Articles récents \ Culture \ Cinéma Anne Azoulay : « Le regard sur nous, les comédiennes, doit changer et nous devons reconnaître notre capacité créatrice énorme ! »

Actrice, réalisatrice, scénariste, Anne Azoulay démarre très jeune sa carrière au théâtre, au cinéma et à la télévision. Après avoir joué au théâtre King Kong Théorie de Virginie Despentes, elle a également incarné Diane Arbus, grande photographe américaine dans l’Amérique des années 60. En ce moment, Anne Azoulay prépare une pièce adaptée du livre de Constance Debré Love me tender, mis en scène par Vanessa Larré. C’est l’histoire d’une avocate, mariée, avec un enfant. Le couple se sépare. La femme part vivre une histoire d’amour avec une autre femme. Son ex-mari lui retire la garde de son enfant à cause de sa nouvelle vie de lesbienne et d’autrice. De quoi encore une fois se poser des questions sur les schémas hétéronormés de notre société. Anne Azoulay est membre du collectif 50/50, association qui promeut l’égalité femmes/hommes dans le cinéma et l’audiovisuel, et dénonce la sous-représentation des femmes dans les films.

Diriez-vous que les débuts étaient faciles ? Est-ce que le fait d’être une femme vous a porté ?

J’ai d’abord bifurqué vers l’interprétation par manque de confiance en moi alors que mon désir premier était de mettre en scène et que j’étais convaincue que j’avais des choses à dire. Je me suis laissé porter par le plaisir de jouer, j’ai certainement manqué d’audaces pour mes débuts.

Alors que je n’ai pas été éduquée dans une famille dans laquelle j’avais moins de place que les garçons, j’ai longtemps pensé que la place des hommes était tout à fait naturelle. Je ne sais pas si je l’analysais pour autant.

Malgré tout, je ne me laissais jamais faire. Je n’étais pas une comédienne à qui on pouvait dire n’importe quoi. Il y a 20 ans le contexte était quand même assez spécial, les directeurs de casting étaient parfois très limites et demandaient des choses que je refusais systématiquement. Par exemple, quand ils me demandaient de me retourner pour me filmer de dos, je leur disais : « donc voilà mon cul ». C’était très mal pris. Il y avait une ambiance très sexiste sur les tournages, et à la télévision encore plus.

Un jour, je suis allée chez un réalisateur pour faire une lecture et il m’a demandé de poser mon manteau dans sa chambre en ajoutant : « comme ça, tu connaîtras le chemin ». C’est extraordinaire parce que sur le moment on n’y croit pas. J’ai posé mon manteau dans le salon. Mon éducation sans doute. Mon père, pédiatre, nous a appris que notre corps est le nôtre et que personne ne doit y toucher. Cela m’a construite. Même si aujourd’hui je me dis que j’aurais dû expliquer deux trois trucs à ce réalisateur, ou partir.

Quand on est comédiennes et qu’on joue le jeu du désir des autres, on prête notre corps et notre voix à des personnages ; on se montre de façon très fabriquée et très intime à la fois. Le métier est merveilleux parce qu’il y a les deux, mais c’est aussi dans ces moments-là qu’il est facile d’abuser de confiance.

Après mes débuts, très vite, j’ai écrit un court métrage pour le cinéma et puis une réalisatrice m’a demandé de l’aider sur un scénario, de le relire, d’autres ont suivi. Un jour, un réalisateur m’a dit :  » toi tu devrais écrire.  » Et je me suis lancée, nous avons co-écrit un film, très beau, très noir Léa que j’interprète aussi.

Vous faites partie du collectif 50/50. Trouvez-vous que cette association a permis de faire progresser l’égalité dans le cinéma depuis sa création en 2018 ?

C’est important de suivre le travail du collectif qui est d’une nécessité absolue et d’être adhérente parce que s’il n’y a pas de réflexions organisées pour créer une puissance collective et médiative, les choses n’avanceront pas. Oui il faut de l’égalité !

En tant que comédienne, je n’ai pas vécu personnellement les inégalités de salaire. J’ai interprété des premiers rôles mais dans des films dont les montages financiers n’étaient pas dictés par de grosses puissances économiques. Tout le monde était rémunéré selon son travail, et non selon sa notoriété, qu’elle soit genrée ou pas.

Par contre, les réalisatrices, même si elles prennent de plus en plus de poids, restent minoritaires et n’ont pas les mêmes moyens pour réaliser. Elles ont des budgets très serrés alors que leur projet est ambitieux et que le même projet par un réalisateur est mieux financé. C’est encore un combat à tous les postes ! Mais à qui appartiennent les chaînes ou les sociétés de production, qui les dirigent, tout cela doit laisser la place au regard qui n’est pas que masculin.

Et pourtant, les films de femmes sont aussi des films puissants. Céline Sciamma, avec Portrait de la jeune fille en feu, est un film intime et puissant. Je pense aussi à Valérie Donzelli, Valéria Bruni-Tedeschi, Catherine Corsini, Jane Campion, Pascale Ferran et plein d’autres.

50/50 porte quelque chose d’indispensable parce qu’il permet d’acter la réflexion.

Les personnages femmes de plus de 50 ans ne représentent que 9% de l’ensemble des personnages au cinéma. Vous aurez dans quelques années 50 ans, ce tunnel de la cinquantaine vous fait-il peur ?

Je ne peux pas ne pas faire avec ces chiffres parce que c’est un fait et en même temps les choses changent. Je ne me suis jamais identifiée avec les femmes de mon âge. A 50 ans on imagine que c’est la fin de tout. Je trouve insupportable que l’on parle de la ménagère de plus de 50 ans. C’est tellement ancré dans l’inconscient collectif que je me pose la question : comment écrire pour la femme de plus de 50 ans ? Comment oublier qu’elle a plus de 50 ans ? Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas jouer avec son corps de plus 50 ans, ou ne pas jouer avec son âge.

C’est à nous de reprendre le récit de ces femmes pour ne pas rester jeune absolument. La caméra est terrifiante pour nous les femmes mais pas pour les hommes. On attend que la femme reste un objet de désir. Il n’y a qu’un pas entre la femme désirable, érotisée et la mère, la grand -mère.

Pour nous comédiennes, notre plaisir est d’incarner des personnages quel que soit l’âge, de prêter notre corps même s’il n’a plus 20 ans. On ne peut pas tout jouer mais c’est à nous de se rendre sujet des choses, on ne perd pas de la puissance à 50 ans !

Je suis très étonnée de voir ce que j’étais à 20 ans, même si je ne me suis jamais définie ni au travers de ma jeunesse, ni en fonction d’une beauté. Je préfère que l’on parle d’un travail d’interprétation qui me différencie des autres que de me mettre dans un sac fourre-tout non identifiable.

Au théâtre, c’est totalement différent. Les comédiennes de théâtre sont très protégées.

Au cinéma, il faut habituer le spectateur à voir des femmes qui n’ont pas que 20 ou 30 ans. Ce n’est pas l’image de notre monde. Quel que soit notre âge, on reste des héroïnes à tous les âges et c’est ce que l’on doit défendre, de façon féroce.

L’acteur français est plus tranquille, une femme est vite cataloguée, l’actrice un peu grosse est rigolote. C’est une lecture débile alors que la seule puissance que l’on perd avec l’âge c’est le fait de ne plus pouvoir avoir des enfants. Mais est-ce que l’on perd de la puissance parce que l’on ne peut plus avoir d’enfant, je ne crois pas !

Les hommes aussi ont leur corps qui se transforme mais on ne les juge pas. Chez eux c’est normal. Les hommes qui prennent de l’âge ne sont pas jugés sur leur âge, les femmes oui ! Cette prise de conscience doit être prise par les hommes et par les femmes.

Au cinéma, il y a beaucoup d’érotisme et de désir ! Je n’ai pas d’angoisse mais une appréhension « active » pour ne pas être définie par mon âge. Je viens d’ailleurs d’incarner une femme de mon âge qui est possédée par une jeune femme de 17 ans. Il y a une scène d’amour avec un jeune comédien de 18 ans ! Tout est possible. 

Le regard sur nous les comédiennes doit changer et nous devons reconnaître notre capacité créatrice énorme !

C’est vrai que c’est dur car on ne met jamais les hommes en concurrence avec leur jeunesse. Nous les femmes on peut entendre : « elle a pris cher » expression tellement violente. Nous n’avons jamais ce regard de bourreau sur les hommes. C’est toujours très insidieux. Par exemple cette phrase : « je ne la désire plus » Est-ce que les hommes se posent la question de savoir si nous on les désire encore ? C’est typiquement un rapport de pouvoir et de domination.

Et si on devait conclure sur l’égalité femmes/hommes ?

Ce serait bien que ce soit enfin une égalité au niveau de la pensée, je deviens impatiente ! Impatiente devant la prise en charge d’une réflexion masculine de son rapport à la violence, de son rapport à la domination et au partage.

Je suis impatiente de voir une pensée collectivement masculine et que cela devienne naturelle, que j’arrête d’entendre de la part des hommes : je n’ai pas eu le job parce qu’il faut des quotas et une réalisatrice femme ! Cette révolution est toujours aussi mal vécue par les hommes. Ils ont tellement eu l’habitude d’avoir tout naturellement.

Mais 50/50 ça doit devenir banal !

Virginie Petit 50-50 Magazine

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