Articles récents \ Monde Amina Izarouken : «L’objectif du Fonds pour les Femmes en Méditerranée est de renforcer et de rassembler le mouvement des femmes en Méditerranée »
Amina Izarouken est féministe, algérienne, installée à Paris il y a 10 mois pour travailler au Fonds pour les Femmes en Méditerranée (FFMed). Elle est co-directrice adjointe de cet organisme qui soutient de nombreuses associations dans tous les pays de la Méditerranée.
Comment avez vous connu le FFMed ?
Je l’ai connu en 2012 lors d’une formation féministe à l’intelligence collective que le FFMed à commencé à mettre en place en Algérie avec de jeunes féministes algériennes.
Quand je les ai rencontré, je ne connaissais pas du tout le FFMed qui avait été créé en 2008 à l’initiative de féministes un peu partout dans la Méditerranée Et donc elles ont commencé à chercher comment collecter le plus d’argent possible pour le redonner aux associations féministes. Elles se sont rendues compte à l’époque que la Méditerranée avait quelque chose de commun dans la culture, dans l’engagement. Il y a vraiment des choses communes dans les pays de la Méditerranée. Elle rassemble également le nord et le sud et ce que j’aime dans le Fonds, c’est aussi ces alliances et ces frontières qui n’existent pas en Méditerranée entre le sud et le nord.
Nous travaillons dans les 21 pays de la Méditerranée : Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte, Liban, Palestine, Italie, Espagne, France, Grèce, Croatie, Slovénie, Chypre etc.
Et donc avec cette formation collective, j’ai découvert cette culture féministe que je voulais mettre en place dans mon collectif féministe mais qui n’était pas forcément conceptualisée. J’étais engagée sur le terrain avec mes amies féministes. Il y avait beaucoup d’amitié entre nous, de sororité, de bienveillance, de solidarité. Et le FFMed est arrivé avec des concepts que j’ai découvert. Le féminisme est un engagement individuel, un engagement de toute ta personne, avec les militantes autour de nous. Et donc c’est non seulement un engagement politique mais c’est aussi un engagement personnel. On s’unit entre féministes avec cette sororité, cette bienveillance, cet engagement que nous avons en commun.
Et depuis je n’ai plus jamais quitté le Fonds, nous avons continué à collaborer. J’ai travaillé aussi dans une structure qui était une fondation politique allemande, la Fondation « Friedrich Ebert stiftung » et à travers laquelle j’ai pu reproduire cette formation féministe à l’intelligence collective. C’est une formation qui dure sur le temps, qui peut durer plusieurs mois. On accompagne et on forme de jeunes féministes sur la posture, sur l’engagement mais aussi sur le travail collectif, sur comment rassembler le mouvement des femmes. Nous les accompagnons même après la formation pour monter leurs propres groupes, collectifs, projets etc.… C’est comme ça que moi j’ai pu monter mon collectif, que j’ai pu mener des projets. Et parmi les projets, le FFMed m’a beaucoup aidée dans le rassemblement du mouvement algérien avec une approche intergénérationnelle. Nous avons beaucoup avancé avec le FFMed.
Quelles sont les thématiques sur lesquelles travaille le FFMed ?
Le FFMed met en place plusieurs outils destinés au mouvement des femmes dans la Méditerranée. Nous avons donc cette formation féministe à l’intelligence collective, nous avons aussi ce qu’on appelle les Rencontres de Réflexions Stratégiques. Ces rencontres ont pour but de rassembler le mouvement des femmes dans un pays ou une région pour créer un espace de dialogues, de discussions sur les priorités communes ou les actions à entreprendre. Nous créons ces espaces pour ces associations afin qu’elles réfléchissent ensemble et stratégiquement sur leurs priorités communes et les actions qu’elles peuvent mener ensemble. Ces Rencontres de Réflexions Stratégiques, nous en avons fait une par exemple en Croatie. il s’agit de créer cet espace et de continuer à le suivre. Donc nous refaisons une autre rencontre, un an ou deux ans plus tard pour voir où en sont les associations et les actions qu’elles mènent.
Nous facilitons les rencontres mais ce sont les associations qui produisent leurs propres priorités.
Il y en a eu une en mai dernier en Turquie qui a rassemblé le mouvement féministe turque. Et parfois dans un même pays, il y a même des associations qui se rencontrent et qui ne se connaissaient pas et qui commencent donc à travailler ensemble. Et nous avons rassemblé le mouvement féministe de toute la région MENA (Middle East & North Africa) avec quelques associations turques. Nous avons rassemblé la Tunisie, le Maroc, l’Algérie, le Liban, la Palestine, la Lybie… pour travailler ensemble sur une vision et une stratégie commune.
Nous faisons énormément de plaidoyer auprès de bailleurs de fonds institutionnels ou privés sur les financements féministes flexibles. Les financements sont très restrictifs. Les associations ne peuvent pas utiliser les fonds comme elles le souhaiteraient. Beaucoup de bailleurs imposent leurs lignes, leurs visions. Aujourd’hui, les associations de femmes n’ont pas beaucoup d’argent. Les financements flexibles leurs permettent d’utiliser ces fonds pour leur propre fonctionnement, afin de pouvoir avoir des salariées, payer leur loyer, les frais de fonctionnement etc. Cela a mené à de nombreux beaux projets avec notamment l’Agence Française de Développement (AFD) avec laquelle nous travaillons beaucoup et qui a réorienté ses financements. L’AFD a proposé le Fonds de Soutien pour les Organisations Féministes et c’est grâce à tout le travail de plaidoyer que font les associations et que fait le FFMed depuis longtemps que l’AFD à revu ses financements féministes. Nous travaillons également avec l’UE pour plaider la cause des fonds féministes et du mouvement des femmes.
Notre volet principal, c’est le financement flexible d’associations féministes. Nous soutenons les associations qui travaillent sur des thématiques vraiment très différentes. Ce sont des associations qui travaillent sur les plaidoyers, sur l’intersectionnalité, bien évidement sur les violences faites aux femmes, sur le féminisme, l’antiracisme
L objectif du FFMed est de renforcer et de rassembler le mouvement des femmes en Méditerranée.
Soutenez vous aussi des associations françaises ?
Bien évidemment. Nous essayons d’être équitables par rapport aux régions, mais comme nous sommes installées en France, de ce fait nous avons beaucoup de demandes de la part d’organisations ou de collectifs français. Nous soutenons des médias, des associations qui travaillent contre les violences contre les femmes, sur les thématiques de l’intersectionnalité, la lutte contre les violences contre les femmes, sur les droits LGBTQI++, auprès des femmes des quartiers…. Nous avons un réseau qu’on appelle le réseau des associations féministes des quartiers populaires. Africa 93 en fait partie par exemple ainsi que L’Association des Femmes de Franc-Moisins, Femmes Entraides et Actions, Djaama Djigui, Sunshine, voix de femmes, excision parlons-en, la maison des femmes de Paris et de Montreuil et bien d’autres…
Actuellement, ce réseau d’associations essaye de travailler sur des propositions dans le nouveau projet de lois cadre intégrale. C’est une proposition qui a émané il y a quelques années et reprise cette année par la Fondation des Femmes et d’autres actrices féministes. Cette proposition de projet de lois cadre intégrale prend en charge toutes les formes de violences sexistes contre les femmes. Le réseau travaille sur des propositions pour prendre en charge toutes les violences dont sont victimes les femmes migrantes et sans-papiers qui sont parfois les oubliées de toutes les lois.
Parlez nous de ce que vous faites en Palestine ?
En Palestine, nous avons des partenaires, c’est un moment extrêmement difficile pour elles depuis le 7 Octobre. Je pense particulièrement à une association qui a un centre d’écoute et d’hébergement pour les femmes victimes de violences qui a été détruit sous les bombardements. Et les femmes hébergées ont dû fuir pour sauver leur vie, nous essayons de rassembler de l’argent afin qu’elles continuent à aider les femmes et les enfants à se procurer de la nourriture. Et même cela est très difficile. Nous avons fait un appel à dons pour aider les associations palestiniennes sur place. Nous travaillons avec beaucoup d’associations à Gaza et ailleurs. Il y a énormément d’associations de femmes en Palestine. Les femmes palestiniennes sont très actives et très fortes. Leur force est incroyable. Nous travaillons aussi avec des femmes d’origine palestinienne qui sont en Israël.
Actuellement, nous essayons également de répondre du mieux que nous le pouvons aux urgences du Liban. Parce que nous avons énormément de partenaires sur place. Que ce soit à Beyrouth ou à la Bekaa dans le sud et qui ont transformé leurs actions en actions humanitaires. Quelques-unes avaient des centres d’hébergement pour femmes qu’elles ont transformé en centre d’hébergement pour les déplacées du sud , elles essaient de leur procurer des kits d’hygiènes, de la nourriture…
Etes vous allées en Palestine récemment ?
Non. C’est un peu risqué d’y aller mais nous sommes tout le temps en contact avec nos partenaires sur place, nous les suivons.
Nous avons réuni des associations libanaises quelques jours après les bombardements massifs, sur zoom. Et elles ont répondu à l’appel malgré l’urgence dans laquelle elles se trouvent et le danger. Et toutes demandaient de l’aide et de l’argent. Mais au-delà de l’aide financière et matérielle, vraiment le fait de leur offrir cet espace, de montrer cette solidarité, de leur parler et d’être à leurs cotés, qu’elles ne se sentent pas abandonnées par le monde, je pense que cela leur suffit amplement. J’en parle avec beaucoup d’émotions, car c’est cette réelle solidarité, sororité entre les femmes que nous pouvons aussi s’apporter. Et cela vaut pour moi tout l’or du monde. Sans forcément oublier bien évidemment qu’elles ont besoin d’argent pour pouvoir répondre à toute l’urgence. Donc actuellement, on continue à répondre à ces demandes de Palestine et du Liban. Nous avons aussi beaucoup de soutiens, de bailleurs, de donateurs et donatrices qui continuent à soutenir.
Et sur les violences faites aux femmes, avez vous un objectif précis ?
Notre objectif est de faire mieux comprendre les racines des violences des hommes contre les femmes. Il nous semble indispensable parce que protéger les femmes ne suffit pas. Si on veut lutter contre ces violences, il faut comprendre leurs sources et impliquer les hommes dans cette transformation de la société.
Pour cela nous allons donner la parole aussi bien à des témoins directs et des actrices/acteurs de terrain qu’à des chercheuses/chercheurs. Nous voulons donner la parole aux hommes si peu nombreux engagés contre les violences.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine