine ne sont pas suffisamment investiguées. Pas une seule fois, le mot éducation n’est évoqué, pourtant cause et remède de ce fléau.

Merci de ne plus appeler ces assassinats « crimes passionnels » mais de les considérer comme des meurtres calculés de sang-froid. Merci d’expliquer au grand public le phénomène de l’emprise qui empêche les femmes maltraitées de fuir. Merci de souligner l’inefficacité des forces de l’ordre qui ignorent la gravité des faits et continuent d’agir trop tard. Merci d’avoir donné la parole à la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie, qui explique les liens entre violences masculines et héritage du patriarcat. Mais ce n’est pas assez : quelle est l’origine du mal ?

Les récits détaillés des cas de féminicides étudiés dans le dossier du Monde mettent à jour la mécanique implacable de l’emprise, le désarroi des proches, leur impression d’impuissance, l’impossibilité de forcer la personne victime à porter plainte, le regret, le remord, quand la victime meurt.

Le mode opératoire du tueur est bien explicité : le scénario est quasiment toujours le même dans cette entreprise de destruction programmée. Il y a la dévalorisation, l’isolement de la femme, les interdictions multiples de voir son entourage, famille, ami·es, la privation progressive de son autonomie, puis les coups si la femme outrepasse « les droits » que lui « accorde » son mari devenu geôlier violent. Le bourreau, lui, justifie ses actes par une jalousie maladive, une peur de l’abandon, un mal-être, un « amour » possessif. Après chaque mauvais « coup », il se repend. Le passage à l’acte fatal vient toujours quand la victime annonce qu’elle veut la séparation.

Faillite de la justice à protéger ses citoyennes

Le dossier révèle que la justice ne fait pas son travail convenablement et pas à temps quand elle le fait. Pourtant dans l’immense majorité des cas, les victimes avaient porté plainte contre les mauvais traitements et signalé les menaces de mort.

Dans n’importe quelle autre circonstance de la vie civile, une personne qui priverait de liberté un autre individu, son employé·e par exemple, de la liberté d’aller et venir, de téléphoner, de fréquenter ses ami·es, de porter les vêtements de son choix, de sortir où il l’entend après son travail serait immédiatement accusée et condamnée d’abus de pouvoir. Si cette personne était violente, elle serait arrêtée.

Il n’y a que dans le cadre du mariage que ces faits ne sont pas considérés comme des délits, mais relevant de la conjugalité. La justice, en ne les prenant pas en compte, est complice. Ceci conforte le futur assassin dans « son droit » puisque tant qu’il n’y a pas de blessures graves invalidantes ou meurtre, il n’est pas puni.

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les choses ont à peine changé depuis 20 ans. En 2002, Luc Frémiot, procureur, a convaincu le premier ministre de l’époque Jean-Pierre Raffarin de déclarer les violences faites aux femmes « grande cause nationale ». En 2014, il a aidé la ministre des Droits des Femmes, Najat Vallaud Belkacem, dans son plan triennal contre les violences faites aux femmes. En 2017 Emmanuel Macron, président de la République décréte que « la lutte contre les violences faites aux femmes » est la priorité du quinquennat. En même temps il supprime le ministère des Droits des Femmes, le remplaçant par un Secrétariat.

Une seule amélioration notoire à la prise en charge des violences masculines aujourd’hui, c’est l‘éviction du conjoint violent porté toujours par Luc Frémiot, quand il y a eu violences constatées, et la déchéance de l’autorité parentale. Des associations féministes avaient œuvré dans ce sens depuis longtemps. Elles continuent, jour après jour, de se mobiliser, d’être sur le terrain auprès des femmes victimes.

En 2019, le nombre de féminicides a augmenté.

Ce sont les représentations des relations femmes/hommes qu’il faut changer à travers l’éducation en priorité.

Le dossier du Monde souligne bien que les féminicides sont « des crimes de propriétaires. » Quand la femme décide de se séparer de son conjoint violent, elle est en danger de mort. Comment au XXI ème siècle, des hommes peuvent-ils encore se croire propriétaires de leur femme ? Le dossier parle de la nécessité de la formation des juges, des magistrates, et des gendarmes à l’égalité femmes/hommes et aux problèmes de violences masculines.

Pourquoi ces formations sont-elles absolument impératives ? Pourquoi des hommes ne croient pas les femmes quand elles viennent faire leur déposition ? Pourquoi 30 % des plaintes ne sont pas transmises au procureur·e et sont classées sans suite ? C’est tout simplement parce que la parole des femmes n’est pas encore considérée comme légitime, et que l’école n’apprend pas aux garçons à respecter les filles et à les considérer comme des égales.

Seule une éducation non sexiste dès la petite enfance permettrait un changement de paradigme

C’est ce type d’éducation qu’avait essayé de mettre en place Najat Vallaud-Belkacem en 2014 avec les ABCD de l’égalité qui avaient pour ambition de changer les représentations stéréotypées et hiérarchiques entre filles et garçons. L’idée était de ne plus enfermer filles et garçons dans des rôles prédéfinis empêchant particulièrement les filles d’aspirer à être ingénieures, développeuses informatiques, scientifiques ou cheffes d’entreprises et les garçons à investir les métiers dits féminins comme le soin aux enfants, aux personnes âgées et à revaloriser ces professions.

Ce projet qui aurait été un vecteur profond de changement durable a été totalement déformé et interprété par une frange réactionnaire de la population qui a prétendu qu’il allait abolir la différence des sexes. Des intégristes ont raconté qu’on enseignerait la masturbation à l’école et autres mensonges éhontés. Le gouvernement socialiste a cédé lamentablement aux pressions des réactionnaires de tous bords, et abandonné le projet.

Le résultat de l’éducation stéréotypée toujours empreinte de clichés et de préjugés bien vivaces sur ce qu’une fille et un garçon doivent être et aimer est navrant. Les constats sont unanimes : les filles se cantonnent à seulement 16 % des familles de profession même si elles obtiennent de bons résultats à l’école, et choisissent principalement des métiers de service et de soins à la personne traditionnellement connotés féminins Elles se retrouvent de ce fait économiquement faibles et/ou dépendantes. Les enseignant·es eux-mêmes sont porteuses/porteurs inconscient·es de biais genrés souligne un rapport du HCE (1).

Lorsque les filles surmontent les préjugés et s’aventurent dans des métiers traditionnellement masculins, elles sont parfois mal acceptées et parfois carrément harcelées, le monde des geeks en est un triste exemple.

D’autre part, l’éducation sexuelle qui devrait être dispensée trois fois par an ne l’est pas, ou au mieux une fois par an. Le respect mutuel des sexes devrait alors y être enseigné. Au lieu de cela, seuls les risques de grossesse et de MST sont évoqués. Les jeunes se précipitent alors sur la pornographie qui devient « le modèle » de sexualité et mène inévitablement à la dévalorisation brutale des filles. Le cyber-harcèlement et le revengeporn qui fleurissent actuellement sur les réseaux sont le résultat de la faillite de l’éducation sexuelle scolaire et contribuent à alimenter les violences faites aux femmes.

L’école continue de véhiculer les modèles périmés d’une culture patriarcale encore omniprésente. Le racisme a été expurgé des manuels scolaires très rapidement alors que le sexisme perdure. L’Histoire s’apprend encore à travers les grands hommes alors que les femmes ont participé à toutes les révolutions. Les textes d’autrices pourtant très nombreuses, sont extrêmement rares au programme de français. On parle à peine des femmes scientifiques, à part Marie Curie. Les filles sont donc en déficit de modèles positifs.

La culture et l’héritage patriarcal inexpliqués mènent les hommes à penser qu’ils « permettent » à leur femme de travailler à la condition qu’elles continuent de s’occuper d’eux, de la maison et des enfants ! C’est une équation intenable au XXIème siècle et c’est elle qui crée l’inégalité, génère le conflit dans le couple et provoque le continuum des violences.

Comme Poulain de la Barre en son temps, nous savons que les inégalités entre femmes et hommes n’ont pas de fondement naturel, mais procèdent de préjugés culturels. La clé de la lutte contre les inégalités persistantes entre les sexes est donc bien l’éducation, afin que la raison l’emporte sur les croyances. A ce titre, l’école a un rôle essentiel à jouer.

Il nous faut d’urgence une action politique volontariste pour l’éducation non-sexiste obligatoire, depuis la crèche jusqu’à l’université. Depuis des décennies, les associations féministes œuvrent dans ce sens et ont des programmes déjà établis. Plusieurs d’entre elles interviennent ponctuellement dans les écoles et font bouger les lignes. Mais il faudrait généraliser ces pratiques et amender toute l’éducation de façon transversale. Y a t-il des femmes et des hommes politiques dans l’hexagone pour soutenir ces actions ? L’appel à candidatures est lancé. A quand un programme féministe ?

Roselyne Segalen 50-50 magazine

1 Rapport « Formation à l’égalité filles-garçons : faire des personnels enseignants et d’éducation les moteurs de l’apprentissage et de l’expérience de l’égalité »

Dossier du journal Le Monde : féminicides repris par le documentaire de Lauraine de Foucher diffusé sur France 2 le 02/06/2020 encore visible en replay.

Lire plus :  L’égalité filles/garçons ça commence à la crèche

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