Tribunes Hier et aujourd’hui : le féminisme au rendez-vous de la solidarité avec les femmes iraniennes

La lutte des femmes iraniennes face au régime islamiste d’Iran a été soutenue, dès ses premiers pas, par des féministes françaises : en mars 1979, un comité présidé par Simone de Beauvoir a envoyé une délégation en Iran pour dire haut et fort son soutien aux grandes manifestations de femmes contre le port du voile imposé dans les lieux de travail par Khomeiny arrivé au pouvoir depuis à peine un mois. Défiant la haute autorité religieuse, des milliers de femmes sont aussitôt descendues dans la rue pour crier : « Nous n’avons pas fait la révolution pour revenir en arrière ! » Aux troupes des hezbollah (appellation née en Iran) qui les menaçaient en les traitant de suppôts de l’étranger, elles répondaient : « Ni voile, ni raclée ! », « Ni orientale, ni occidentale, la liberté est universelle ! »

Cette lutte et d’autres combats menés par les femmes iraniennes contre l’instauration du régime khomeyniste on été réprimés, et le voile est aujourd’hui obligatoire dans tous les espaces publics. Des masses de militants du Hezbollah ont été mobilisées pour assurer la répression contre celles et ceux qui n’acceptaient pas leurs ordres. Des femmes hezbollah participèrent activement à cette répression. Les islamistes leur promettaient une émancipation « authentique » qui leur offrirait une « place digne » dans une « société juste et chaste », érigée par la loi islamique.

Trois décennies plus tard, l’expérience iranienne nous enseigne la réalité de ce projet : une société cruellement marquée par l’injustice, la corruption et le désespoir. L’an dernier, les manifestations de millions de femmes et d’hommes dans les rues de la capitale et des grandes villes iraniennes exprimaient une révolte populaire qui fut étouffée dans le sang, la torture et la prison, comme toutes les protestations des dernières décennies. Cette révolte eut un symbole : le beau visage de Neda, jeune étudiante de 24 ans, tuée dans une manifestation pacifique par des agents en civil.

Aujourd’hui, c’est la figure de Sakineh, condamnée à la lapidation pour adultère, qui traduit la cruauté (et la dissymétrie) du contrôle patriarcal qu’impose l’islamisme aux femmes. Il faut savoir qu’en Iran les hommes ont droit à de multiples épouses et jouissent, par la polygamie et le mariage temporaire, d’une certaine marge de liberté sexuelle (interdite bien entendu aux femmes). De même, un homme condamné à la lapidation pour adultère est enterré jusqu’à la ceinture, ce qui lui laisse une occasion de se dégager et d’échapper à la mort — dans ce cas, la loi prévoit en effet la libération du condamné. Les femmes, elles, sont enterrées jusqu’au cou : rien ne leur permettra d’échapper à la barbarie des jeteurs de pierre.

La tragédie de Sakineh témoigne du drame social, culturel et politique de ce pays qui infériorise les femmes, alors que leur présence sociale et culturelle défie énergiquement l’ordre dominant. Ainsi, le mouvement féministe vit un épanouissement exceptionnel, malgré une répression constante et implacable. La campagne « Un million de signatures pour l’abolition des lois discriminatoires envers les femmes » a mobilisé un nombre très important de jeunes, femmes et hommes : leur slogan « Changement pour l’égalité » réaffirme l’universalité des droits des femmes. Leurs voix rejoignent ainsi celles des Iraniennes qui criaient leur révolte dans les rues de Téhéran il y a trente ans.

La lutte des femmes iraniennes pour la liberté et l’égalité relie les générations d’hier et d’aujourd’hui, le féminisme iranien et le féminisme français. Et c’est avec enthousiasme que les militant-e-s iranien-ne-s ont accueilli le Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes qui leur a été décerné en 2009.

Il faut rappeler enfin qu’une campagne contre la lapidation a été lancée dès 2006 en Iran par des féministes. Les militant-e-s ont parcouru les tribunaux pour enregistrer des témoignages, et ont dénoncé le sort tragique réservé aux condamn-é-s. Des féministes iraniennes en exil se sont également mobilisées pour cette cause.

Que le soutien international s’amplifie pour empêcher la mise à mort de Sakineh Mohammadi Ashtiani et de toutes les personnes menacées aujourd’hui dans leur vie par l’application de la charia !

Que ce soutien perdure pour défendre la lutte des femmes et des hommes iraniens en faveur de la liberté, de l’égalité et de la démocratie !

Chahla Chafiq, écrivaine *2

* Texte lu le 26 août 2010 lors de la commémoration, sur l’Esplanade des Droits de l’Homme, de la première manifestation publique du MLF, le 26 août 1970, à l’Arc de Triomphe.

*2 www.chahlachafiq.com

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