Articles récents \ Chroniques CHRONIQUE L’AIRE DU PSY : Adolescence, la mini-série de Netflix…

Qui va dire doit être en mesure de se projeter à la place de qui va entendre.
Lorsque la psychanalyste Françoise Dolto affirmait que tout puisse se parler avec un enfant, cela a été à mon sens interprété de façon dommageable comme s’il y avait un impératif à tout dire aux enfants, à plus forte raison lorsqu’iels deviennent adolescent·es. Comme si le tri sélectif ne s’appliquait pas, comme s’il était permis de déverser la «vérité vraie» sans prendre de précautions pour dire de telle façon que cela soit entendable et ne fasse pas effraction pour qui réceptionne un secret ou un non-dit. Rendre audible ce que l’on veut partager nécessite un travail en amont du dire. Qui va dire doit être en mesure de se projeter à la place de qui va entendre. C’est très exactement à l’opposé de ce qui caractérise généralement ladite communication des politiques visant juste l’impact médiatique (faire le buzz).
J’ai eu l’occasion récemment de voir la série qui a fait grand bruit au point qu’une pétition soit lancée par une mère de Vaux-en-Velin incitant à l’instar de la Grande-Bretagne à projeter la série dans tous les collèges et lycées. Pour la ministre de l’Education interpellée, il ne serait pas question de diffuser Adolescence dans les collèges : «Je pense qu’on a aussi de bonnes séries françaises», affirme Élisabeth Borne pour justifier ce choix teinté de chauvinisme. Marie Billon nous rappelle que «La plateforme Netflix a décidé de laisser les écoles secondaires britanniques diffuser gratuitement cette mini-série britannique, déjà visionnée par plus de 66 millions de personnes en deux semaines» (1)
L’adolescence est la période de vie sans doute la plus exposée à tous les dangers. Le corps change, se développe plus ou moins harmonieusement. Les enjeux de séduction, d’estime de soi, d’accès à la sexualité, d’affirmation bruyante de qui l’on est, de qui l’on voudrait être, sont légion. La sortie d’un collège ou d’un lycée donne le vertige : elles/ils se ressemblent tou·tes ! Même si un uniforme informel distingue néanmoins les diverses tribus dont chacun·e se revendique, le regard de l’adulte n’y voit qu’une masse homogène.
Dans la série anglaise, l’uniforme scolaire est la règle. Cela nous permet en passant d’observer combien les revendications réactionnaires appelant à son port pour régler les difficultés à l’école sont totalement désuètes. L’immersion des policiers en charge de l’enquête nous donne accès à la violence qui règne dans ce collège ordinaire. Ce qui nous explose au visage, c’est combien ledit uniforme n’offre aucune protection ou apaisement au climat scolaire ! «On peut vraiment apprendre quelque chose ici ? On dirait un enclos» déclare dépité l’enquêteur à sa collègue, lorsqu’ils sont au cœur du collège. «J’ai eu un bon professeur» lui rétorque-t-elle après avoir dit combien l’atmosphère nauséabonde ravive sa mémoire de collégienne. Seule la rencontre d’un·e enseignant·e impliqué·e peut s’avérer salvatrice.
À la manière de Colombo, dans Adolescence, point de suspense, nous savons très vite que Jamie, le garçon de treize ans est le meurtrier de Kathie, même s’il nie les faits. L’adolescence expose aux conduites de prestance. La réalité semble bien pauvre en regard du potentiel explosif, bouillonnant de ces futur·es adultes. Leur force est de n’être pas encore entré·es dans le monde des grand·es, mais de sentir combien la vigueur hormonale sous-jacente se montre insistante. Les adolescent·es ne pensent qu’à ça ! Dépucelage et défloration répondent à un mélange entre urgence («J’l’ai fait») et craintes, hésitations, peurs. «Pute» et «pédé» sont les vocables fréquemment usités. La filiation est aussi ciblée : «fils de…».
Le quatrième et dernier épisode de la série est particulièrement larmoyant, déchirant. Il nous donne accès à ces parents en proie au doute et au désarroi, qui ont engendré un meurtrier : qu’auraient-ils dû faire ? Qu’est-ce qui leur a échappé ? Il y a ce père violenté par son propre père durant son enfance et qui s’est juré de ne jamais lever la main sur ses enfants. Lui et sa femme se remémorent : quand leur fils était dans sa chambre plutôt qu’à trainer avec de mauvaises fréquentations, ils le pensaient à l’abri, loin d’imaginer que leur fils traité d’incel/célibataire involontaire (alors qu’il n’a que treize ans !) commettrait l’irréparable.
Quand la porte de la chambre de l’adolescent·e est fermée, est-ce vraiment du respect de son intimité dont il s’agit ? Peut-être faut-il penser les réseaux sociaux comme de «l’extimité» (2) ? Mais cette extimité ne relèverait elle pas d’une extorsion pseudo consentie de l’intime ? Le piège du téléphone sans fil, c’est le leurre d’avoir laissé supposer qu’on allait ainsi «couper le cordon», alors que le portable a contribué à s’aliéner pour mieux dé-penser. Une neuropsychologue décrivait la complexité et la multiplicité des processus cognitifs engagés dans l’acte de lire (un livre) comparativement à l’économie d’intelligence (au sens de s’épargner son usage) réclamée pour scroller sur les applications : une captation d’attention au profit d’un écran. La consommation rapide plutôt que la dégustation confortable qui convoque tous les sens et multiplie les sources d’affects potentiellement mobilisables…
La série Adolescence n’accorde que peu d’attention à la victime de ce féminicide précoce, mais pour autant la vedette n’est pas le meurtrier. Son acte est condamné et condamnable, mais l’éclairage vise plutôt l’entourage du meurtrier. Ses proches prennent cher. Sont-ils coupables d’avoir engendré un monstre ? Souvenons-nous de la phrase formidable d’Adèle Haenel : « Les monstres, ça n’existe pas. » Face à un acte horrible, monstrueux, quel sort réserver à son auteur ? Outre la sanction, se pose la question du devenir ultérieur du meurtrier. Puisque la loi du talion a été abolie, quel doit être le devenir de celui qui a privé autrui de vivre ? Comment protéger la société de la récidive, mais surtout de la réplication d’un tel acte ? Les féminicides sont désormais recensés, mais quand va-t-on enfin s’attaquer à la source essentiellement masculine de leurs auteurs ? Qu’est-ce qui permet que d’aucuns au nom de leur foi prétendent que des actes violents pourraient se voir légitimer ? Comment le porteur d’un prénom de palmipède walt-dysneyien peut-il trouver une audience créditant le sexisme et la violence qui en découle ? L’engouement pour l’intelligence dite «artificielle» nous dit peut-être combien le vingt-et-unième siècle fait injure à l’intelligence et prodigue l’allégeance à la superficialité en s’en remettant à l’au-delà pour le devenir ou le déclin de l’humanité…
C’est à l’occasion de l’anniversaire de son père, que Jamie lui annonce au téléphone, qu’il a décidé de plaider coupable. Cette reconnaissance tardive de sa culpabilité surgit à la célébration de la naissance de son père. La rupture transgénérationnelle serait-elle une piste pour échapper à la masculinité toxique ? Le père reste sans voix après cette annonce, ce seront la mère et la sœur de Jamie, qui prennent le relais. Jamie pensait s’adresser à son père, il découvre que c’est la cellule familiale qui réceptionne sa décision. L’essentiel a eu lieu : le fils a pu dire à son père. Au père d’accomplir sa part désormais.
Daniel Charlemaine 50-50 Magazine
1 Billon (Marie) «Le Royaume-Uni se débat face à l’offensive masculiniste» in Médiapart du 04/04/25.
2 Concept proposé par le psychiatre Serge Tisseron dans ses nombreux travaux notamment autour de la honte.