Politique « Une régression insupportable pour la parité »

La réforme territoriale a été adoptée par l’Assemblée nationale hier après-midi. En 2014, 3.485 conseillers territoriaux remplaceront les 5.843 conseillers régionaux et généraux actuels, leur élection se fera au scrutin uninominal majoritaire.  Quel avenir pour la parité en politique avec ce nouveau schéma de démocratie locale ?
Armelle Danet et Annette Vazelle, actuelle et ancienne présidente d’Elles Aussi  répondent à nos questions.

Que pensez-vous du retour au scrutin uninominal ? Quelles vont être les conséquences de ce scrutin pour les femmes ?

C’est une régression insupportable pour la parité ! La réforme, adoptée hier, reprend le mode de scrutin (1) actuellement en vigueur pour les conseillers généraux, qui nous donne des assemblées masculines … à 87,7% ! Parce qu’il fait systématiquement la part belle aux caciques locaux (aux mandats multiples), des hommes la plupart du temps ! Ce scrutin laisse déjà peu de place à de nouveaux entrants, dont les femmes, et avec la diminution de moitié du nombre de conseillers territoriaux élus, ce phénomène va être amplifié. La structure des conseils régionaux qui est paritaire jusque dans l’exécutif va être radicalement changée avec la disparition de la majorité des femmes et cela aura bien sûr des conséquences sur la politique menée par ces régions.
En bref, c’est une régression pour les femmes, une régression pour la démocratie.

Les « pénalités » financières prises dans le cadre de cette réforme sont-elles suffisantes pour augmenter le nombre de femmes élues?

Les pénalités financières existent déjà pour l’élection des députés au scrutin uninominal. Elles ont montré leur peu d’efficacité sur les grands partis qui peuvent se permettre une diminution de leur financement par l’État et donc passent outre à l’exigence de parité dans les candidatures. Seuls les petits partis présentent autant de candidates que de candidats. Le résultat est une Assemblée nationale où les femmes ne sont que 18,5%.
Il est probable malgré tout que le nombre de femmes augmente par rapport au chiffre ridicule actuel des conseils généraux (12,3%), mais davantage par évolution lente des pratiques que sous l’effet de sanctions clairement inefficaces. L’Assemblée nationale, par exemple, au rythme actuel de son évolution, pourrait devenir paritaire en … 2032 !
Dans cette réforme, l’enveloppe sur laquelle s’appliquent les pénalités financières réservée pour les candidatures de conseillers territoriaux correspondra à un tiers de l’enveloppe globale de la dotation publique des partis politiques (les deux autres tiers réservés pour les député-e-s), on peut donc s’attendre à un effet encore plus marginal.


Quelles sont les actions que compte mettre en place Elles aussi pour alerter l’opinion publique sur les impacts de cette réforme sur la parité?

Dès la première réponse gouvernementale au rapport Balladur, nous avons exprimé notre inquiétude au travers d’une lettre adressée au président de la République (avril 2009). Depuis lors, ce sont succédé communiqués de presse, pétition, lettres au ministre de l’Intérieur, aux parlementaires, aux conseils régionaux,  et interpellation des conseils généraux. Sans résultat. L’éviction des femmes du champ politique reste un dommage collatéral, on ne les entend pas.

La loi qui vient d’être votée par le Parlement va être portée devant le Conseil constitutionnel parce qu’elle « dé-favorise » grandement la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances élues, et parce qu’elle rend inapplicable l’obligation de parité dans les exécutifs régionaux (loi 31 janvier 2007).
Quel que soit le verdict du conseil constitutionnel, nous continuerons notre combat ! Nous voulons faire changer le mode de scrutin, non seulement des futurs conseillers territoriaux, mais également celui des députés, pour un scrutin de liste (alternance femmes/hommes) ou un scrutin binominal (une femme et un homme candidats ensemble sur un territoire élargi).

Nous lutterons sans relâche contre le cumul de mandat au niveau des exécutifs, qui est préjudiciable à l’entrée des femmes dans les postes de décision.


Et vos autres actions pour 2011 ?

Elles aussi (http://www.ellesaussi.org/ ) a été fondée en 1992 afin de promouvoir la parité dans les instances élues. C’est un réseau pluraliste et ouvert d’associations nationales et locales, qui agit pour obtenir des lois garantissant une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans toutes les instances élues mais aussi pour accompagner les femmes dans leur démarche d’accès aux responsabilités politiques, grâce à notre ancrage local.

Depuis 1992, des lois ont été votées, et la légitimité des femmes à exercer des fonctions d’élues est devenue évidence dans l’opinion publique. Notre action 2011 « La Marianne de la Parité » mettra d’ailleurs en exergue les bonnes pratiques mises en œuvre dans certaines collectivités locales. Mais l’épisode désastreux de la réforme territoriale démontre la fragilité de ces acquis dès lors qu’apparaissent des enjeux nationaux, et la légitimité de notre combat.

Propos recueillis par Lina Costerros  ÉGALITÉ

1 Le scrutin uninominal régit actuellement l’élection des conseillers généraux, comme celle des députés. Chaque  département est divisé en cantons et l’élection se fait sur une candidature individuelle par canton. Les grands partis désignent généralement des personnalités politiquement implantées de longue date, qu’ils estiment les plus susceptibles de gagner… donc  des hommes ! Le rapport Balladur,  remis en janvier 2010, avait au contraire  proposé une élection des conseillers territoriaux au scrutin de liste paritaire, sur le modèle actuellement en vigueur aux élections régionales.

Plus d’infos:

http://www.observatoire-parite.gouv.fr/travaux/guide_modes_scrutin.htm

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