Société Violence contre les femmes : que fait l’Europe ? Elle se tait… ou presque !

La violence contre les femmes ne connaît aucune barrière culturelle et sociale, et encore moins de barrière géographique. Ce phénomène est présent dans toute l’Union européenne. Selon le Conseil de l’Europe, une femme sur quatre souffre de violences physiques au cours de sa vie et une femme sur dix de violences sexuelles. Cette violence coûte annuellement à la société européenne seize milliards d’euros. Pour un enjeu de cette envergure qui dépasse les frontières, l’Europe a toute légitimité pour intervenir. Or, elle est incroyablement silencieuse.

Une compétence inexistante

Les institutions européennes ne peuvent exercer les compétences de leur choix : ce sont les États membres, lors de la rédaction des traités, qui décident ou non du partage des compétences entre les différents niveaux. Or, en ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes, c’est assez simple : la question est totalement inexistante du traité instituant la Communauté européenne. L’Union européenne ne reçoit la compétence qu’en matière d’égalité de rémunération entre travailleurs féminins et masculins pour un travail égal ou de même valeur. Mais la violence n’existe pas pour les traités : circulez, il n’y a rien à voir. La lutte contre la violence envers les femmes reste de la compétence des États membres.

Alors que l’Union européenne est bloquée par les traités, sur la scène internationale, la problématique de la lutte contre la violence envers les femmes est devenue visible dès la fin des années 1970. La convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) de 1979 *1ouvre la voie, mais ce n’est vraiment qu’au début des années 1990 que cet enjeu prend la place qu’il mérite avec la déclaration de 1993 *2des Nations unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Pour la première fois, la violence envers les femmes bénéficie d’une définition internationale : « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. » La violence est dénoncée comme « une violation des droits de la personne humaine et des libertés fondamentales ».

Les temps ont changé. La violence contre les femmes n’est plus désormais une affaire privée cantonnée aux limites du domicile conjugal et ne concernant que l’auteur et la victime. La déclaration des Nations unies réclame aux États membres de « condamner la violence à l’égard des femmes et ne pas invoquer de considérations de coutume, de tradition ou de religion pour se soustraire à l’obligation de l’éliminer. »

Face à l’action de l’ONU, les institutions européennes, qui ne peuvent pourtant rien faire du point de vue législatif, ne doivent pas rester silencieuses. Le Parlement européen adopte donc en 1997 une résolution *3 (donc un texte non contraignant) dans laquelle il demande que l’année 1999 soit désignée Année européenne de la lutte contre la violence à l’égard des femmes, ce qui sera fait. Cette même année, la Commission européenne lance un Eurobaromètre sur « l’opinion des Européens sur la violence domestique dont sont victimes les femmes » qui révèle que la violence sexuelle dont sont victimes les femmes est considérée comme très grave par 90 % des citoyens européens, la violence physique par 87 %, la violence psychologique par 65 %, la restriction de liberté par 64 % et les menaces d’actes de violence par 58 % *4. À l’issue de cette année, le Parlement européen et le Conseil adoptent une décision créant DAPHNE *5 , un programme d’action communautaire destiné à prévenir et à combattre toute forme de violence survenant dans la sphère publique ou privée à l’encontre des femmes, des adolescents et des enfants. Il vise également à parvenir à un niveau élevé de protection de la santé, de bien-être et de cohésion sociale. DAPHNE subventionne les ONG nationales travaillant dans ce domaine et favorise l’échange de bonnes pratiques et la collecte de données. Étant adopté sur une base quadriannuelle, ce programme en est à sa troisième version.

À ce jour, DAPHNE est le seul programme de l’Union européenne pour lutter contre la violence envers les femmes. C’est bien, mais c’est beaucoup trop peu. En mars 2009, un sondage Eurobaromètre révèle que dans le domaine de l’égalité des genres, 27 % des femmes et 26 % des hommes veulent que le Parlement européen accorde la priorité à la lutte contre la violence envers les femmes, juste derrière l’égalité de salaires. Alors qu’attend-on ?

Beaucoup de blabla et peu d’actions

Le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, donne enfin compétence aux institutions européennes pour légiférer sur la violence contre les femmes : « Dans le cadre des efforts globaux de l’Union pour éliminer les inégalités entre les femmes et les hommes, celle-ci visera, dans ses différentes politiques, à lutter contre toutes les formes de violence domestique » (déclaration 19 à l’article 8). Cette disposition a été ajoutée suite à la demande express du gouvernement espagnol qui est à ce jour à la pointe de la lutte contre la violence envers les femmes en raison de sa législation complète.

Particulièrement satisfait de cette disposition, le Parlement européen a demandé dans une résolution du 10 février 2010 *6 à la Commission européenne de proposer au plus vite une directive sur la prévention et la lutte contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes. Viviane Reding, commissaire européenne chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, a confirmé que cette proposition serait bientôt sur la table. Or, à cette heure, aucune proposition, ni aucune communication sur le sujet n’ont vu le jour. Lorsque l’Espagne a pris la présidence tournante de l’Union européenne le 1er janvier 2010, elle a affiché clairement son ambition de lutter contre la violence envers les femmes. En annonçant dans son programme le lancement de mesures concrètes et en plaçant au cœur de ses priorités la lutte contre la violence sexiste, l’Espagne a remis ces prédécesseurs à leur place. En effet, jusque là, le chapitre « Égalité femmes/hommes » était toujours présent, mais qu’était-il annoncé ? Surtout des conférences, des échanges de bonne pratique, des séminaires, enfin bref, beaucoup de blabla et peu d’actions.

Vers une action plus effective de l’Union européenne en matière de lutte contre la violence envers les femmes ?

Le gouvernement espagnol, lui, a été très clair : « Améliorer la capacité de l’Europe à éradiquer la violence à caractère sexiste est primordial. La création d’un Observatoire européen pour l’élaboration d’un diagnostic commun concernant ce terrible problème, ainsi que l’adoption d’une ordonnance européenne de protection des victimes, seront deux initiatives essentielles encouragées par la présidence espagnole pour parvenir à des avancées concrètes en la matière. » La présidence espagnole a également fait adopter par les autres États membres une stratégie européenne commune de lutte contre la violence sexiste comprenant l’installation d’un numéro de téléphone unique européen d’information et de conseil pour les victimes et la prise en charge intégrale des femmes victimes de maltraitance et des enfants vivant dans des contextes de violence. Ces chantiers sont encore en cours et la présidence belge actuelle s’est engagée à les mener à bien. Cependant, à l’heure où j’écris, cette dernière n’a que peu de poids alors que la Belgique s’embourbe dans une crise politique sans fin. Parallèlement, le projet d’ordonnance européenne de protection des victimes actuellement examiné par le Parlement européen vise à ce que toute femme protégée dans un pays le soit également si elle déménage à l’étranger, et ce sans avoir à recommencer des démarches longues et compliquées. Mais la Commission européenne remet en cause cette proposition, considérant qu’elle est trop compliquée au regard des différences de systèmes juridiques tant au pénal qu’au civil ou à l’administratif. Affaire à suivre, donc.

Enfin, quatre députés européens, menés par le Belge Marc Tarabella, ont lancé une campagne pour une nouvelle année européenne de lutte contre la violence envers les femmes. Cette pétition se base sur l’initiative citoyenne européenne, nouvel instrument également créé par le Traité de Lisbonne, qui permettra à au moins un million de citoyens issus d’au moins un tiers des États membres d’inviter la Commission européenne à formuler des propositions législatives dans des domaines relevant de sa compétence. Elle peut être signée à l’adresse suivante : www.violenceagainstwomen.eu.

Une fenêtre d’opportunités s’ouvre à l’Europe, à travers le traité de Lisbonne, l’impulsion de la présidence espagnole et la mobilisation des députés européens. Saura-t-elle la saisir ? Antoinette Spaak, ancienne députée européenne et invitée d’honneur d’une conférence sur la question le 2 septembre dernier, a regretté que rien n’ait changé depuis trente ans. N’attendons pas plus longtemps pour agir !

Marie Ramot collaboratrice U.E ÉGALITÉ

*1 http://www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/text/fconvention.htm

*2 http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/(symbol)/a.res.48.104.fr

*3 http://eleuthera.free.fr/pdf/181.pdf

4 http://www.eurowrc.org/13.3institutions/1.ec/ec-fr/07.ec_fr.htm

*5 http://ec.europa.eu/justice/funding/daphne3/funding_daphne3_en.htm

*6 http://www.europarl.europa.eu/oeil/file.jsp?id=5802432

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