Société « Les violences conjugales envers les femmes handicapées sont un sujet tabou »

Portrait de Maudy Piot, présidente de Femmes pour le dire, Femmes pour agir

Non voyante depuis plusieurs années, Maudy Piot a créé en 2003, l’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir.
En juin 2010, FDFA organisait, le colloque « Violences envers les femmes, le non des femmes handicapées », dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes, grande cause nationale 2010.
Marrainé par Michelle Perrot, historienne spécialiste de l’histoire des femmes, ce colloque traitait de diverses formes de violences. A l’occasion de la publication en février dernier des actes du colloque (*), nous avons interrogé la présidente de FDFA.

Qu’avez-vous voulu dire à travers le colloque et maintenant le livre ?

Nous nous sommes aperçus qu’il y avait un véritable tabou concernant les violences à l’encontre des femmes handicapées. En réalisant une enquête autour de nous, au sein de l’association, nous avons constaté qu’il y avait, parmi les femmes handicapées, un pourcentage deux fois plus important de femmes subissant des violences de la part de leur compagnon que parmi les femmes valides.
FDFA a cherché à comprendre, à étudier un phénomène peu connu, peu décrit.

Nous n’avons pas voulu parler uniquement des violences faites aux femmes handicapées, nous avons, au cours de ce colloque, également traité d’autres formes de violences faites aux femmes comme le viol ou la prostitution.

Je voudrais souligner qu’avant d’être des personnes handicapées, nous sommes des femmes, des citoyennes. Le processus de la violence est le même pour toutes les femmes. Il y a le temps de la violence verbale, insidieuse, puis vient le temps de la violence physique.

Les femmes handicapées arrivent-elles à porter plainte ?

Les femmes handicapées rencontrent de nombreux obstacles et portent donc rarement plainte. Tout d’abord elles sont confrontées à des difficultés particulières avec la police. Il y a bien sûr le manque d’accessibilité des commissariats mais, principalement, le fait qu’elles ne sont pas crues. J’ai eu de nombreux retours de la part de femmes handicapées à qui des policiers rétorquent que les violences à leur encontre sont impossibles.
Mais surtout il y a le regard des autres, et en particulier de la propre famille de ces femmes. Les familles pensent que les femmes handicapées ont une chance énorme d’avoir un compagnon ou un mari. N’est-il pas mieux de vivre avec un homme, même violent, que de se retrouver seule avec son handicap ? Le pire est que les victimes de violences intègrent ce genre d’arguments.
Ensuite il y a la honte bien sûr, la honte d’être handicapée à laquelle s’ajoute la culpabilité ancestrale d’être femme.

Vous êtes psychothérapeute et psychanalyste, les femmes handicapées vous ont-elles raconté leur souffrance ?

J’ai eu à entendre de nombreux témoignages. Par exemple il y a celui d’une femme en fauteuil roulant : son compagnon a crevé les pneus de son fauteuil, lui a pris son portable et l’a enfermée chez elle. Ou encore celui d’une femme aveugle dont le conjoint a changé tout l’agencement de leur appartement pour qu’elle ne retrouve plus ses marques…

Comment, pourquoi les femmes handicapées supportent-elles ces violences peut-être plus encore que les femmes valides ?

Parce qu’il y a là encore une spécificité qui est leur rapport particulier à la souffrance.
Qu’il s’agisse d’un handicap de naissance ou d’un accident de la vie, les personnes handicapées vivent un rapport particulier à la souffrance. Parfois depuis la naissance, leur vie, ou leur survie est liée à la souffrance. Les soins, la rééducation tout est souffrance.
« Je vis, je souffre. »
Il y a une sorte d’accoutumance à la souffrance. La souffrance ravive la pulsion de vie.

Propos recueillis par Caroline Flepp – EGALITE

(*) Violences envers les femmes : le non des femmes handicapées, Editions L’Harmattan, 2011
Le livre existe aussi en format CD audio, à commander par email auprès de l’association.

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