Articles récents \ France \ Économie Doriane Agassis : « Certaines étudiantes … ont vécu de très mauvaises expériences qui vont des comportements sexistes graves au harcèlement sexuel voire agressions sexuelles » 1/2

 Selon un rapport de l’Observatoire de l’égalité femmes-hommes dans la culture publié en 2016, les femmes représentent 58% dans les études d’archéologie. Elles ne sont que 26% à en faire leur métier. Devenir archéologue est une profession exigeante, difficile d’accès et qui demande de la minutie, de la patience et de la force physique lors des fouilles en extérieur dans des conditions climatiques pas toujours simples.  Longtemps considéré comme un métier d’homme, les femmes ont encore du mal à s’y immiscer malgré leurs nombreuses compétences. Doriane Agassis est l’une d’entre elles. A 30 ans, la doctorante et enseignante-chercheuse, lauréate du prix Danièle Mouchot, compte bien s’imposer dans ce milieu fermé.

Comment êtes-vous tombée dans la marmite de l’histoire et de l’archéologie ?

Enfant, je voulais devenir astronaute puis j’ai appris qu’on devait suivre plus de 10 ans d’études après le BAC, alors je me suis dit que jamais je n’arriverais à faire ça… Au final, je prépare un doctorat, je suis entrée à l’université en 2011 et je devrais terminer en 2025 !

Par la suite, j’ai passé plus de 10 ans à vouloir être vétérinaire parce que j’adorais et j’adore toujours les animaux. Les opérations, les soins etc. me passionnaient. Mais, mon extrême sensibilité a fait que je craignais de ne pas supporter de les voir mourir et de ne pas être capable de les sauver.

J’ai toujours adoré l’histoire, j’étais passionnée par l’époque médiévale et la chevalerie depuis très jeune, je lisais des romans historiques depuis mes 7-8 ans. En 5ème, lors d’un cours sur Rome, sa République, son Empire etc. j’ai découvert la vie de Jules César et j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus à cet homme mais aussi à cette période. Au lycée, j’ai finalement abandonné l’idée de devenir vétérinaire et, sur les traces d’Indiana Jones, je me suis dirigée vers des études d’histoire. Ce sont ensuite mes années de licence d’histoire qui m’ont fait choisir définitivement l’époque romaine comme sujet d’étude.

Comment devient on archéologue ? La part des fouilles est-elle importante ?

Il y a plusieurs moyens d’intégrer le monde de l’archéologie comme il y a plusieurs postes et missions. On ne s’imagine d’ailleurs pas tout ce que recouvre « être archéologue » entre les nombreuses méthodes, disciplines, les spécialités techniques etc.

Mais, le plus classique reste de suivre une licence d’archéologie ou d’histoire et d’archéologie. Dès la sortie de ce diplôme on peut devenir technicien de fouille, c’est-à-dire qu’on fait partie d’une équipe de fouilleurs dirigée par au moins un responsable. On est en charge de gratter, épousseter, pelleter, piocher, prendre des mesures, faire des relevés, photographier, nettoyer, référencer les objets etc. Mais, il y a énormément d’autres fonctions associées à l’archéologie, notamment avec le développement des nouvelles technologies.

En fonction des périodes étudiées, il n’y aura pas la même part de fouilles dans l’étude. Des périodes dépourvues de textes, comme la Préhistoire, ne peuvent se reposer que sur l’archéologie avec les analyses des objets et des prélèvements pour pouvoir reconstituer une culture, un paysage etc. Pour l’Antiquité ou la période médiévale, on peut également se rattacher aux textes tout en faisant bien attention à l’auteur, à ses partis-pris, à ses fonctions etc. qui vont teinter ses récits et qui peuvent être à l’origine de contre-sens ou de fausses images/ légendes urbaines. Exemple de fausse information populaire : Néron rendu responsable du grand incendie de Rome en 64.

Etiez-vous nombreuses lors de vos études ?

Ma promotion et celles auxquelles j’ai pu enseigner sont à 80-90% composées de femmes, bien qu’au fil des années j’ai eu l’impression que la balance se rééquilibrait de plus en plus. C’est à l’image de ce que je remarque au sein du laboratoire où je suis rattachée : les doctorantes sont l’écrasante majorité bien que depuis 2-3 ans nous voyons davantage de garçons commencer un doctorat. Malheureusement, force est de constater que la tendance s’inverse au fur et à mesure que l’on monte les échelons dans le monde professionnel. Paradoxalement, les femmes sont très nombreuses à l’université mais se raréfient cruellement dans les postes. Les processus de recrutements qui favorisent les hommes sont en partie responsables, mais il y a aussi l’abandon de la part des femmes. En effet, certaines étudiantes abandonne après des premiers stages de fouilles, par exemple, où elles ont vécu de très mauvaises expériences qui vont des comportements sexistes graves au harcèlement sexuel voire agressions sexuelles.

Avez-vous ressenti des remarques misogynes lors de vos études ?

Malheureusement, ces comportements discriminatoires sont encore beaucoup présents, mais on espère qu’ils seront en voie d’extinction avec les nouvelles générations !

Nous avons eu, sur un chantier, un haut responsable en visite qui s’étonnait que les femmes piochent et qui estimait qu’elles devaient balayer tandis que c’était aux hommes de piocher/pelleter. Des remarques déplacées et des comportements abusifs sont toujours relevés avec des chercheurs ou des étudiants qui estiment qu’une femme n’a réussi que par le biais de faveurs sexuelles ; des chercheurs qui ne citent dans leurs recherches que des hommes bien que des femmes soient des spécialistes hautement reconnues sur leur sujet ; des fouilleurs qui refusent d’être placées sous l’autorité d’une femme responsable de chantier etc. Il y a d’ailleurs des chantiers de fouilles qui sont systématiquement refusés par les universités quand les étudiants font des demandes de stage car il est connu qu’il y a des comportements parfaitement inadaptés (pour rester sobre). C’est très bien que ces chantiers soient refusés pour protéger les étudiantes mais il est tout de même assez scandaleux qu’ils puissent être reconduits et financés (généralement par l’État) chaque année. Ils devraient être publiquement dénoncés, bloqués, et les auteurs condamnés et éloignés définitivement des chantiers. Il y a encore beaucoup trop d’abus qui sont couverts ou minimisés. On pourrait en parler des heures avec des milliers d’exemples malheureusement où les auteurs ne subissent aucune conséquence.

D’autre part, on a bizarrement tendance à se permettre plus facilement des remarques quand il s’agit d’une femme. Une amie très proche avec laquelle je faisais mes études et qui a un très joli accent du Sud s’est vu dire régulièrement, de la part d’un de nos professeurs de licence, qu’elle n’ira jamais loin dans la recherche avec un accent pareil. Le plus marquant est d’ailleurs que plusieurs garçons de la promotion avaient le même accent, pour certains bien plus marqué, mais eux n’ont eu droit à aucune remarque.

Le plus triste dans ces comportements n’est pas forcément qu’ils existent car cela a malheureusement toujours été le cas et je ne pense pas que l’on puisse l’éradiquer totalement un jour. Le plus triste est que cela soit dit et assumé de manière aussi décomplexée que la personne ne voit aucun problème à tenir ce genre de propos et ne subisse aucune conséquence derrière. Il y a vraiment une innocence et une impunité dans ces comportements qui est déroutante. Heureusement, l’évolution de la société et des mentalités fait que cela passe de moins en moins bien. Cela choque de plus en plus et c’est très souvent dénoncé. Mais, on peut déplorer que les sanctions qui arrivent derrière, quand elles arrivent, sont généralement très légères et surtout sont passées le plus possible sous silence pour ne pas faire de vague et ne pas causer de préjudice à l’auteur. On a le sentiment qu’on ménage souvent plus l’auteur que la victime.

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

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