Santé Sera-t-il encore possible d’avorter en Europe ?

« Nul hôpital, établissement ou personne ne peut faire l’objet de pressions, être tenu responsable ou subir des discriminations d’aucune sorte pour son refus de réaliser, d’accueillir ou d’assister un avortement, une fausse couche provoquée ou une euthanasie, ou de s’y soumettre, ni pour son refus d’accomplir toute intervention visant à provoquer la mort d’un fœtus ou d’un embryon humain, quelles qu’en soient les raisons ».

En clair, tout médecin peut refuser de pratiquer un avortement, même dans les États dans lesquels cette pratique est légale ou dépénalisée. Cette opinion ne provient pas de quelque groupuscule inconnu, non, il s’agit de la résolution récemment adoptée par le Conseil de l’Europe.

Pour rappel, le Conseil de l’Europe est une organisation intergouvernementale ayant officiellement pour objectif de favoriser en Europe un espace démocratique et juridique commun, organisé autour de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe n’est en aucun cas une institution de l’Union européenne, ses membres ne sont pas élus directement par les citoyens mais par les membres des Parlements nationaux. Néanmoins, ses résolutions ont une certaine valeur politique et peuvent influencer ainsi les réformes législatives des États membres.

Le Conseil de l’Europe est très actif en ce qui concerne la lutte contre les violences envers les femmes et adopte en général des positions très progressistes sur l’égalité entre les genres.

La résolution adoptée le 7 octobre dernier portant sur « Le droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins de soins médicaux légaux » avait pour but initial de mettre en lumière la montée de cette pratique en Europe et son défaut de réglementation. L’objectif de la responsable de l’écriture de ce rapport, la Britannique Christine McCafferty, était de trouver un équilibre entre le droit à la liberté de conscience reconnue par le droit européen et international et la responsabilité pour les États d’assurer l’accès à des services médicaux légaux.

« Jour de honte » pour le Conseil de l’Europe

L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) sur laquelle s’appuie le Conseil de l’Europe pour adopter ses résolutions garantit que le droit à la liberté de conscience « ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la moralité publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

À l’exception de la Suède et de la Lettonie, les États européens ont réglementé en droit interne les limites de l’exercice de l’objection de conscience, mais selon le rapport de Christine McCafferty, les réglementations en vigueur ne sont pas appliquées de façon satisfaisante et la pratique remet en cause le droit des femmes à l’accès à la santé reproductive, en particulier au droit à l’avortement.

Ainsi, en Italie, près de 70% des gynécologues refusent de pratiquer des avortements pour des motifs moraux. Une situation semblable existe en Pologne, en Slovaquie et en Autriche.

Que faire alors de toutes ces femmes auxquelles on refuse un droit légal à l’accès à l’avortement ?

Le rapport de Christine McCafferty soulignait la nécessité d’établir un « équilibre entre l’objection de conscience d’un individu qui refuse d’accomplir un acte médical donné, d’une part, et la responsabilité professionnelle et le droit de chaque patient à recevoir un traitement légal dans un délai approprié, d’autre part ». Il demandait donc des réglementations exhaustives et précises réglementant l’objection de conscience eu égard aux soins de santé et aux services médicaux. Las, les opposants au droit à l’avortement, parmi lesquels les députés conservateurs italien Luca Volonté et irlandais Ronan Mullen, ont réussi à faire adopter des amendements dénaturant totalement la volonté initiale du texte.

Christine McCafferty a estimé qu’il s’agissait d’un « jour de honte » pour le Conseil de l’Europe et que son rapport initial était « torpillé », et nous ne pouvons qu’être d’accord avec elle.

Jour de honte donc pour l’Europe, avec cette résolution qui ouvre la boîte de Pandore. S’il est certain que ce texte n’améliore pas la situation, espérons qu’il ne la détériore pas non plus.

Marie Ramot ÉGALITÉ collaboratrice U.E.

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