Tribunes Un an déjà, et nous attendons toujours la mobilisation des féministes égyptiennes

Portrait de Sérénade Chafik

Portrait de Sérénade Chafik

2011, une année marquée par un bouillonnement révolutionnaire en Egypte. Une année marquée aussi par des bains de sang, l’arrivée des militaires au pouvoir et leurs 13 000 arrestations, la victoire écrasante de l’islam politique, la formation de nouveaux syndicats indépendants, l’organisation de la résistance et de la contre-révolution, des élections tronquées…

Un an déjà, et nous attendons toujours la mobilisation des féministes égyptiennes pour les droits des femmes.

En effet, depuis le début du processus révolutionnaire, et même si les femmes ont participé autant que leurs camarades hommes au soulèvement et même si elles ont offert leur vie pour atteindre les trois objectifs de cette révolte – liberté, dignité et justice sociale –, les organisations féminines et féministes n’ont pas scandé de slogans concernant les droits des femmes.

Pourtant, le 23 décembre de grandes manifestations ont eu lieu dans toutes les villes d’Egypte. Des hommes et des femmes dénonçaient les arrestations et la torture que subissaient les révolutionnaires par les forces armées.
Un mot d’ordre faisait consensus : « On ne touche pas à l’honneur des femmes de notre pays, l’honneur des femmes est une ligne rouge à ne pas franchir. »
Effectivement, en décembre des soldats de la force armée avaient tabassé une femme voilée, la traînant par terre, soulevant ainsi ses vêtements. La scène a ému toute la société égyptienne, choquée bien plus par le dévoilement de la nudité de la manifestante que par la violence qu’elle a subi ou le traitement spécifique réservé aux révolutionnaires féminines.

Parallèlement, la justice égyptienne venait de prononcer un jugement qui rendait illégaux les tests de virginité pratiqués par les forces armées à l’encontre des jeunes révolutionnaires arrêtées lors des manifestations…

On ne peut qu’être d’accord avec ces manifestations dès lors qu’elles dénoncent les tortures, et les violences spécifiques que subissent les femmes lors des arrestations.

Mais je me réserve le droit de trouver rétrograde un slogan qui prône l’honneur des femmes en l’assimilant à l’honneur de la patrie. Cet honneur se situant entre les cuisses des femmes dans un pays où l’on pratique le crime d’honneur, que l’on devrait plutôt appeler crime de déshonneur ! Dans un pays où les femmes sont spoliées de leur corps. Un corps qui n’est que la propriété collective de toute la famille. Un corps qui a ce pouvoir énorme, cette capacité de déshonorer toute une tribu, toute une nation.

Nous sommes loin de la revendication chère aux féministes : « Mon corps m’appartient ! »

Les organisations féministes ont voulu rassembler largement la population autour du refus des exactions commises à l’encontre des femmes par les militaires. D’une part, elles sont tombées dans le piège du populisme, d’autre part, la question de la sexualité, du rapport au corps n’a jamais été débattue au sein de la société égyptienne. Les organisations féminines et féministes se heurtent à leurs propres limites, leur propre aliénation.

Pour preuve, Alia Elmahdi, jeune blogueuse égyptienne, bien que faisant l’objet d’une fatwa de la part des salafistes, n’a été défendue par personne.
Pour avoir osé se montrer nue et écrire son droit à une sexualité libre, elle a été abandonnée par toute la société civile, féministes comprises.

Sérénade Chafik, militante franco-égyptienne féministe

 

print