Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Monique Dental : « sur la question des retraites, du climat ou autres … nous adoptons l’approche féministe  » 1/2

Monique Dental est issue d’une famille ouvrière et très engagée. Elle commence à travailler à 15 ans. Militante féministe depuis son plus jeune âge, elle est présidente et fondatrice du Réseau Féministe « Ruptures ». Cette association se donne pour objectif de substituer à la société patriarcale une société fondée sur une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les domaines économique, social, politique et culturel. Monique Dental est co-autrice du livre De Mai 68 au Mouvement de Libération des Femmes (MLF).

Historiquement, le Réseau Féministe « Ruptures » date de la fin des années 1980. Il s’inscrit dans la continuité du Collectif de Pratiques et de Réflexions Féministes « Ruptures » dont j’ai été à l’initiative en 1974, dans la période du Mouvement de Libération des Femmes (MLF). C’était une association non mixte, comme la plupart des associations féministes de l’époque. Le Réseau Féministe « Ruptures » lui, est mixte. (1)

Il a été constitué à la faveur des luttes féministes pour la parité en politique dans lequel j’ai été très engagée, j’ai animé le premier Réseau Femmes pour la Parité, puis celui de Femmes et hommes pour la parité. J’avais fait, au préalable, une expérience de parité femmes-hommes ou hommes-femmes en politique dans le mouvement Arc-en-Ciel en 1986, j’étais donc convaincue de la pertinence de ce combat. (2) Nous étions en contact avec des hommes qui ont demandé à travailler avec notre association. Certains d’entre eux étaient déjà des militants avec lesquels en nous avions lutté en 1980 pour la reconnaissance du viol comme crime.

Le Collectif étant non mixte, et nous voulions maintenir cette structure, pour travailler dans la mixité à l’égalité femmes-hommes, nous avons constitué une autre structure qui a pris le nom de Réseau Féministe « Ruptures » pour maintenir l’idée de filiation avec le Collectif. Le Réseau agit donc dans la mixité avec des hommes, mais aussi des associations généralistes auprès desquelles nous interrogeons toutes questions d’actualité et de société à partir d’un positionnement féministe.

Par exemple, sur la question des retraites, du climat ou autres, pour expliciter les questions traitées, nous adoptons l’approche féministe des problèmes en « chaussant les lunettes du genre » comme on le disait à une époque. Pour nous, cette approche est pertinente par ce qu’elle permet véritablement d’appréhender ce que pourrait être un véritable changement social ; nous sommes convaincu·es que sans ce regard et sans cette approche des droits des femmes, il ne peut y avoir de changement social. Les luttes féministes ne sont pas seulement une lutte pour les droits des femmes, le féminisme est une approche du monde qui « change la vie entière ». C’est notre position depuis très longtemps et nous y tenons. (3)

Nous pouvons l’illustrer actuellement dans les luttes contre la réforme des retraites par exemple.

Les positions prises par les syndicats, les partis politiques reprennent l’idée que les conséquences de cette réforme affectent les femmes de façon différenciée par rapport aux hommes du fait des inégalités de salaire, du travail à temps partiel qu’elles occupent prioritairement, des interruptions d’activité salariée qu’elles connaissent pour élever un enfant etc… toutes ces inégalités se répercutant sur le mode de calcul. Ce qu’il faut souligner, c’est que ces prises de position sont le résultat de discussions avec les commissions syndicales femmes et avec les directions syndicales depuis au moins 1988 ! Cela a été long en effet pour qu’ils intègrent cette analyse. Au début, ils étaient loin de penser que les femmes perçoivent seulement 40 % de moins que les retraites des hommes. Il leur a fallu changer de focale pour le comprendre et adopter une autre approche, celle de l’intégration de la notion d’égalité femmes/hommes pour aboutir à un raisonnement différent, donc à des solutions nouvelles possibles. Ce sont les liens entre le mouvement féministe et des commissions syndicales femmes qui ont rendu possibles ces positionnements aujourd’hui. Ce travail a commencé à la suite des luttes pour l’IVG, C’est un des résultats de la ramification en profondeur des luttes féministes dans le tissu social de l’époque.

En outre, il a existé dans les années 1970 une lutte importante, qui a révélé également cette jonction, c’est la lutte des travailleuses et des travailleurs et de la commission femmes de LIP (fabrique de montres). A un moment donné de leur lutte pour empêcher que l’usine ferme et que leur seul horizon soit le chômage, les Lip se sont mis à autogérer leur production en en assurant la vente directe. Cette année, un comité va commémorer les 50 ans de Lip. Notre association qui en fait partie a décidé d’organiser une réunion-projection-débat : LIP au féminin. Nous espérons avoir la participation de personnes qui ont vécu cette expérience très intéressante que vous pouvez retrouver en attendant dans le livre de Monique Piton LIP au féminin, ainsi que dans les témoignages de Fatima Demougeot. Si au moins l’une d’entre elles est présente, ce sera une initiative passionnante. D’autres évènements se tiendront les 17 et 18 juin à Paris et en septembre à Besançon pour cerner les contours de cette lutte emblématique d’une époque, l’autogestion, dans un esprit de mémoire et de transmission auprès des plus jeunes, quel écho produit-elle dans la période. Je me sens concernée par cette lutte car j’ai mené une expérience d’autogestion, très embryonnaire certes, entre personnels administratifs, étudiant·es à la faculté expérimentale de Vincennes dans la même période,

Notre association inscrit cette action dans l’axe Mémoire et Transmission des droits des femmes et du féminisme. À chaque commémoration importante de l’histoire du féministe ou de luttes féministes internationales, nous organisons un évènement pour faire acte de mémoire et de transmission. C’est une démarche qui nous semble intéressante parce qu’elle permet de revisiter ces situations passées à l’aune des expériences présentes ; cela s’avère toujours très riche de découvertes inattendues ainsi que d’évidence d’idées reçues acquises.

Outre, notre participation au Collectif IVG les femmes décident pour la constitutionnalisation de l’IVG, un autre de nos champs d’action est celui de la lutte contre les féminicides, (comme les viols en temps de guerre) et contre les violences à l’encontre des femmes depuis plus longtemps. Dans ce domaine, nous travaillons tout particulièrement sur la lutte contre le système prostitutionnel, contre la pornographie, contre la gestation pour autrui (GPA). Pourquoi ? Parce que tant que le corps des femmes est objet de marchandisation, il ne peut y avoir d’émancipation réelle des femmes. La liberté des femmes ne peut pas passer par la monétarisation de leur corps et de leur intimité. La liberté des femmes est, pour notre association, un acquis essentiel du MLF des années 70, il a permis de dissocier la sexualité des femmes de la reproduction. L’interprétation de la liberté pour justifier l’acte de se prostituer repris assez fréquemment par les médias qui touchent les plus jeunes est un leurre et une manipulation qui a pour effet d’accentuer leur soumission et leur aliénation. C’est pourquoi nous avons agi, depuis 2012, avec le Comité Abolition (du système prostitutionnel) et avons obtenu une loi de pénalisation du client. Actuellement, nous avons rejoint le collectif de lutte contre la pornographie.

En outre, sur le plan national, nous poursuivons notre participation aux luttes pour la parité et pas seulement en politique mais dans tous les domaines de la vie sociale, économique et culturelle, ainsi que pour les droits des femmes migrantes, exilées et réfugiées, en demandant un statut autonome et le retrait de la mention des codes de statut personnel des pays d’origine dans les conventions bilatérales.

Au niveau européen, notre association est engagée avec la Coordination Française pour le Lobby Européen des Femmes, membre du Lobby Européen des Femmes, qui agit pour obtenir davantage de droit pour les femmes en Europe puisque de nos jours, plusieurs pays européens n’accordent pas aux femmes le droit à l’IVG, même en cas de viol. Nous sommes favorables à la reconnaissance de la clause de l’européenne la plus favorisée, comme le préconise l’association Choisir, seule possibilité à l’heure actuelle pour que les femmes puissent bénéficier de l’IVG dans les pays qui le leur refuse. Il ne faut pas oublier la demande d’extension de la Convention d’Istanbul aux pays qui ne l’ont pas encore ratifiée parce qu’elle donne de nouveaux droits aux femmes en Europe qui luttent contre les violences qu’elles subissent.

Au niveau international, nous sommes très engagée également dans le suivi de la 4ème conférence mondiale sur les Droits des Femmes qui s’est tenue à Pékin en 1995 et du Forum Génération Egalité de l’an dernier. Il en est de même pour les conférences mondiales sur d’autres thèmes depuis le Sommet de la Terre (Rio de Janeiro en 1992), comme les conférences mondiales sur le développement durable, le climat et la préparation des Objectifs du Développement Durable à l’horizon 2030. Dans ce domaine, nous avons travaillé en partenariat avec lAssociation Adéquations au plaidoyer féministe de la conférence climat (COP 21).

Sur le plan national comme international, un axe très fort de notre travail, est la lutte contre tous les intégrismes religieux qui entérinent l’infériorisation des femmes, si ce n’est la négation de leur existence (la situation des femmes en Afghanistan et en Iran). Les Etats, ONG et pouvoirs intégristes religieux sont à l’œuvre dans les conférences mondiales et développent des stratégies régressives et répressives contre les femmes. Ils ne cessent d’intervenir pour demander le retrait dans les textes officiels de la notion d’égalité pour la remplacer par les termes « équité » ou « complémentarité ». Fort heureusement, dans ce domaine, nous avons noué de longue date des alliances avec des femmes et des féministes des pays sous lois musulmanes, tissé des solidarités pour que demeure la notion d’égalité, parce que la seule mesure de l’égalité c’est la loi, tandis que l’équité présente un contenu est différent d’un pays à l’autre. (4)

Notre fonctionnement privilégie le travail en réseau, c’est une sorte d’autogestion pour nous. Tous les groupes qui font partie du Réseau Féministe Ruptures sont autonomes. Il n’y a pas de centre, ce qui nous relient c’est une charte commune de valeurs qui repose sur un féminisme universaliste, laïque, paritaire et antiraciste.

Nous avons voulu conserver ce qui fut une révélation dans l’organisation des militantes du MLF des années 1970, en horizontalité, avec des groupes très divers, aux positionnements pluriels, assumant des différences de courants, aux expressions multiples, mais toujours en gardant à l’esprit les combats communs dans les solidarités féministes (à l’époque la reconnaissance du droit à l’IVG). Je me rappelle être passée durant cette période d’un courant à un autre sans que cela fasse problème et soit l’objet de jugement. Cela ne voulait pas dire que nous désertions notre courant de prédilection, cela signifiait que nous voulions découvrir comment les autres pensaient. Dans ce « vagabondage » très formateur, j’ai appréhendé et « compris », parmi d’autres réflexion, les théories lesbiennes, l’écoféminisme de Françoise d’Eaubonne dans sa période d’émergence. En somme un brassage multiple de façons de travailler et de penser qui se trouvait aux antipodes du fonctionnement des partis politiques et des syndicats qui étaient organisé dans la verticalité, privilégiant le point de vue d’une direction au sommet repris par la base des militant·es. Mais en y réfléchissant, ce modèle du « pouvoir » patriarcal repose sur l’image du phallus ; mettre en cause la société patriarcale, c’est s’attaquer à son organisation phallique D’où la crise de la politique dans ses formes traditionnelles. Cette « verticalité », nous la rejetions, et, aujourd’hui, dans le Réseau Féministe « Ruptures », nous n’en voulons toujours pas. Nous voulons maintenir ces formes d’expression et d’organisation qui peuvent paraître obsolètes ou décalées pour des jeunes femmes et les jeunes hommes féministes, qui, dans la période actuelle, adhèrent plutôt à des formes plus classiques, probablement parce que leur première expérience d’organisation s’est produite dans les syndicats lycéens ou à l’université.

Pour préfigurer l’avenir, bien souvent c’est dans la connaissance du passé que se trouvent les solutions du présent. C’est pourquoi il est très important de garder à l’esprit qu’il existe différentes façons de s’organiser et de réaffirmer le caractère politique du féminisme, c’est-à-dire un de ses apports essentiels : le privé est une question politique. C’est ce que MeToo a réactivé dans la période.

Nos militant·es sont bénévoles, dans une période effrénée de financiarisation du monde associatif, c’est la garantie de notre indépendance. En ce qui me concerne, j’anime l’ensemble des activités en réseau, davantage pour diffuser l’information du travail de ces groupes et ses membres, où chacune et chacun est autonome. Nous nous enrichissons mutuellement des pratiques collectives sur tous nos champs d’action pour aller vers d’autres étapes où d’autres contradictions liées à la période seront à résoudre.

Témoignage recueilli par Emma Pappo 50-50 Magazine

1 Voir le livre « Ruptures » et féminisme en devenir, Ed. Alternatives, 1984.

2 Cahiers n° 2 « Parité, commission femmes hommes et patriarcat » Arc-En-Ciel, 1986.

3 Rapport des ONG « Voir le monde avec des yeux de Femmes » Conférence de Pékin, 1996

4 Pour plus de détails, se reporter à la parution « 20 ans de luttes féministes contre tous les intégrismes et pouvoirs religieux » du Réseau Féministe « Ruptures », 2008.

Monique Dental et Marie-Josée Salmon De Mai 68 au Mouvement de Libération des Femmes Ed . du Croquant 2022

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