Révolutions arabes : quels enjeux pour les femmes ? « Je crains une guerre civile ici, à Bahreïn »

Drapeau Bahreïn

Entretien avec une militante des droits humains à Manama, au Bahreïn. Cette femme souhaite que son témoignage reste anonyme.

1er mars 2011.

Comment les femmes participent-elles aux mouvements de protestation à Bahreïn ?

En ce moment, deux manifestations prennent place à Manama : l’une se déroule sur la place Lualua et rassemble une majorité de chiites ; l’autre rassemble principalement des sunnites qui ont leurs propres revendications. Les femmes participent aux deux manifestations.

Mais la vraie question est de savoir quel est le rôle des femmes. Sur la place Lualua par exemple, des milliers de femmes participent à la contestation mais sont reléguées en marge de la manifestation. Lorsqu’elles arrivent sur la place, on leur demande de rejoindre un coin spécifique. C’est ce qui s’est fait à Bahreïn, dans toutes les manifestations organisées depuis 2001. C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je ne participe pas aux manifestations. Je ne crois pas que les femmes doivent être tenues à l’écart.
Sur la place, il n’y a pas d’encadrement des jeunes et ce sont les leaders religieux qui prennent le leadership.

Que pensez-vous de la représentation que les médias donnent des femmes dans le mouvement ?

Les médias ont montré des images de femmes pendant les manifestations ou faisant un sitting sur la place. Mais personnes ne parle des femmes en tant que femmes. Les personnes interviewées à propos des manifestations sur les chaînes de télévision par satellite comme Al Jazeera, sont pratiquement toutes des hommes. On ne considère pas que les femmes jouent un rôle important, et elles ne sont certainement pas vues comme un élément moteur des protestations.

Pendant les manifestations, a-t-on entendu des revendications spécifiques portant sur les droits des femmes ?

Les revendications politiques et sociales des manifestants n’incluent pas les droits des femmes. La question des femmes est totalement absente. Personne ne revendique l’égalité ou les droits civiques pour les femmes, pas même les femmes.

Il est important de se souvenir qu’il y a quelques années, lorsqu’un mouvement de femmes à Bahreïn a revendiqué l’application de la loi sur la famille (censée protéger les droits des femmes garantis dans le cadre de conventions internationales), une contre-manifestation a été organisée, à laquelle ont participé des milliers de femmes qui étaient opposées à cette loi. Aujourd’hui, sur la place Lualua et dans les manifestations, on retrouve majoritairement ces femmes qui s’étaient opposées à la loi sur la famille.

L’Union des femmes de Bahreïn a présenté quelques revendications : par exemple que des femmes soient présentes lors des négociations entre le gouvernement et le peuple. La position de l’Union est que toute réforme doit considérer les femmes et leurs besoins comme prioritaires.

Comment voyez-vous les autres événements en cours dans la région ? Selon vous, quelles sont les potentielles implications pour les droits des femmes ?

Même en Egypte et en Tunisie, les revendications et les besoins des femmes n’étaient pas une priorité pendant les manifestations, mais la différence est qu’en Tunisie et en Egypte, il y a des mouvements de femmes puissants qui peuvent agir en faveur des droits des femmes. Pendant les périodes de transition, les femmes doivent avoir un rôle. Les besoins des femmes et l’égalité devraient être des priorités pour tous les gouvernements et tous les gouvernements issus des révolutions dans la région.

A Bahreïn, le mouvement pour les droits des femmes est encore très faible, notamment pour tout ce qui touche aux questions d’égalité. Ici, la révolution est différente de celles qui se sont déroulées en Egypte ou en Tunisie, où c’est toute la population qui s’est révoltée. Malheureusement, à Bahreïn la société est divisée : une partie de la société appelle à des réformes en profondeur, alors que l’autre partie – tout en demandant des changements politiques – ne souhaite pas la fin du régime politique ni du gouvernement.

Je crains une guerre civile. J’espère que nous n’en arriverons pas là mais la situation ici est très grave et la division entre sunnites et chiites est de plus en plus profonde.

Propos recueillis par Shawna Caroll – FIDH

Traduction Catherine Laurent

Article modifié le 9 mars à 18h30 en raison d’une erreur : nous avions parlé de la place Tarhir alors qu’il s’agissait de la place Lualua.

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