Articles récents \ Monde \ Économie Bientôt une norme internationale contre les violences sexistes au travail ?

Béatrice Ouin, permanente syndicale CFDT (confédération), chargée de l’égalité hommes femmes de 1985 à 1995, a été membre du Comité Economique et Social Européen de 2009 à septembre 2015. Elle est la rédactrice d’un avis du Comité Economique et Social Européen sur « les violences sexistes au travail » qui sera discuté lors de la prochaine réunion de l’OIT, organisme tripartite.

Le 16 septembre 2015, le Comité économique et social européen (CESE) a adopté un avis se prononçant «Pour une convention de l’OIT contre les violences sexistes au travail.» Cet organe consultatif auprès de la Commission Européenne, du Parlement et du Conseil Européen se présente comme «un pont entre l’Europe et la société civile organisée.» Il est composé de représentant-e-s des employeur-e-s, des salarié-e-s et un troisième groupe d’expert-e-s issu-e-s des «secteurs économique, civique, professionnel et culturel», venant des 28 États de l’Union Européenne.

Cet avis a été adopté par 209 voix pour, 2 voix contre et 5 abstentions. Il établit un constat remarquable sur les violences sexistes au travail et formule des recommandations. Ce qui est en jeu, c’est la mise en place d’une norme internationale sur les violences sexistes au travail, qui reste à établir, lors des négociations prévues en novembre 2015 dans le cadre de l’Organisation International du Travail (OIT).

Le mot patriarcat n’est pas utilisé, mais c’est tout comme, puisque l’avis stipule que les violences sexistes au travail «révèlent des relations de pouvoir inégales entre femmes et hommes» et qu’il est «dans l’intérêt de la société de les combattre, d’où qu’elles surviennent, et de les bannir des lieux de travail.» La définition utilisée des violences est large et englobe des phénomènes multiples : violences physiques; violences sexuelles, viol et agressions sexuelles; insultes, incivilités, irrespect, marques de mépris; actes d’intimidation; maltraitance psychologique; harcèlement sexuel; menaces de violence; assiduités agressives (stalking).

Extrait de l’avis : panorama global des violences sexistes

À l’échelle mondiale, 35 % des femmes sont victimes de violence directe sur le lieu de travail et entre 40 et 50 % d’entre elles ont fait l’objet d’avances sexuelles indésirables, de contacts physiques non désirés ou d’autres formes de harcèlement sexuel. 45 % des femmes dans l’UE disent avoir été victimes une fois ou l’autre de violences sexistes. Entre 40 et 45 % rapportent qu’elles ont fait l’objet de harcèlement sexuel au travail. On estime qu’en Europe, chaque jour, sept femmes meurent des suites de violences sexistes.

L’avis ne se limite pas aux violences sur le lieu de travail, mais traite aussi des violences sur le chemin du travail (harcèlement dans l’espace public) et des violences domestiques qui ont des conséquences au travail.

Le CESE considère que les violences sexistes et sexuelles au travail sont «un obstacle au travail décent», mais aussi «une violation grave des droits humains», qu’elles nuisent à l’économie, au progrès social et «diminuent la productivité.» Le comité a une approche économique et sociale, puisque l’avis fait le lien avec les conditions économiques : «la crise économique, les programmes d’ajustement structurel et les mesures d’austérité ont contribué à augmenter la violence au travail.»

Pour lutter contre les violences, le Comité propose d’impliquer les associations et notamment les syndicats, plaide pour la formation aux inégalités de genre des professionnel-le-s de la santé, de la police et de la justice en charge des victimes de violences sexistes. Le CESE se prononce également pour une prévention de ces violences via les médias et l’enseignement de l’égalité à l’école.

Béa

Béatrice Ouin, rapporteure de l’avis

Rencontre avec Béatrice Ouin

Que va devenir cet avis qui a été voté à une énorme majorité des membres du CESE ?

Ce document va maintenant être envoyé au secrétaire général du Bureau international du travail. C’est le Conseil d’administration du BIT qui décidera si le thème des violences sexistes va être mis à l’ordre du jour de la prochaine Conférence internationale du travail. Le Comité économique et social européen n’a qu’un rôle consultatif, mais il est important qu’il se soit prononcé pour appuyer ceux qui, à Genève, font campagne pour qu’une convention internationale soit  adoptée.

Les institutions européennes et les Etats membres de l’UE ont-ils déjà dans leur législation des mesures pour lutter contre le sexisme au travail ?

Les syndicats, regroupés au sein de la Confédération syndicale internationale et au niveau européen, de la Confédération européenne des syndicats demandent depuis 3 ans une telle convention. Ils ont pour cela fait circuler une pétition qui en France a été relayée par la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et l’UNSA. Mais l’Organisation internationale du travail est un organisme tripartite composé des syndicats, des employeurs et des États, et les syndicats seuls ne peuvent obtenir ce qu’ils souhaitent. Il faut aussi l’appui d’Etats importants et d’organisations d’employeurs.

Quel rôle les syndicats membres du CESE ont-ils eu dans cet avis ?

Au niveau européen, il y a une directive européenne sur l’égalité qui définit et interdit le harcèlement sexuel et elle a été transposée dans le droit national de tous les États membres. Il y a aussi un accord européen entre les partenaires sociaux, les employeurs et les syndicats européens qui précise comment prévenir le harcèlement sexuel, comment instruire une plainte….  Malheureusement toutes les entreprises ne connaissent pas encore cet accord et n’ont pas toutes mises en place les mesures de préventions appropriées.

Caroline Flepp et Guillaume Hubert 50-50 magazine

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